Interview réalisée par Basile Netour et Abdourahman Bindowo(Djabbar)
L’humanité est semblable aux myriades d’étoiles qui scintillent dans le ciel. Amadou Palou Zoua alias Amadou Raza, figure bien connue de la culture septentrionale du Cameroun, a accepté de se confier pour nous parler de lui et de l’art en général dans la zone soudano-sahélienne du Cameroun. Cet entretien mené à bâtons rompus restera dans les années comme une mémoire vivante, je ne vous en dis pas plus lisez plutôt.
Bonjour Amadou Raza. Bon après-midi, nous sommes heureux de vous rencontrer aujourd’hui et de nous entretenir avec vous ; avant d’entrer dans le vif du débat pouvez-vous nous parler de vous et de présenter votre région ?
Oui, je m’appelle Amadou Palou zoua. Je suis né le 21 juin 1966 à Garoua. Je suis un artiste multidisciplinaire. Je fais de l’art plastique. Je suis dramaturge, scénographe, commissaire de festival. Je suis également maître de cérémonie…
Quel a été votre parcours scolaire ?
J’ai fait mes études primaires à l’école principale des garçons de la ville de Garoua, secondaires au lycée de Guider et supérieures à l’Advanced Institut of Technology de Kano option sciences du bâtiment. D’où je suis sorti ingénieur en génie civil. Après le bac à Garoua, j’ai pris le chemin de l’Europe avec un ami, un certain Ndjock Aurélien. Arrivé en Algérie, clandestinement bien entendu, je change d’avis et retourne sur mes pas pour m’arrêter au Nigeria où je fais mes études supérieures comme mentionné ci-haut. Artiste dans l’âme, je me suis retrouvé à faire des spectacles de one man show ou stand up dans des espaces francophones, toujours au Nigéria. Je peignais des toiles que j’exposais dans les rues de kano, Maiduguri sans oublier la décoration des camions.
Dans quel contexte s’est effectué cette formation ?
Eh bien, j’ai commencé par la peinture dont les bases m’ont été enseignées par le père André Morin, un prêtre français, à guider. Il s’est rendu compte que j’étais un bon artiste. Il m’a donné les bases du dessin, puis de la peinture artistique. Eh bien, je me suis amélioré au fur et à mesure, peignant, illustrant le journal du Lycée et faisant des affiches et d’autres choses que je continuerai plus tard a faire une fois au Nigeria où, j’ai également fait l’architecture.
Justement cette étape de l’architecture nous intéresse, parlons-en.
Je voulais aller dans une École Polytechnique. J’ai fait du génie civil, ce qu’on appelait là-bas, la science du bâtiment. A côté, il y avait un espace d’entraînement connexe. J’ai fait une spécialisation en mise en scène à Lagos, dans un institut appelé l’Institut des Sciences de la Communication Africaine. Je devais faire les décorations, je devais avoir les rudiments de la danse. Donc, au final, j’étais un artiste complet, formé à la danse, à la musique, à la peinture… Alors, quand je suis revenu…
Parlons maintenant de votre retour au pays.
Oui, j’y revenais de temps en temps. J’étais sociétaire du théâtre la Bénoué dans les années 80. J’étais sociétaire des paladins du Nord. J’ai créé une troupe avec Jean-Marie Mengue-Otou, feuilletoniste, je pense à la CRTV. Il était d’abord ici en premier. Nous avons fait le Théâtre des Piliers.
En quelle année ?
En 1985 ou 1986, si j’ai bonne mémoire. Après ça, je suis allé au Théâtre Phoenix du Nord. En parallèle, je faisais de l’art plastique. J’ai fait des portraits, des peintures, des sérigraphies… J’étais le directeur du festival des arts plastiques et graphiques de Garoua jusqu’à sept éditions. Eh bien, j’ai collaboré avec de nombreux artistes. J’ai été metteur-en-scène pour le Théâtre du Progrès, la troupe Alhéry, la Troupe des Jeunes de la Maison des Jeunes de Garoua avec qui on a fait des spectacles à Ebolova, Mbalmayo, Tokomberé . J’ai joué plusieurs pièces, presqu’une soixantaine.
Amadou Raza, parlons à présent de votre vie professionnelle,
Oui. Je travaille, je travaille beaucoup et évolue en freelance, je suis indépendant. Je travaille pour des entreprises. Je fais le suivi des travaux, la conception, la construction. Et j’entreprends aussi. Je suis le directeur de l’entreprise Raza Cameroun.
Alors tu es vraiment une figure de la culture au Nord Cameroun ! Quelle est votre regard sur la culture camerounaise.
A chaque individu son temps. Quand je pense à l’époque où on a commencé, parce que j’ai commencé le 10 février 1976 par le théâtre, c’étaient les arts en général et, en grandissant, j’ai continué dans la même lancée avec le théâtre, l’art plastique, la décoration scénique. Bien après j’ai fait une formation de metteur en scène à Lagos. J’ai fait réalisation, option science-fiction. Eh bien, je suis devenu un entrepreneur culturel ! Entre autres, je produisais des spectacles dans des villages avec les Sanda Oumarou, Koulakayefi.
Je n’ai pas fait de show avec Alibaba. J’ai fait une tournée dans le cadre d’un concept, « l’arbre de Noël » pour les enfants des travailleurs de la SONEL de Maroua, Garoua…Avec Isnebo, Sali Ngomdje et autres. Alors j’ai initié l’écriture dramatique, on a organisé des séminaires, des ateliers sur le théâtre en général. J’ai préparé le FESTAC, Festival des Arts et de la Culture de Douala en 1988. Puis il y a eu le FENAC, Festival National des arts et de la culture du Cameroun en 1996 à EBOLOWA … A côté de l’encadrement, je continue à peindre. Ma maison a été détruite et j’ai perdu tous mes manuscrits ainsi que certains de mes tableaux. Tendant vers ma retraite, il faut se remettre au travail pour produire d’autres œuvres.
Dites-nous, notre Région a-t-elle connu un âge d’or sur le plan culturel ?
C’est par rapport à l’angle de vue. Pour certains, c’est bien, pour d’autres, ce n’est pas bien. Aujourd’hui, on voit des jeunes comme Kalkaissa et Ousmane sur le plan international qui s’affirment. On a eu le temps d’Ali Baba, mais c’était une autre époque, une autre méthode aussi. Garoua était une maison de la culture à une certaine date. De nombreux artistes sont passés par Garoua venant du sud. Les Titans de Garoua, par exemple, qui ont lancé le Bikutsi moderne avec Elanga Morris dit Elamo, Messi Martin et autres…
Avez vous connu Toubo Martin ?
Non, pas vraiment
Il était tailleur à Garoua et s’appelait Prince Martin Toubo, Il enregistre une chanson à Radio Garoua et c’est Zozabe Isaïe qui l’accompagne. Il s’agit de prince AFO A KOM, il est passé par Garoua comme beaucoup d’autres artistes.
Quels sont les obstacles à la culture au Nord Cameroun ?
I y a un problème dans le Nord avec, dans les esprits, l’influence islamo-peuhle qui stratifie la société en aristocrate, noble et le reste parmi lesquels les artistes qui sont méprisés ; personne, ici, n’aimerait voir son fils devenir artiste, un griot dont l’aspect d’amuseur public est mis en avant au détriment de mémoire du peuple qu’il représente, une pesanteur socioculturelle qui a un impact sur le développement de la culture dans la région. Ali baba, qui a percé, est une exception tout comme Abdou Benito et les suivants qui se sont ouverts au monde en s’émancipant a travers le cinéma (la dance indou chez Ali baba dont le talent sera reconnu et qui lui permettra d’intégrer le ballet national de Yaoundé), La musique (la chanson française chez Abdou Benito) pour ne citer que ceux-là.
Les premiers bars qui ouvrent à Yelwa à l’époque, Fédéral Bar, notamment, étaient pour eux un laboratoire où ils partaient lorgner et qui les a influencés en réveillant leurs fibres artistiques. Aujourd’hui, avec l’ouverture des structures comme l’Alliance, les jeunes sont sur leurs pas comme isnebo qui, lui, a trouvé sa voie en rencontrant d’abord le groupe Roka Fiesta de kouli Michel a Maoua alors qu’il était élève au Lycée de Mora, je crois. Il avait un professeur qui était pluridisciplinaire avais qui j’avais presté une fois, bon chanteur et bon guitariste, comédien aussi et qui un jour m’avait parlé en bien d’Isnebo ne sachant pas ce dernier était un frère donc, le parcours de l’ami du regretté Tom Yoms est à part. Moussa Lamou, de regrettés mémoires, homme de culture lui aussi, est l’un de ces artistes du Nord qui a œuvré pour le développement de la musique dans le septentrion, certains des musiciens ci-dessus cités lui doivent ses largesses ; Ali Baba, par exemple, dont la majeure partie des chants ont été composés par lui.
On a fait le douloureux constat que l’art au nord Cameroun, s’exerce plus chez les hommes que les femmes, pouvez-vous nous dire les raisons de cette disparités ?
L’influence islamo-peuhle, nous l’avons déjà évoquée ci-haut, fait partie des causes, car la femme ne doit pas s’exposer n’importe comment. Même dans les parties politiques, elles étaient rares à l’époque. On comptait a peine quelques griottes, femmes comme koulagna Mbaka, Kande Maigaraya, et la grand-mère de Baba Moussa qui était un guitariste émérite dans le premier orchestre de la crtv et qui a formé Esaie Zozabe avant de finir comme marabout. Mais je dois avoir que chaque sexe a son temps, les femmes n’ont jamais cessé de s’affirmer, dans l’art ça ne va pas tarder. Notre monde actuel est marqué par les réseaux sociaux qui influencent les vies. L’émancipation dans l’art s’exercera et quand cela arrivera, il y aura une fulgurance.
Aujourd’hui nous voyons quelques figures musicales féminines émerger comme Amina Poulo, Aminatou Ouale..
Oui, c’est une nouvelle génération qui vient avec une nouvelle approche parce que contrairement à hier où tout ne tournait qu’autour de la chefferie ou Lamidat, c’est l’égalité’ des genres qu’on prône, la laïcité, la liberté, la démocratie, l’interculturalité qui se développe. Bref, les femmes sont plus libres aujourd’hui.
A présent parlez-nous de votre situation familiale, de vos projets et quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes ? Quelle réflexion pouvez-vous faire sur la mort ?
Je suis célibataire et grand père avec quatre garçons et trois filles. Ils n’ont pas grandi à mes côtés, car j’étais toujours parti a cause de l’art. J’ai fait le Tchad, le Nigeria, l’Algérie… Un homme sans projet est un homme mort. Je voudrais arrêter mes activités professionnelles pour les transférer aux jeunes afin de me consacrer à l’art. Aux jeunes, je dis : l’art n’est pas un raccourci. Il faut beaucoup travailler pour être reconnu. Partisans du moindre effort, s’abstenir ! Faut rester humble pour avancer.
Le talent seul ne suffit pas, mais il faut aussi du génie. Que les artistes profitent de la facilité qui leur est offerte aujourd’hui pour avancer à travers les concours, les studios d’enregistrement qui foisonnent contrairement à hier ; un clin d’œil a l’endroit de TOUSBANGA mon frère et ami. Parlant de ma fin en ce monde, on est assez vieux pour mourir, la mort est naturelle donc, je m’y prépare, car elle est avec nous chaque jour que Dieu a créé, mais j’ai envie de finir mon roman, faire un film, cinq œuvres en art plastique… D’abord (rires). En définitive, je suis prêt à accompagner les jeunes pour leur transmettre mon expérience. Qu’ils viennent, mes portes leurs sont ouvertes.
Merci