Mag-Afriksurseine-Mars-2024

MA MAITRESSE DE LA MATERNELLE

MA MAITRESSE

Dans mon premier  livre, j’ai évoqué une personne sans savoir qu’elle était toujours en vie. C’est Remy Manga qui m’a informé après avoir lu le chapitre la concernant. Il me faisait alors  cette incroyable révélation : « La personne dont tu parles vit. » J’ai immédiatement demandé à Remy d’aller la chercher. C’était ma maîtresse du jardin d’enfant, qui est demeurée une véritable icône dans mon cœur. La revoir   même dans cette distance était  un pur bonheur pour moi, d’autant plus que j’ai dû parcourir un long chemin avant d’apprendre à lire et à écrire grâce à elle. Je me souviens, que l’école maternelle était située tout près de chez nous. Je revois  ces premiers jours, lorsque nous, les tout-petits,  étions réunis dans une petite hutte, car nous étions trop jeunes pour travailler aux champs avec nos grands-parents. On nous avait distribué du matériel pour l’apprentissage : des cahiers, des ardoises, des livres de dessin, des crayons de couleur, et même des tenues « cadeau ».

La  maitresse  nous remettait ces fournitures en main propre. Je me rappelle avoir tant aimé l’école que j’y suis même allé un samedi pendant la première semaine. Je m’étais assis tout seul, en attendant, lorsque j’ai vu apparaître le majestueux Khatou Ndengué, dont la résidence était juste à côté de l’école, me demander de rentrer à la maison. J’étais déçu et j’ai cru qu’elle voulait dire que l’école était finie pour toujours. Je me suis alors caché derrière un manguier et j’ai versé quelques larmes. Le soir, à la maison, j’ai griffonné mes premières lettres maladroitement, mais j’étais fier de chaque lettre que je réussissais à former. La lettre « k » minuscule a toujours été un défi pour moi, et je n’ai jamais réussi à la maîtriser parfaitement. Le plaisir d’être à l’école était une source de réconfort pour nous. Un mois plus tard, j’étais capable de former des lettres avant même mes camarades, et je pouvais même compter jusqu’à dix. Vers la fin de l’année, les premiers mots que j’ai réussi à écrire furent « ami » et « camarade ».

La joie de ma grand-mère, qui ne savait pas lire, était immense. Elle dansait de joie à chaque fois qu’elle apprenait que j’avais accompli quelque chose en écriture. Anna, ma cousine, lui racontait ma progression au quotidien. Aujourd’hui, il est évident pour moi que savoir écrire une lettre de l’alphabet est une forme d’élévation de l’âme. J’étais passionné par les contes. Nous avons célébré le premier 20 mai 1972 en portant de petites tenues vertes cousues comme des robes. Je me souviens encore de la monitrice qui nous alignait devant le chef de district, essayant de nous apprendre à marcher au pas. À la fin du défilé, on nous offrait des fruits, le plus souvent des mandarines. Ma vie a continué, sans dégoût pour l’école. Cette vieille dame, toujours en vie aujourd’hui, a été la première à ouvrir les portes de ma vie. Je ne peux imaginer personne d’autre méritant cet hommage que j’ai rendu dans mes écrits. Elle n’a plus enseigné depuis longtemps ; le hangar de la maternelle n’a duré qu’un an.

Néanmoins, je reconnais qu’elle a semé les graines de beaux textes en moi, que je lisais maintes fois. Ces premières étincelles ont contribué à forger l’esprit romantique que je suis aujourd’hui. L’école se terminait à 13 heures, puis nous nous dirigions vers les champs pour retrouver nos grands-parents. Tout enfant du pays connaît cette étape que je relate. Souvent, il pleuvait abondamment pendant que nous étions sur le chemin, mais la pluie est synonyme de vie. C’est grâce à elle que le maïs et les arachides poussaient. Nous avions la chance de rire lorsque nous ramassions les fruits tombés à cause du vent. La crainte de rencontrer un lion ou un serpent sur notre chemin ne nous hantait pas, car au village, nous n’avions peur de rien. Nous traversions régulièrement des troupeaux de gorilles.

Une année sans pluie signifiait une terre fissurée, des plants de légumes qui se flétrissaient, et la plupart d’entre nous avions des ventres gonflés. Nous nous souvenons encore avec dignité et résignation de cette vie de labeur et de courage. Mais ici, c’est l’histoire de ma maîtresse que je suis venu écrire, une femme forte et courageuse, toujours en vie malgré les drames et la misère. Je voulais simplement lui dire merci pour tous ses bienfaits, pour sa présence imposante et respectueuse dans ce voyage difficile qu’est la vie. Et je tiens aussi à remercier Remy, qui l’a retrouvée dans les champs pour prendre quelques photos. Cette chère petite maman est toujours patiente et généreuse. Il y a toute une vie derrière cette histoire qui perdure. Une énigme dans mon univers, et la perspective de la revoir m’enflamme d’une passion profonde.

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