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Ernest Ouandié : Une vie de combat, une mort de courage

C’est une date tragique pour le Cameroun, puisque le 15 janvier 1971, Ernest Ouandié est abattu sur la place publique de Bafoussam, aux côtés de deux de ses compagnons, Wabo Le Courant et Fotsing Raphaël. Avec eux, Célestin Takala est également exécuté par la soldatesque néocoloniale d’Ahmadou Ahidjo. Ernest Ouandié était né en 1924. Il avait poursuivi des études qui l’avaient mené jusqu’à l’École primaire supérieure de Yaoundé, où il obtint, en 1943, le diplôme de moniteur indigène. Grâce à ce diplôme, il pouvait enseigner. Il débuta donc sa carrière en 1944, à l’âge de 20 ans.

Il enseigna d’abord à Édéa, où il resta jusqu’en 1948, avant d’exercer dans plusieurs villes du pays : Dschang, Douala, Batouri et Yoko. Sa carrière d’enseignant se termina à Douala, lorsque Laurent Prévost décida de réunir les membres de l’UPC au même endroit afin de mieux les surveiller. Dans sa vie privée, Ernest Ouandié était marié. Il eut cinq enfants avec son épouse : trois filles et deux garçons. Aujourd’hui, deux garçons et deux filles sont encore en vie. Il eut également une fille avec une femme ghanéenne, cette dernière étant née peu avant qu’Ouandié ne rentre définitivement au Cameroun. Cette fille fit tout son possible pour venir vivre au pays, désireuse de connaître son père. Elle y poursuivit ses études, travailla et épousa un pharmacien, avant de mourir tragiquement, comme son père.

Engagement politique

Ernest Ouandié débuta sa vie politique comme syndicaliste, à l’instar de nombreux militants de l’époque. En 1948, il rejoignit l’Union des populations du Cameroun (UPC). Lors du congrès de 1952, il fut promu vice-président, poste qu’il partagea avec Abel Kingué. À partir de cette date, sa vie politique devint particulièrement mouvementée. L’UPC était alors un parti populaire, qui représentait environ 85 % de la population camerounaise. L’année 1952 marqua une étape majeure dans la vie politique d’Ernest Ouandié. Une anecdote illustre son engagement : un chef traditionnel nommé Djimofilah, qui sympathisait avec l’UPC, fut destitué par l’administration coloniale. Ernest Ouandié s’opposa fermement à cette décision, obligeant les autorités à rétablir le chef dans ses fonctions. Par la suite, Ouandié entreprit des voyages à l’étranger, notamment à Pékin, où il représenta son parti lors du congrès du Parti communiste chinois. À son retour à Douala, il prit la tête de tous les mouvements en collaboration avec Félix Moumié et Abel Kingué. Orateur hors pair, il captivait les foules et polarisait l’attention.

Répression et exil

Quand la répression s’intensifia, Ernest Ouandié se réfugia dans la partie occidentale du pays. En 1957, l’administration britannique au Cameroun occidental interdit les activités de l’UPC. Commencèrent alors ses années d’exil : il trouva refuge au Soudan, puis au Caire, en Guinée Conakry et enfin à Accra. Le 13 septembre 1958, Um Nyobé fut assassiné. Deux ans plus tard, le 3 novembre 1960, Félix Moumié fut empoisonné à Genève.

L’UPC se retrouva décapitée. Ernest Ouandié et Abel Kingué, les deux derniers leaders, se réorganisèrent depuis l’Europe. Ils créèrent un secrétariat et intégrèrent de nouvelles figures comme Wougly Massaga et Dooh Michel. En juillet 1961, Ouandié rentra clandestinement au Cameroun et entreprit de réorganiser le mouvement. Il mit en place une assemblée populaire et forma une nouvelle élite dirigeante, appelée « comité révolutionnaire ». Ce comité, dirigé par Makembe Tollo Adolphe et Djassep Mathieu, se heurta toutefois à des contestations venant des membres de l’UPC restés à l’étranger. Les querelles internes, notamment entre Kingué et Ouandié, affaiblirent le parti.

Arrestation et procès

En 1970, Ernest Ouandié fut arrêté. Initialement accusé de tentative de coup d’État, accusation jugée fragile, d’autres chefs d’accusation furent montés de toutes pièces : complot et rébellion. Lors de son procès, Ernest dénonça les tortures qu’il subissait quotidiennement, c’est ainsi qu’au tribunal il dénonça  : « Je viens d’être torturé. Je refuse de me soumettre à un procès où l’on cherche à m’extorquer des aveux par la torture. » Djassep Mathieu témoigna également des sévices infligés chaque matin, avant d’être conduits à l’audience, les prisonniers étaient torturés, le sol maculé de sang témoignant des sévices. Face à cet acharnement, Ernest Ouandié déclara qu’il ne se défendrait plus : « À partir de ce moment, je n’ouvrirai plus la bouche pour défendre mon cas. » Il conclut : « Vous aurez à répondre un jour de cette forfaiture devant l’Histoire. Quant à moi, je suis prêt à aller au poteau d’exécution. » Dès lors, il ne parla plus. Le verdict fut sans surprise : la peine de mort. Le procès, une mascarade, scella le sort d’un homme d’une rare intégrité.

Un patriote exemplaire

Ernest Ouandié fut un patriote convaincu, résolu à servir son peuple. Il fit preuve d’un courage exceptionnel, restant fidèle à ses principes tout au long de ses dix années de lutte. Lors de son exécution, il refusa qu’on lui bande les yeux, affrontant la mort avec une dignité exemplaire. Réhabilité en 1991, son combat reste une leçon de courage et de dévouement. Cependant, des zones d’ombre demeurent : Pourquoi Jacques Foccart, influent conseiller de l’Élysée, exerça des pressions sur Ahmadou Ahidjo pour l’exécution d’Ouandié, malgré les appels à la clémence ?  Cet acte, destiné à diviser les Camerounais était la raison principale et voilà pourquoi ceux-ci sont jusqu’à ce jour profondément marqué. Au poteau d’exécution, Ernest Ouandié déclara : « Moi, je meurs sur la terre de mes ancêtres. Quant à Ahmadou Ahidjo, il mourra loin de la sienne. »
(cet article tire sa sources à partir d’une interview réalisé par Albert Moutoudou UPC Manidem)

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