Ce dimanche, nous avons plongé dans le débat passionné autour de l’affaire Longue Longue, diffusé depuis le Cameroun, où les discussions enflammées n’ont cessé de secouer l’opinion publique toute la semaine. Deux chaînes principales, Canal2 Internationale et Equinoxe, ont consacré leurs émissions phares — Canal Presse et Droit de Réponse — à ce sujet brûlant, conviant des invités « illustres » censés éclairer les téléspectateurs sur la complexité de cette affaire. Pourtant, les échanges ont paru étrangement synchronisés, comme si les journalistes s’étaient concertés en amont, répétant les mêmes expressions et posant des questions similaires, presque en écho. Sur le plateau de Canal2, Bouba Ngomena, dont la maîtrise et la finesse d’animation ne déçoivent jamais, menait la danse. Calme, pertinent, il invitait ses interlocuteurs à structurer leurs pensées, facilitant des échanges qui, pourtant, allaient vite dévoiler une dissonance troublante.
Parmi les invités se trouvaient des figures comme Ekani Anicet, président du MANIDEM, Maître Bébé du PCRN, Simon Muketé, expert en stratégie, Georges Teguem et Severin Ango. Mais dès les premières interventions, une chose devenait flagrante : au Cameroun, l’opposition politique semble bien pâle, une chimère intellectuelle enrobée de mots savants mais manquant de substance et d’humanité. Ainsi, quand Ekani Anicet, philosophe et enseignant de morale, affirme sans détour qu’il n’éprouvait aucune compassion pour Longue Longue, allant jusqu’à dénoncer ses actions comme un « enfumage », cela me fit l’effet d’un choc. Anicet, figure du passé, se voulait accusateur mais apparaissait déconnecté, renvoyant l’image d’un ancien combattant embourbé dans des discours d’un autre temps. Il déclara même que la torture était monnaie courante ailleurs, en France ou aux États-Unis, justifiant implicitement ce qui avait pu se produire l’artiste. Et pourtant, Longue Longue, avec ses écarts et ses prises de position artistiques, semble posséder ce grain d’ardeur et de vérité brute qui manque tant dans la sphère politique.
Ce chanteur, connu à travers le continent, incarne un pont vers le peuple bien plus direct qu’Anicet Ekani, dont la notoriété repose sur de vieilles luttes aujourd’hui presque oubliées. Après l’enseignant, l’artiste est celui qui traduit les préoccupations profondes du peuple ; il parle avec une voix que chacun peut entendre, ce qui rend son absence tragiquement poignante lorsque la foule l’accompagne dans ses derniers instants de sa vie. c’est dire que le peuple les comprend mieux que quiconque, c’est pourquoi ils sont toujours enterrés laissant derrière eux une foule en pleurs.
Sur le plateau, cette simple vérité semblait échapper aux invités, hormis Georges Teguem, qui rappela que « chaque citoyen est l’égal de l’autre » et qu’il n’appartient pas aux individus de faire justice eux-mêmes, d’où l’importance de l’enquête de l’État. Pourtant, d’autres figures, que j’admire jusque-là, comme Sam Sévérin Amougou, réduisent l’affaire à une simple « distraction », un mot qui, de sa bouche, résonne comme une trahison. Lui, fin analyste, imprégné de l’histoire et de l’actualité camerounaise, semblait subitement détaché, dénué de l’empathie que l’on attend de ceux qui, par leur voix, influencent les réflexions du peuple. il l’avait fait dans le cas d’Eto’o Fils, il l’a fait dans le cas de Camus Nyemb.
Voilà un dimanche où la passion, l’indignation et la déception se sont entremêlées, révélant, sous le prisme des débats télévisés, un pays à la fois exalté et désillusionné, où l’on cherche encore à qui à cautionner une violence flagrante. Severin Ango qualifie cette affaire d’« épiphénomène », minimisant l’importance de ce qu’il considère comme un non-événement. Dans son intervention, il floute volontairement les lignes entre morale et politique, incarnant ainsi cette ambiguïté qui semble hanter nos leaders contemporains, ceux-là mêmes qui se revendiquent pourtant défenseurs du bien commun.
Malgré tout, il reconnaît en Longue Longue une figure marquante de sa génération, un artiste au talent indéniable, bien que celui-ci ait, selon lui, failli à ses responsabilités : « On doit savoir assumer son statut, son activisme, comme le font Richard Bona ou Valsero. Quand on mange à la table des puissants, on ne se plaint pas ensuite », conclut-il. Prenons ces mots comme une pointe d’ironie, un humour qui, chez Severin Ango, cache peut-être une certaine lucidité. D’autres invités, comme Monsieur Mukété, ont enfoncé le clou, renforçant la sévérité, affirmant sans la moindre hésitation leur loyauté envers le pouvoir en place, un choix peut-être récompensé un jour, grâce notamment à ce bilinguisme dont il semble si fier.
Néanmoins, certaines limites devraient rester infranchissables, et l’intervenant suivant énonça justement que le système repose aujourd’hui sur deux piliers : le clientélisme, qui vous achète, et la répression, qui vous étrangle. Maître Bébé, quant à lui, apporte un éclairage juridique essentiel au débat. En soulignant qu’aucun individu n’est tenu d’obéir à un ordre manifestement illégal, il rappelle avec clarté les principes de la procédure pénale, en résonance avec le contexte de l’affaire. Dans cette tempête médiatique, on semble oublier que l’artiste est, lui aussi, un citoyen engagé. On l’accuse d’avoir pactisé avec le pouvoir, d’avoir « chanté pour le diable », mais n’était-ce pas une stratégie pour survivre dans un environnement hostile, conscient du danger qui le guette ?
Au-delà des mots et des postures, la vérité fondamentale demeure : il existe des choses inacceptables, universelles, que l’esprit humain ne peut ni justifier ni tolérer, quelle que soit la société dans laquelle elles émergent. Parmi elles, la torture, insoutenable et contraire à la dignité humaine.
Ne nous laissons pas entraîner dans des raisonnements absurdes qui nient cette simple vérité. Longue Longue incarne ce que l’on nomme en psychologie « l’effet détonateur » : un phénomène où les résultats observés ne sont pas imputables au cadre établi, aux méthodes d’analyse ou aux conditions expérimentales, mais au fait que les sujets eux-mêmes sont conscients d’être placés sous le regard scrutateur, distingués des autres, devenant ainsi des objets d’étude par cette seule reconnaissance. La torture a toujours existé, oui, mais elle n’avait jamais touché quelqu’un comme Longue Longue, dont la notoriété, presque magnétique, expose chaque acte, chaque parole, en révélant les failles et les contradictions d’un système qui croyait pouvoir l’engloutir sans parler.