Le livre « Vision et grandeur du peuple Bamoun : Du temporel à l’intemporel » est sorti en 2021 ; c’était au mois de septembre, nous étions en hiver. Le livre a fait grand bruit et je me suis précipité à l’acquérir, parce que j’aime les livres. Je n’avais aucune idée du contenu ; au départ, je ne savais même pas que c’était un livre écrit à quatre mains. Je me suis retrouvé à cette journée dédicace qui s’était déroulé dans le 17ème à Paris chez Coco café. Je fus d’abord subjugué par l’exposé des auteurs. Ils étaient brillants dans la forme comme dans le fond. À la fin, je découvrais tout ému que les exposés magistraux étaient ceux d’un peintre et d’un poète. J’ai acheté le livre. Je ne sais pas grand chose de la peinture : toujours est-il qu’elle est un art majeur. C’est quoi un art majeur ? Le terme majeur ne doit pas faire peur, comme si on évoquait art petit ou art grand, mais ici le vocable majeur désigne le temps usité, pour la conception d’un travail. Surtout le temps d’apprentissage évident pour maîtriser l’art en question.
La sculpture, la poésie demande un temps nécessaire pour l’apprendre contrairement à la chanson ou le football. Il suffit de voir les gens chanter ou jouer et on se met sur le terrain, mais ce n’est pas évident dans la poésie, ou dans la peinture. Ce qui est surprenant dans cette affaire, il y a ceux qui se lèvent un matin et commencent à peindre ou à sculpter sans l’avoir appris. Je ne sais pas si c’est le cas pour Samuel Perfoura(Sampef) ; je sais que je fus marqué par l’esthétique et l’émotion qui s’y dégageaient. Quand on se rapproche de sampef, on constate qu’il est un peintre indépendant, parce qu’il n’appartient à aucune école ; pharmacien de profession, il est entré dans la peinture de façon banale et il a cultivé l’esprit d’un peintre pour arriver à ce stade. Le premier tableau du livre présente un paysage maritime ; ce paysage renvoie à l’Afrique imaginaire, puisqu’il n’y a pas de mer à Foumban, mais j’imagine que le peintre dessine l’aurore guadeloupéen d’où il a longtemps résidé. « Des baobabs et des clameurs s’élèvent… les chants, les hymnes et des victoires » de toute façon le peintre dans son éloignement se rappelle de l’aurore boréale de l’Afrique où chaque réveil d’un homme est une victoire.
Le paysage montre également le désir de voir l’autre rive, et la nostalgie de son continent si éloigné j’imagine. Les paysages évoquent l’étendue, présentent un chatoiement de couleurs et des nuages, les apparences bleues du ciel, la douceur du sable et le soleil lointain, qui créent une nuance dans le regard du peintre. Mais ce qui inquiète ici, c’est la nature qui est muette, et on entend des clameurs. De qui ? Il n’y aucun oiseau dans l’espace ; alors qu’à l’aurore, il y a toujours la présence de ses oiseaux qui donnent espoir à l’homme. On aperçoit un piroguier assez loin, un seul, qui part ou bien qui arrive ? Comme ces artistes autodidactes qui peignaient comme l’oiseau chante, c’est-à-dire avec une liberté, une innocence et une fraîcheur d’esprit, Sampef réussit le tableau et laisse le soin à chacun d’interpréter. On arrive « à la porte des tranchées. » Là aussi un bâtiment s’égrène dans un espace isolé le seul bâtiment qui s’impose, on sait qu’il s’agit de l’entrée d’une chefferie, ici également pas de relief, et on ne peut imaginer un climat, ni le mode de culture parce qu’il n’y a aucun homme, aucun animal, qui exprime une rareté, nous avons affaire à une terre rouge on s’imagine l’ouest du Cameroun, les chefferies sont entourés d’un vaste esplanade, tout semble rassemblé à un seul bâtiment, mais on sait que la porte « s’ouvre et se ferme en toute majesté comme le flux et le reflux des océans, » la porte qui se veut mystérieuse est infranchissable.
De quelle porte s’agit-il ? On sait que les portes mystérieuses sont indescriptibles. Pourquoi le poète donne-t-il les clés ? Le style de ces deux personnages donne des constances sensations la peinture a enrichi la poésie et vis-versa, mais la vérité, c’est que le peintre sait le fond de sa peinture, comme le poète sait le fond de sa pensée, on s’enrichit dans deux dimensions des arts majeurs, du réel et de l’irréel, du temporel à l’intemporel. Nous sommes marqués par deux artistes qui nourrissent notre inspiration, continuons et allons au tableau Tata, présente une église, là aussi aucun fidèle, ni prédicateur, seuls des bancs et une grosse croix, et le cri du poète s’entend, « Ô puissante céleste, o Dieu d’amour Dieu d’éternité… Les portes seront toujours ouvertes », comme pour marquer la désertion des hommes ou l’indifférence ? Les portes sont ouvertes, mais personne n’y pénètre comme chez Kafka dans le procès, « cette porte n’était faite que pour toi,… maintenant je pars et je ferme » d’une manière ou d’une autre, il y a une profondeur chez le peintre qui veut changer les hommes en utilisant son pinceau, veut-il susciter une prise de conscience ou provoquer des changements, la peinture dans la religion crée un fondement qui n’a pas de limite, c’est pourquoi l’homme a cette soif intarissable d’inspiration à son encontre, c’est à ce niveau que tous deux entrent dans l’intemporel.
Je dirai dans l’irréel, mais la chose de l’église ne dépasse-t-elle pas notre raison ? Comme dit pascal « l’immensité de cette entendue m’effraie », peut-on vraiment en parler ? Les artistes, ne sont-ils pas limités à l’aspect extérieur, ont-ils visité longtemps l’intériorité de la chose ? Passons à la peinture du roi Mbombo Njoya, le poème consacré commence par le ver « derrière sa paire de lunettes, se cache un regard lumineux » là aussi il y a le ton emphatique, les lunettes cachent un regard qui serait éblouissant si elle n’y était pas » la peinture est frappante, on a l’impression de voir le roi lui-même sur le tableau, moi personnellement, je ne fixe pas longtemps, on dirait un filtre qui pénètre mon esprit. Le poète vient confirmer par ces mots de pouvoir, « l’onction bienfaitrice de nos ancêtres. » Cette poésie fait vibrer le cœur, elle colle notre pensée sur un roi. C’est là où réside toute la richesse du livre. Le livre est riche. Il rejoint en un seul homme presque toutes les voix de l’art Bamoun. Un poète, c’est aussi un historien, un chercheur de sphère lointaine, une sentinelle dont le travail se fait dans le silence, comme le peintre, le poète a besoin du silence pour créer ses œuvres.
Terminons maintenant avec Moma’ah, un chef d’œuvre contemporain, toute l’histoire est marquée sur un tableau, le tableau est anthologie, d’abord par sa beauté et son décor, les mots prononcés par le poète le caractérise, « l’aigle royal » « ton olympe serein » « ton doux parfum » « ton esprit bienveillant » « le temps et l’espace», des mots qui résument un pan entier de toute l’œuvre et qui montrent l’engagement sereine de l’un comme de l’autre, le tableau décrit tout, il chante tout, il évoque tout, il inspire tout, comme un monument ou un symbole remit par Dieu lui-même au maitre des lieux. C’est un tableau de la vie dans son errance, son aventure terrestre, son rapport avec les cieux, son désir de voyage, la quête de son âme, un dialogue avec le néant, dans les mouvements de l’homme. Toute peinture ou toute poésie chante la douleur, les désirs et les espoirs, c’est dans ce tableau que devrait germer vraiment les graines de l’émotion poétique, porteuse du sacré, afin que cette peinture reste jeune et toujours fleurie. La peinture comme la poésie sont indispensables, parce qu’elles sont la beauté et l’homme a besoin de cette beauté comme l’eau qui étanche sa soif, la peinture est d’abord un langage de fait, et la poésie un langage réaliste. Il est comme le géomètre qui s’introduit sur un espace pour prendre des mesures.