Le ciel politique du grand Mbam donne des signes d’orages annonçant des scènes qui seront des temps de mécontentement. Les querelles qui ont commencé peuvent avoir des répercussions néfastes sur la géopolitique de la région. De quoi s’agit-il ? Certaines élites ont fait surgir, par l’entremise d’une lettre adressée au président de la République, des doléances. Une situation inédite que le Mbam expérimente à travers des noms jusque-là peu connus. A l’approche des présidentielles, il est normal que des personnalités nouvelles s’affirment pour ne plus avoir à s’aligner sur les leaders traditionnels.
C’est aussi un test de leur capacité à s’imposer dans un milieu toujours fermé où l’on évolue en clans. Alors ils se sont dit. Pourquoi ne pas se présenter au peuple pour se voir investir d’une nouvelle destinée ? C’est la réflexion que s’est faite cette rencontre occulte, qui se dit venue parler au nom de la jeunesse. Une jeunesse délabrée, accusée de tous les maux, qui observe une classe politique clouée au pilori, une classe politique qui n’inspire plus confiance et dont la réputation s’effrite de jour en jour. Continuer à voir cela s’apparente à une complicité déshonorante. Les jeunes élites galvanisées se sont décidées, au nom des valeurs qu’ils semblent prôner dans cette lettre. Ils demandent au pouvoir en place d’agir… d’agir vite avant les prochaines élections. Ceci au nom des Mbamois tout entiers.
Ils demandent formellement de répondre à leur exigence, sinon ils ne « signeront plus le chèque en blanc du RDPC ». Ils donnent aussi les plans et les orientations conçus à « l’unanimité ». Quelle en est la quintessence ? La lettre commence par une réunion marquant l’espace-temps. Nous sommes le 26 juillet 2024, au domicile du frère Bongueyogo Amassala Joachim. « Des élites jeunes cadres, hommes d’affaires, chefs traditionnels et leaders d’opinion Mbamois ont décidé de faire le bilan de leur idylle politique quarantenaire avec le renouveau. » Les mots qui frappent d’entrée de jeu ici sont : élites jeunes cadres, hommes d’affaires, leaders, idylle politique. Avec ces mots, comme on dit chez nous les Babouté : le colis est attaché. Premièrement, ils reconnaissent leur jeunesse, mais se considèrent comme des élites. Ce qui veut dire qu’ils se démarquent des vieux et s’affirment comme ayant pris leur destin en main, puisqu’ils parlent du bilan du renouveau. On fait le bilan à la fin d’un exercice ; donc les gars placent le renouveau dans le passé.
Et ils évoquent la quarantaine, qui ici, symbolise l’âge adulte d’un homme. À quarante ans, on demande à tout homme les comptes de sa vie. Par ailleurs, ils reconnaissent au milieu d’eux des hommes d’affaires, pour affirmer leur indépendance financière vis-à-vis des vieux et pour montrer qu’ils ont des soutiens pour des attaques de toute nature. Ils évoquent la présence des chefs traditionnels pour dire qu’ils ont l’onction de ceux-ci. Le terme leader montre également qu’il faut désormais reconnaître parmi eux des personnes qui parleront en leur nom, dans une idylle politique, comme pour dire qu’ils ne viennent pas régler des comptes ou s’opposer radicalement, mais qu’ils recherchent une idylle, autrement dit « une nouvelle alliance ». La première phrase du texte donne le ton de toute la quintessence de cette lettre.
Pour ces nouveaux leaders, ils expriment aussi leur ras-le-bol, parce qu’ils estiment avoir été floués. Mais par qui donc ? Disons-le, le grand Mbam a toujours été, je dirais, docile. C’est un acquis du pouvoir en place, mais contrairement à d’autres régions rebelles, ils affichent un retard lamentable. Ils citent les noms des éminentes personnalités Mbamoises qui ont occupé des postes importants au sein du renouveau, choisis selon des critères objectifs parce qu’ils sont non seulement intègres, mais qu’ils possèdent l’expérience politique, la compétence, la moralité et d’autres exigences qui caractérisent la noble fonction d’homme et de femme d’État. Une posture qui, en fait, se veut le socle d’un grand Mbam participatif. Avant d’aller plus loin, je souhaite faire une première observation.
Premièrement, leurs revendications sont légitimes. En tant que Mbamois et en tant que Camerounais, ils ont la liberté de faire des doléances au pouvoir en place. Deuxièmement, ils ont raison de se démarquer de l’élite traditionnelle qui étouffe l’émergence des jeunes. C’est une particularité dans le Mbam. Les rivalités avec les jeunes ont entraîné jusqu’à des assassinats. C’est très fréquent d’éliminer les jeunes concurrents Mbamois si l’on n’est pas coopté par les anciens, ou si l’on ne s’aligne pas. Il faut s’attendre à une mort violente ou douce. Je me réserve de citer les noms des jeunes qui sont morts très tôt et dont nous savons qu’ils avaient été écartés par des rivaux politiques. Troisième observation, cette lettre montre aussi des personnes en mal de notoriété, puisqu’on ne sait pas d’où ils viennent et où ils veulent aller. On ne sait pas ce qu’ils ont déjà fait en tant qu’élites. Quelles sont leurs réalisations ? Qui ont-ils déjà aidé ? Qu’ont-ils fait que l’on a vu ? L’État ne doit pas tout faire.
Nos voisins les Bamilékés ont construit leur région. C’est 80 % des élites Bamilékés qui ont construit l’ouest. À Bafia, on peut compter cinq ou six belles maisons, dont trois appartiennent à ceux qui sont à l’extérieur. Il y a lieu de dire que cette lettre montre tout simplement un strabisme divergent, des personnes louches. Une lettre qui ne parle pas des vrais problèmes comme la flambée de l’insécurité dans le Mbam, elle ne parle pas des problèmes de chômage dans les villages de la région. Elle ne parle pas du monde paysan et des tracasseries policières. La lettre ne parle que des postes de responsabilités que tous lorgnent. En demandant le rattachement des deux départements séparés il y a une trentaine d’années, les auteurs de cette lettre montrent qu’ils ne connaissent même pas la culture et les villages du grand Mbam.
Nous sommes tous des Mbamois, mais nous sommes très différents les uns des autres. Certaines localités se prennent pour des leaders et veulent parler au nom des autres, pourtant ils ont du mépris pour certains peuples. Ils manifestent un complexe de supériorité lorsqu’on se retrouve en société. On comprend bien que cette lettre surprise n’est qu’une manifestation de leur propre promotion, des véritables leviers vers des ambitions. C’est malsain.
C’est dans cet esprit que les très grandes élites, dans une colère visible, tout aussi idéaliste, ont rejeté en bloc ce pseudo-mémorandum. Comme pour dire que le renouveau est parfait avec le grand Mbam ? La réponse à la première lettre cite des noms pour montrer que le renouveau a toujours choisi des hommes de qualité de tout bord et que les hommes d’affaires ont bénéficié des largesses du renouveau. L’esprit de cette réponse veut montrer à ces jeunes élites qu’ils n’iront nulle part. Voilà les conséquences dont je parlais plus haut lorsqu’on veut contourner ces structures solidement enracinées. De toute évidence, on constate bien que la réponse au mémorandum veut que tout le système qui doit parler au nom des Mbamois vienne du « ciel ».
Le clan établi en dehors des anciens est imparfait. Ceux qui écrivent ou parlent sans demander la permission sont pourris. Et si jamais, par hasard ou par pur malheur, ils sont sur un poste éjectable, soyez sûrs que leurs noms sont déjà quelque part. Le leadership dans le Mbam mène à la déchéance. Mais je suis pour une nouvelle force politique loyale dans le Mbam et j’invite les jeunes à cette curiosité pour ne pas rester enfermés dans le carcan des leaders traditionnels. La solution du problème du Mbam réside entre les mains des Mbamois sans exclusive. Qu’ils soient ouvriers, paysans, artisans, intellectuels ou professionnels.
Ce sont eux qui souffrent au quotidien des maux de ce pays qu’ils essaient de citer dans leur lettre. C’est au compte-gouttes que l’on obtient les infrastructures, l’agriculture a des problèmes pour évacuer ses produits, l’industrie est rare, les services administratifs désuets ; l’éducation souffre de manque d’enseignants et d’équipements ; la santé et le logement sont embryonnaires. Ce sont eux qui subissent les contrecoups de l’incompétence et de la corruption, ce sont eux qui vivent au quotidien sur le terrain, ce sont eux qui travaillent et qui sont au chômage. Il ne saurait donc y avoir de solution en dehors d’eux. Le renouveau, s’il doit encore tenir, doit tenir compte de tout le monde. On ne peut miser sur la qualité de quelques individus super-hommes traditionnels, puissants et indéracinables. Il faut partir de l’hypothèse que tout Mbamois est une personne. C’est un processus de rectification et une nouvelle élite peut être appelée aux affaires.