Sur la route qui mène à Yaoundé, une meute de chiens en provenance de Mbalmayo avance, certains complètement dépourvus de poils, car ils se sont échappés du feu. Gascogne, le meilleur chien avait reçu tellement de coups qu’il a fait le mort ; les cuisiniers le croyant mort l’ont jeté dans les flammes, d’un bond il s’en est tiré. Le seul chien rusé s’était enfui pour retrouver son ancien maître, qui l’attendait également de pied ferme pour le cuire dans une eau bouillante chauffant depuis une heure. La seule option qui restait était de rejoindre la meute qui se dirigeait vers Yaoundé pour trouver protection.Cette histoire ne ressemble à aucune autre de celles que l’on trouve dans nos rubriques des faits divers ; elle devrait y figurer car elle pose un problème insoluble malgré sa simplicité exemplaire pour cette population qui la vit une affaire sérieuse comme un fait banal.
Le convoi mené par Boxer, le chien le plus fougueux, est déçu par les goûts immodérés d’une population cynique. Enragée, la meute est prête à en découdre avec quiconque se dresse sur leur route ; parmi eux un chien albinos frais comme un poisson sorti de l’eau. Généralement, dans cette petite ville de Mbalmayo, règne une ambiance matinale. Mais si l’on constate un silence de mort, c’est que la population attend dans un endroit son morceau de chien entrain d’être préparé , car il faut au moins 10 heures pour que l’assaisonnement imprègne la chair de cet animal, compagnon de l’homme. Nous connaissons bien l’affaire des chiens, puisqu’en Chine cela se mange, tout comme au Cameroun, bien que cela ne soit pas encore propagé à l’extérieur.
Les chiens sont consommés et les pouvoirs publics n’ont pas le droit de s’immiscer dans les affaires des rituels traditionnels, surtout lorsqu’il s’agit de traditions séculaires. Les faits sociaux qui reviennent régulièrement dans les villes du sud, telles que Mbalmayo, Ebolowa jusqu’à Ambam, sont souvent liés à l’histoire d’un chien abattu et consommé sur-le-champ. La ville en raffole. Au cours d’un passage à Ebolowa, j’ai trouvé la population en émoi, des disputes éclataient, et la raison en était qu’une voiture venait de percuter un chien, le tuant sur le coup. Les morceaux de chair éparpillés par la violence de l’accident avaient suscité une recherche frénétique de fragments de viande parmi la population.
C’est là que j’ai réalisé pour la première fois que le chien était consommé dans certaines régions de nos pays. Je connaissais déjà les rites pratiqués avec les chiens, comme leur égorgement en amont d’une rivière et la consommation de leur sang pour se protéger des morts violentes. Mais les voir mangés, cela me déconcertait. À Mbalmayo, c’était une fascination. La longue cohabitation avec ces animaux domestiques n’avait en rien diminué la fascination que le chien exerçait sur cette population. Ce qui surprenait les observateurs extérieurs, c’était de voir toute une communauté rassemblée autour du même animal, quel que soit sa beauté, son utilité ou l’affection qu’on lui portait.
En général, lorsque la viande était préparé, le chef s’appropriait le cerveau ou la tête, les notables prenaient les pattes, et la population se partageait les testicules et les yeux. Pour les enfants, on leur servait les excréments et les urines. À présent, il ne reste qu’un seul chien à Mbalmayo, le berger allemand d’un expatrié. Celui-ci a engagé un agent de sécurité pour veiller sur son beau berger, car si la population aime les chiens du village, celui venu d’Allemagne reste ensorcelant. L’expatrié ne quitte plus son berger, même lorsqu’il va aux toilettes, il l’emmène avec lui. Après le chien on se demandera ce que cette population mangera un jour ? Tout n’est que désolation.