Mag-Afriksurseine-Mars-2024

LE VILLAGE YASSEM, BREVE CHRONIQUE D’UNE CITE QUI GRANDIT

LE VILLAGE YASSEM

À mes fidèles lecteurs, je tiens un aveu  tardif. Depuis que j’écris sur diverses plateformes, je n’ai jamais consacré un article au village Yassem, pourtant, ce lieu occupe une place ineffaçable dans mon cœur en raison de mes liens profonds avec lui. Mes grands-parents y ont séjourné avant de s’établir à Yangba. L’art ne constitue pas un langage universel que nous pouvons déchiffrer facilement. Les œuvres créées au sein de notre propre société nous semblent souvent obscures, même celles qui nous touchent profondément, que nous chérissons avec passion ou que nous rejetons violemment. Ce qui se perd en clarté et en possibilité de traduction par des concepts et des mots se gagne en immédiateté et en intensité. C’est ce qui m’est arrivé avec le village Yassem. Ce village  possède une particularité : la discrétion et son irrésistible douceur.

Niché dans le grand Mbam, avec des contours peu distincts, séparé nettement des autres villages par des forêts et une  montagne luxuriante, on peut compter à présent 5 mille âmes dans ce village qui rappelle les cités homériques de la Rome antique.  Le village Yassem incarne parfaitement la notion de profondeur à la  camerounaise. C’est un  village  qui a sa manière d’exister, qui n’aime pas s’imposer ou prendre la tête, car sa culture prône la modestie. Il semble appartenir à un monde différent, basé sur la bienveillance, la prudence  et le sacrifice.

Yassem a pris du temps pour se démarquer, mais c’est pourtant un village qui aura sa  gloire, car,  il ne demeurera pas comme une petite cité bantou malgré son choix de  vie recluse. Il est  en moi, et les plus belles pensées que j’ai pu exprimer ont été inspirées par l’observation du mont Yassem, où j’ai séjourné à plusieurs reprises, surtout durant les heures les plus sombres de ma vie. Lorsqu’on atteint Yassem, le cœur s’apaise, l’esprit s’aiguise, et l’on se sent instinctivement protégé par cette certitude qui est en même temps une grande force spirituelle sortie de sa nature.

Comme toujours, les débuts sont enveloppés de mystère. D’où viennent les Yassem ? La légende raconte qu’une femme ayant  rencontré un lépreux sur  la montagne  et qui a  soigné ce dernier a choisi de ne jamais le  quitter, en guise de récompense, le lépreux l’épousera et lui demandera de descendre de la montagne, et de s’y établir. La femme entourée de forêt ne voyait rien devant elle, mais le lépreux lui montra de son doigt guéri, un immense espace verdoyant  s’étendait devant elle. Celui-ci fera d’elle la première déesse du  village.

On dit souvent que les femmes possèdent le pouvoir prédominant à Yassem. La femme en question  retrouva la paix intérieure qu’elle recherchait dans les pérégrinations   qui l’ont  guidée jusque-là. Il y a Lazare, qui est un expert en histoire des origines des Yassem, ainsi que les frères jumeaux du village, qui détiennent la tradition orale de cette histoire. Yassem est distant de  soixante kilomètres au nord-est de Ngoro, au cœur d’un quadrilatère délimité par de vastes forêts, traversé par un chemin menant à Ngambè Tikar. Que l’on arrive par l’ouest, le nord ou le sud, Yassem reste invisible jusqu’au dernier moment.

Le village offre un terrain fertile à l’imagination car il semble figé dans le temps. Figé dans le temps ? Intact, en d’autres termes. Une première vue de son étendue laisse apparaître une vallée boisée divisant des plateaux de cultures anciennes entrecoupés. Aucune construction imposante ne perturbe cette harmonie champêtre. Les cinq bâtiments érigés par la majesté Mbatti Benjamin se démarquent parmi les arbres qui les entourent. Des fermes dispersées, des parcelles boisées rompent avec la monotonie qui caractériserait une forêt vierge. Le village possède un carrefour, un jardin d’enfants, une école primaire, et un collège, qui a récemment été transformé en lycée.

J’ai eu le privilège d’y enseigner en classe de 3ème en tant que bénévole. À Yassem, vous trouverez des défenseurs de la tolérance, reconnaissables à leur voix et parfois à la lueur d’un sourire qui ne s’éteint jamais.  Le yassemois rient toujours, mais tu ne sais pas si c’est pour avaler ou pour mordre. À l’approche du village, aucun témoignage ne saute aux yeux des visiteurs. On commence par apercevoir le lycée, puis à quelques centaines de mètres, la chefferie qui ressemble à un véritable monument. Plus loin, on découvre le cœur du village où de jeunes filles aux foulards bariolés vendent des mets à base de viandes de brousse.

Des générations d’agriculteurs et de chasseurs se sont succédés ici. Le paysage est harmonieusement partagé entre champs et bois, avec la beauté d’une montagne aux contours gracieux qui offre une tête d’altitude verdoyante, ainsi que la séduction d’une nature dont l’apparence raffinée n’altère en rien la grandeur du rêve. La montagne de Yassem évoque un obélisque, et le regard qui la suit se perd dans la verdure, comme si elle émergeait des arbres qui la cachent.

Majesté Benjamin Mbatti.

Majesté Mbatti, le petit frère à mon père -ce que d’aucun ignore-, est devenu le chef de ce village, un banquier de profession, a passé l’intégralité de sa vie à Limbé, où il est devenu la figure la plus populaire de la ville grâce à son amour passionné pour le football, qui l’a animé pendant près de quarante ans. Je garde de précieux souvenirs de lui depuis mon enfance à la maison familiale. Il est le père du Yassem moderne. Lors de son intronisation dans les années 2000, il a accordé une grande importance à l’aspect historique et jeté les bases d’un développement centré sur la communauté.

C’est ainsi qu’il a érigé quatre  imposants bâtiments destinés à abriter l’école maternelle, l’école primaire, la chefferie, et le bâtiment qui est actuellement le lycée. Il a promu l’alphabétisation et établi des partenariats avec des associations en France, notamment la mairie de Marquillie. Il a œuvré pour le retour de tous les enfants du village dispersés dans le monde entier et a encouragé l’épanouissement des minorités pygmées. Il a donné la priorité à la langue maternelle, transmise dès le plus jeune âge aux enfants, car elle est le socle de l’éducation moderne.

Le nouveau chef du village Yassem.

Le tout nouveau chef du village de Yassem  s’appelle  Sanda Oumarou, qui a pris place sur le trône de son père décédé en avril 2023. Jeune et brillant intellectuel, il est également à la tête d’une entreprise locale, symbolisant ainsi la marche vers l’avenir. Le village a placé en lui son espoir pour l’évolution et sa croissance, l’innovation, l’emploi et le développement. Moi qui connais l’éthique du nouveau chef, je sais que  depuis sa jeunesse, il  s’est distingué en tant que rassembleur et comme un homme à l’écoute des autres, parce qu’il a  hérité de toutes les vertus qui incarnent les chefs du vivant de son père.

Avec lui, il est indubitable que Yassem retrouvera sa grandeur et sa renommée. J’ai visité Yassem pour la première fois en 2000, et 24 ans plus tard, le visage du village a évolué de manière significative. L’éclairage s’est modernisé avec l’installation de groupes électrogènes et de lampes modernes. Il appartient aux générations futures d’enrichir ce patrimoine commun, de poursuivre les efforts en faveur du bien-être de tous, tout en préservant la convivialité et la généreuse solidarité qui ont toujours caractérisé leurs ancêtres.

Loading

Tendances

A Lire aussi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut