Mag-Afriksurseine-Mars-2024

LA PHILOSOPHIE AFRICAINE ET ANTON WILHELM AMO

Depuis les premières lueurs de l’indépendance, la question de l’existence d’une philosophie africaine a hanté l’esprit des penseurs du continent. Cette interrogation profonde a engendré une véritable problématique, divisant les Africains en raison du désir d’attribuer une identité spécifique à leur manière de penser. Les enjeux idéologiques, culturels et politiques ont varié selon les régions : Afrique centrale, Afrique de l’Ouest, Afrique australe.

Le Révérend Père Placide Tempels, missionnaire belge au Congo, fut le pionnier de cette réflexion en publiant en 1948 « La philosophie bantoue ». Ce texte provoqua des réactions passionnées parmi les premiers intellectuels africains. Léopold Sédar Senghor, y décelant une confirmation des thèses du mouvement de la Négritude, considérait l’œuvre comme une valorisation des valeurs culturelles du monde noir. Alioune Diop, fondateur de la maison d’édition Présence Africaine, salua cette publication avec enthousiasme : « Voici un livre essentiel au Noir, à sa prise de conscience, à sa soif de se situer par rapport à l’Europe. »

 

Pour Aimé Césaire, cependant, l’ouvrage de Tempels représentait un système justificatif de la colonisation et un outil idéologique de persuasion pour l’évangélisation des Africains. Les débats furent tumultueux tout au long du processus d’émancipation, cette thématique devenant un sujet central dans les programmes scolaires des terminales africaines à partir des années 70. La question fondamentale demeurait : les Africains ont-ils philosophé avant l’arrivée de l’esclavage ou de la colonisation ? Si tel est le cas, comment en reconnaître les manifestations ?

Les recherches ont révélé les traces d’un penseur ghanéen, Anton Wilhelm Amo, offrant ain Anton Wilhelm Amo, né vers 1703 en ce qui est aujourd’hui le Ghana, est l’un des premiers philosophes africains à avoir reçu une éducation européenne et à avoir contribué de manière significative à la philosophie occidentale au XVIIIe siècle. Capturé et vendu comme esclave, il fut emmené en Europe où il devint la propriété de la famille d’Antoine Ulrich, duc de Brunswick-Wolfenbüttel. Le duc, contrairement à ce qui se pratiquait généralement, traita Amo avec respect et le fit éduquer. Amo étudia à l’Université de Halle et à l’Université de Wittenberg, où il obtint des diplômes en philosophie et en droit. Il devint plus tard professeur et enseigna à l’Université de Halle et à l’Université de Jena.

Ses travaux philosophiques, bien qu’écrits dans le contexte de la pensée européenne, démontrent une profondeur de réflexion et une originalité qui témoignent de son intellect remarquable. Parmi ses œuvres les plus notables, on trouve « Dissertatio Inauguralis Philosophica de Humanae Mentis Apatheia » (Dissertation inaugurale philosophique sur l’apathie de l’âme humaine), où il soutient que l’esprit humain ne peut être affecté par des influences physiques. Ce travail s’inscrit dans une perspective rationaliste et matérialiste, contrastant avec les idées cartésiennes prédominantes de l’époque.

Malgré son succès académique, Amo fit face à de nombreuses difficultés en raison de son origine africaine et finit par retourner en Afrique vers la fin de sa vie, probablement désillusionné par le racisme et les préjugés en Europe. Il mourut vers 1759 dans l’actuel Ghana. Anton Wilhelm Amo est aujourd’hui reconnu comme une figure pionnière qui a ouvert la voie à une reconnaissance plus large de la contribution des Africains à la pensée philosophique mondiale.

(Sources  anciens cours de philosophie terminale, philosophie bantou rwandaise, Placide Tempels, discours sur le colonialisme, Aimé Césaire, Marcien Towa, essai sur la philosophie africaine)

Loading

Tendances

A Lire aussi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut