Mag-Afriksurseine-Mars-2024

IL ETAIT UNE FOIS MANU DIBANGO

MANU DIBANGO

Cet hommage à Manu Dibango, je l’avais rédigé pour d’autres sites à l’occasion de son premier anniversaire. Je tenais alors à matérialiser par écrit ce que le public connaissait ou avait entendu des proches de l’icône de la musique camerounaise. A ma plus grande surprise, je retrouvai dans de nombreux sites africains et journaux mon article qui était devenu une référence incontestable littéraire. J’ai donc préféré le réécrire afin de rendre toujours présente la mémoire de l’homme qui est inoubliable. Dans cet article, je disais que j’étais en proie à une bien douloureuse émotion dans la tâche qui m’était dévolue d’écrire sur Manu qui n’était pas de ma génération.

Sans l’avoir même côtoyé, c’était un honneur pour moi, de pouvoir, en tant qu’écrivain, dire ces quelques mots en souvenir de lui. C’était un devoir sacré, d’exprimer mes sentiments de sincère reconnaissance à l’endroit d’une superstar admirée dans le monde entier. Beaucoup de ses proches parents sont encore dans la tristesse parce que dit-on Manu était un homme exceptionnel. Les causes de sa mort sont connues. Manu a été touché par la pandémie dès les premiers instants de sa propagation. Le mal l’ayant amené à l’hôpital, il n’est pas ressorti vivant. La Covid 19 n’a pas fait de choix dans son carnet de mort. Il a très vite pris les meilleurs de nos sociétés.

Des durs moments dont  Bossuet dans ses oraisons funèbres savait l’interpréter comme une fatalité qui  ravilit jusqu’aux Rois, qui entraîne  tous les hommes dans l’immense précipice du vide qui se pointe partout et en tout temps, elle méprise ce que nous sommes ou ce que nous représentons dans la vie sans pudeur, et comme un bûcheron, elle abat tous les arbres jusqu’aux baobabs ou les chênes.  Pour un rappel biographique, il est essentiel de noter que Manu Dibango est né à Douala le 12 décembre 1933. Le Cameroun est sous mandat britannique et français. Les églises protestantes sont foisonnantes à cette époque à cause du pasteur Alfred Saker qui l’a fortement installé dans les zones britanniques et littorales. ses parents sont moulés dans la culture protestante.  Son père s’appelait Michel Manfred N’Djoké Dibango : un gentilhomme et bon chef de famille qui mène une vie sobre et ferme à l’égard de ses enfants. Yabassien d’origine. Manu a une mère couturière Sawa. la famille vit dans la simplicité la plus exemplaire.

La mère dirige un groupe de chant religieux dénommé « chorale du temple », c’est dans ce milieu que Manu s’initie aux chants religieux. Ses premiers pas scolaires sont faits au Cameroun, avant son départ  pour Marseille en 1949 où il découvre profondément la culture française. Il sera également à Chartres et à Château-Thierry dans la ville où La Fontaine a écrit ses nombreuses fables. Dans les années 50, il fait un tour à Reims. Il découvre le jazz particulièrement jeune en jouant très bien au piano, puis il s’initie au saxophone, qui deviendra sa marque de fabrique et l’instrument par excellence auquel il a été reconnu. Cet instrument a marqué le public au point où partout où on le jouait, le joueur était noté par rapport au  Manu Dibango. Au début des années 60, il fait la connaissance de Joseph Kabassalé qui l’engage dans son orchestre.

Ils sortent des titres qui demeurent mémorables qui seront repris par tous les mélomanes de cette époque : parmi ces chansons célèbres « Indépendance Chachacha ». Pendant la coupe des nations organisée en 1972 au Cameroun, il est désigné pour composer son hymne. Dans les mêmes années, son titre Soul Makossa fait fureur dans les discothèques. Un titre qui sera d’ailleurs plagié par Michael Jackson dans les années 80. Il est au sommet de sa carrière quand il rejoint Dick Rivers et Nino Ferrer, les stars d’années 70. La grandeur de l’artiste est dans son art. Manu était un éclaireur de conscience, un homme affable qui suscitait l’enthousiasme, un artiste modèle, sans rire et sa forte voix qui séduisait. C’était un poète. Un chanteur est d’abord un poète. Écrire un poème, c’est réapprendre à parler. Le chanteur est d’abord un écrivain, parce qu’il met ses textes sur papiers avant de les chanter.

Chanter, c’est faire les deux. Serges Gainsbourg, Jacques Brel, Claude François ont publié toutes leurs œuvres dans des livres. Manu avait écrit le sien sous forme d’un récit autobiographique « Trois kilos de café et Balade en Saxo ».  Il avait des techniques d’improvisation unique, à travers des petites scènes, des fragments épars liés à son savoir-faire étendu. Profondément pénétré dans la mythologie Sawa, il était très imprégné dans sa culture. Manu riait comme les dieux, c’était un magistère dont les chansons enchantaient le paysage, il accélérait  les lents ruisseaux ; les hommes allaient se coucher le soir, contents d’avoir écouté cette voix mélodieuse qui attendrissait les cœurs devant tous les miasmes de la vie.  Manu, c’était d’abord une voix, mieux, une intonation dans la tradition musicale. Il est considéré comme le vrai pilier du makossa. Son puissant éclat de rire était un rayon de communication de joie et surtout, une manifestation de l’humanisme qui l’animait. Il était un homme de communication essentielle, un poète de la parole et du micro.

Un homme de scène, charmeur du public. Son élégance sobre, son grand sourire, son entregent avaient fait de lui l’idole du peuple. Il aimait la vie, l’Afrique, le Cameroun, il avait les amis partout dans le monde. Il a contribué dans une large mesure au progrès de ce métier de la musique dans tous les continents. Il a également éveillé un intérêt intense pour les jeunes, à suivre les pas des grands. Le Cameroun a eu la chance de compter dans ses rangs un homme de cette carrure, c’est ici qu’on trouve notre apaisement. c’est notre fierté à nous tous que Manu soit né camerounais. Il lègue des valeurs qui permettent de bâtir une nation ; il laisse des traces positives sur la terre. Il est allé jusqu’au bout de son rêve. c’est bien un 24 mars qu’il s’en était allé ; une journée sans arôme, mais avec musique.

Musique qui nous donnera la consolation, afin qu’on soit bercé, les larmes ont séché, notre esprit est solidifié dans nos corps par toutes les fibres qui pouvaient se couper. La Covid-19 et son cortège de  virus de malheur nous ont arraché notre icône planétaire, le plus brillant des chanteurs africains de tous les temps. Manu était un président. Peut-être plus qu’un président, parce que les présidents n’ont pas la chance d’être immortels. L’artiste ne meurt pas, il disparaît. Son œuvre est enracinée et figée dans les annales de l’histoire mondiale. Constatons que c’est dans un monde ébranlé, secoué, que Manu Dibango s’en va. C’est là où réside la dimension mystérieuse de sa vie. Manu Dibango était chevalier de la Légion d’honneur, médaille de vermeil de la ville de Paris. Une icône dont le CV assez volumineux ne peut être entièrement exposé ici. Depuis son départ, nous continuons à chanter son nom, dans les concerts. Comme disaient les Romains : il y a quelques années  seulement, il était au milieu de nous.

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