Mag-Afriksurseine-Mars-2024

Souvenirs de deux scènes de violences faites aux femmes

J’avais six ans quand j’ai été témoin, pour la première fois, de scènes de violence inoubliables infligées aux femmes. Ce souvenir demeure gravé en moi, comme une cicatrice indélébile. Cela s’est produit un jour où ma grand-mère et moi étions dans la forêt, à la recherche de bois morts pour allumer le feu. Le calme paisible de la nature fut soudain déchiré par des cris stridents, des lamentations qui glacent encore mon sang.

Une voix de femme, brisée par la douleur, appelait au secours. Inquiète, ma grand-mère cessa ce qu’elle faisait. « Allons voir », dit-elle simplement. Nous suivîmes la direction des hurlements. Quelques instants plus tard, nous découvrîmes une maison bien construite, une sorte d’abri aménagé dans la forêt, probablement pour les récoltes. Mais les lieux, bien que inconnus des habitants de notre village, semblaient habités à l’année par un couple. Ce que nous découvrîmes ce jour-là m’a marqué à jamais. La femme gisait dans une mare de sang. Son œil droit était crevé, son visage ravagé par la douleur. Elle pleurait, inconsolable, et lorsque ma grand-mère tenta de la toucher, le sang jaillit, maculant ses mains. L’homme, son mari, était dans la cuisine, affairé à chauffer de l’eau.

Ma grand-mère, indignée, l’interpela : « Vous vivez ici tous les deux… Qu’a-t-elle pu faire pour mériter une telle violence ? » Sa réponse fut glaçante. Il expliqua, presque avec désinvolture, que tout cela était la conséquence d’un sac de farine de couscous. Il avait étalé la farine de manioc  dans la cour pour la faire sécher et demandé à sa femme de veiller dessus. Mais elle, encore ensommeillée, s’était rendormie. Pendant ce temps, les moutons avaient dévoré la farine. Fou de rage, il l’avait battue violemment. Nous ne pûmes supporter davantage cette scène. Ma grand-mère me prit par la main, et nous quittâmes les lieux, son visage marqué  d’un mélange de colère et de désolation.

Depuis ce jour, je n’ai jamais levé la main, même sur une mouche.

La seconde expérience de violence marquante eut lieu peu de temps après, encore en compagnie de ma grand-mère. Une nuit, notre voisine se réfugia chez nous. Elle avait été sauvagement battue par son mari, si brutalement qu’elle vomissait du sang. Entre deux gémissements, elle nous raconta qu’il lui avait infligé une violence inouïe. Ses côtes étaient fracturées. Elle ne pouvait plus rentrer chez elle et nous supplia d’appeler ses parents pour la secourir. Je me souviens avoir traversé à pied le village voisin pour prévenir sa famille. Ils vinrent la chercher, et elle s’en alla.

Un mois plus tard, elle était morte.

Je me souviens encore des mots de ma grand-mère ce jour-là : « Te souviens-tu de cette femme qui était venue se réfugier chez nous ? »

Je répondis oui, et c’est alors qu’elle m’annonça son décès. Le silence s’installa entre nous, un silence lourd de sens.

À travers mon regard d’enfant, ma grand-mère devina que j’avais compris ce qui s’était passé. Des années plus tard, en 1985, lors d’une visite à Ngoro, je recroisai l’homme, son mari.

Il m’interpella : « Pourquoi ne viens-tu jamais me saluer quand tu viens au village ? »

Je lui répondis sans détour : « J’aurais aimé saluer maman M. » Il baissa les yeux et murmura qu’elle était morte.

« Je sais, dis-je. Elle a séjourné chez nous une semaine avant de mourir chez ses parents. »

Il se détourna alors, s’éloignant sans un mot.

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