Mag-Afriksurseine-Mars-2024

Chronique d’un voyageur au cœur de Lagos

L’aventure me menait à Lagos. Ah, Lagos ! Ce nom aux résonances presque mystiques qui, déjà enfant à Nkongsamba, éveillait en moi des rêves d’ailleurs. Mamy Lagos, cette vieille marchande de tomates au Marché B, portait le nom de la ville. « Là-bas, tout est possible », disait-elle. À Lagos, la promesse d’infini s’inscrit en lettres invisibles, comme à Athènes au fronton de la ville c’est inscrit  : « This is Lagos. »  Ces mots, simples en disent long. Ils évoquent une métropole où le tumulte du monde noir prend vie, une ville qui bat au rythme effréné de son mouvement de masse. Gigantesque Lagos. Elle est gigantesque, disons Lagos c’est une mégapole.

C’est Trois fois Kinshasa, quatre fois Abidjan, six fois Dakar, trois Douala réunies. Ici, tout semble hors d’échelle, à commencer par les hommes : plus de trente millions d’hommes et femmes  se croisent, se pressent, se bousculent dans ce carrefour humain où modernité et tradition s’entrelacent. Les grands bâtiments,  arrogants et majestueux, s’élèvent comme des totems de prospérité, mais leur ombre effleure les ruelles où l’histoire, parfois douloureuse, s’accroche encore. Le chaos règne, surtout sur les routes où les klaxons forment une symphonie dissonante. Et pourtant, au-delà de ce désordre apparent, Lagos respire une spiritualité qui transcende l’agitation. Aux carrefours, des haut-parleurs chantent des chants  célestes, tandis que des fidèles d’une église se recueillent et  prient à l’ombre d’un arbre.

La ville, malgré son tumulte, semble connectée à une énergie intemporelle, un fil tendu entre le ciel et la terre. Je me perds dans cette masse humaine qui défile comme un fleuve héraclitienne. Les visages passent, anonymes, et je n’en reconnais aucun. Pour un simple passant, ce n’est rien, mais pour l’écrivain que je suis, c’est un spectacle fascinant. L’incognito devient une richesse : je capte, j’observe, je décris, laissant chaque instant se graver dans ma mémoire comme une fresque d’humanité. Contrairement aux préjugés, tous ceux que je rencontre se révèlent accueillants. C’est ainsi qu’un matin, alors que je cherche la gare routière pour Cotonou, je m’arrête devant un boutiquier qui ouvrait son échoppe. Je lui demande mon chemin. Avec une lueur déconcertante il déclare :  « It’s very far from here, wait, I’ll accompany you, » (c’est très éloigné d’ici attend je vais t’accompagner)  dit-il en arrêtant un taxi. , il referme sa boutique. Mon appréhension monte – monter dans un taxi au Nigéria avec un inconnu, dans un taxi, c’est une aventure risquée.

Mais il devine mes doutes et m’assure qu’il paiera le trajet. Le voyage, pourtant court sur une carte, devient une épreuve. Trois heures d’embouteillages, de vieilles voitures enchevêtrées, d’exaspération silencieuse nous bloque la route toutes les 15 minutes. Enfin, nous arrivons. L’homme veille à ce que j’entre dans le bon car, à ce que je sois en sécurité. Reconnaissant, je lui tends un billet pour compenser le temps perdu. Il secoue la tête, un sourire lumineux : « I don’t need it, have a good trip and God bless you. » (je n’en ai pas besoin, fais un bon voyage et que Dieu te protège) Ce geste me bouleverse.

Il a sacrifié sa journée pour un passant et il refuse  toute récompense, et repart pour trois heures de trajet sans plainte. Les Nigérians, je peux l’affirmer, ne laissent jamais un voyageur seul. C’est leur culture, leur humanisme. Ces instants me rappellent pourquoi, au camp Yabassi, j’ai toujours eu cette habitude de partager à boire avec eux, ces gestes simples, un élan  souvent incompris d’eux, mais  qui résonnent profondément en moi. La vie, je l’ai appris, est une école, et les voyages en sont les plus grands professeurs. Ils nous enseignent, non pas à travers les paysages, mais à travers les gens, ces anonymes au grand cœur qui illuminent notre chemin, ne serait-ce qu’un instant.

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