Le décès de Monsieur Jean Claude Wouri a suscité une profonde émotion parmi ses anciens élèves dispersés à travers le monde. Les deux premiers articles que j’ai publiés hier ont attiré l’attention de nombreux anciens élèves, avides de comprendre les circonstances de ce départ soudain. Malheureusement, je ne disposais pas de plus d’informations qu’eux. Face à cette situation, il ne restait qu’une chose à faire : recueillir et partager leurs témoignages. Parmi ces témoignages, l’un m’a particulièrement touché. Si bien que j’ai demandé à son auteur de me faire parvenir un enregistrement audio afin de pouvoir le reproduire et le partager avec toute la communauté qui connaissait monsieur le Délégué. Voici donc le témoignage de Rollin Matiké, ancien élève du lycée d’Eboné, près de Nkongsamba, durant les années 1992-1997.
Par Rollin Matiké depuis Paris.
« J’ai eu la chance d’avoir Monsieur Jean Claude Wouri comme professeur d’histoire-géographie, de la 6ème jusqu’à la classe de terminale. Je me souviens comme si c’était hier de nos salles de classe à EBONE, petite ville près de Nkongsamba, dans ses modestes tenues, de son bureau situé à l’estrade de la cour de récréation, mais également des interminables devoirs à la maison, des croquis minutieux des pays sur le tableau, et des mercredis après-midi passés à apprendre les grands noms de l’histoire. C’était dans les années 1992 à 1997.
Il était un brillant professeur d’histoire et de géographie, un homme passionné et qui avait une expertise rare dans son domaine, qui a véritablement excellé. Son enseignement transcendait la simple transmission de connaissances ; il insufflait en nous un véritable amour pour l’histoire, nous faisant voyager à travers les époques et les continents avec une aisance et une ferveur qui demeurent inégalées. Monsieur Jean Claude connaissait parfaitement le monde contemporain ainsi que l’histoire des sociétés passées, et il transmettait ce savoir comme s’il avait été un témoin oculaire.
Chaque leçon avec Monsieur Wouri était une aventure intellectuelle, un moment de découverte et de fascination. Son érudition et son dévouement nous a marqués sérieusement. Je garde de lui le souvenir d’un professeur exigeant – voire parfois intransigeant – dont la volonté de voir progresser ses élèves n’avait d’égal que son dévouement envers eux. Mais au-delà de sa rigueur, Monsieur Jean Claude était avant tout un passionné d’histoire qui m’a transmis sa passion qui nous a aidé dans les études supérieures. Ses élèves sont dispersés partout dans le monde, et plusieurs, une fois à l’université, ont choisi cette matière pour la suite de leur carrière en souvenir de lui.
Monsieur Jean Claude était un homme loyal, direct, un militant rare des droits humains, et un modèle de social-démocrate engagé. Il a beaucoup œuvré à la concrétisation des projets scolaires. Nous savons aussi qu’il avait été strictement recommandé par Robert Mbella Mbappé, alors ministre, qui souhaitait que son village, Eboné, soit encadré par des enseignants de haut niveau. Il est des professeurs « charnières » dans un cursus scolaire, ceux qui provoquent un déclic et vous font prendre passion pour un sujet, une matière, voire un personnage. À ce titre, Monsieur Jean Claude a été pour moi ce professeur charnière qui a laissé une trace indélébile dans mon esprit.
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai appris son départ si brutal alors qu’il était devenu délégué à l’éducation dans la ville de Ntui. Je n’ai même pas encore annoncé son décès à d’autres camarades dans le monde ; je connais d’autres anciens élèves qui seront aussi bouleversés, car dans nos souvenirs de lycée, ici en Occident, nous ne parlions que de lui. La douleur est insupportable ; c’est une terrible nouvelle que d’apprendre la disparition d’un homme qui semblait encore en pleine forme. Monsieur Jean Claude a marqué nos enfants par sa passion pour son métier et son savoir-faire.
Que de souvenirs pour un homme qui avait l’ambition de faire comprendre à nos enfants l’importance de l’histoire et, surtout, sa méthodologie. Les mots sont si dérisoires pour exprimer notre chagrin de le voir partir si tôt, bien trop tôt. En tant que professeur, on retient également sa sympathie envers les élèves, qui n’étaient jamais ses ennemis. Il ne me reste plus qu’à dire repose en paix avec toute ma gratitude, ma reconnaissance, ma sympathie et mon respect. Vous laissez le souvenir d’un homme et d’un professeur exceptionnel en tous points, qui aurait mérité de profiter de sa retraite. Mais on ne peut rien devant la fatalité. »