Mag-Afriksurseine-Mars-2024

VERS UN GRAND CHANGEMENT GEOPOLITIQUE

La pseudo-indépendance

PAR YANA BEKIMA

LE GRAND VIRAGE : LES BRICS EN MOUVEMENT

L’événement qui s’est déroulé au mois d’août (du 22 août au 24 août) 2023 en Afrique du Sud à savoir le 15ème Sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) fut pour l’Afrique l’occasion de s’imposer comme héraut des voix du continent dans un monde ultra-polarisé. Ce sommet des puissances alternatives à Johannesburg, toutes désireuses d’étendre leur influence, fut un grand moment, un grand tournant dans la lutte du peuple africain contre l’injustice qui le tient depuis six siècles par la gorge. En effet, ce sont ces pays du monde entier qui se sont rassemblés autour de la dynamique des BRICS (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud) en vue d’une dynamique de construction d’un monde multipolaire sur le plan économique, politique, sur le plan judiciaire international.

Bref, la construction d’un monde de consensus, de négociation, du partage et d’un monde de respect réciproque des souverainetés. La dynamique qui a inspiré les BRICS est d’abord l’humilité qui les a conduits à reconnaître que l’homme n’est pas le propriétaire de l’univers encore moins de la terre. Le 15e sommet des BRICS s’est achevé jeudi 24 août 2023 à Johannesburg (Afrique du Sud) avec l’adhésion de six nouveaux membres : l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Egypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Leur adhésion pleine et entière prendra effet le 1er janvier 2024.

LA PARTICULARITE DES BRICS

C’est la différence entre l’hégémonisme monétaire incarnée par les États-Unis avec la suprématie du dollar et la logique monétaire qui émerge chaque jour des réflexions, des concertations, des consultations et des projets, des initiatives prises par les pays du groupe des BRICS avec ceux qui sont en alliance avec eux. On parle aujourd’hui de plus d’une cinquantaine des pays sur la terre qui sont en train de converger vers ce nouveau pôle de coopération internationale, de coopération financière et économique.

Qu’est-ce qui distingue la logique monétaire par laquelle l’Occident a dominé le monde jusqu’ici de la logique monétaire proposée par les BRICS ?

SUPREMATIE OCCIDENTALE EN GENERAL ET EN PARTICULIER SUPREMATIE AMERICAINE

Dans le moindre billet de dollar, sont inscrits le projet et la vision des États-Unis. Dans la littérature américaine cela renvoie à la destinée manifeste des États-Unis, à l’idée que la puissance américaine a comme responsabilité dans la direction du monde. C’est une idée qui et est ancrée dans l’esprit de l’élite politique américaine. D’ailleurs, cela donne entre autres la formule « America First » (L’Amérique d’abord) La logique de l’hégémonie des États-Unis est donc qu’une monnaie qui n’appartient pas à tout le monde doit s’imposer à tout le monde ou doit être imposée à tout le monde : c’est la logique du dollar.

Elle est parfaitement illustrée par cette pyramide (représenté sur le billet du dollar) dont le sommet est détaché de la base et dont le sommet commande à la base. En d’autres mots, c’est le sommet de la pyramide qui dicte à la base sa structure, sa forme et sa puissance. La logique pyramidale est celle de l’oligarchie et celle de la domination. C’est une monnaie qui a été imposée comme unité de réserve et de change de l’économie internationale, c’est-à-dire bien que cette monnaie n’appartienne pas à l’Afrique, à l’Asie, à L’Europe, à l’Amérique latine, à la Russie, au Moyen-Orient, les États-Unis ont réussi à imposer cette monnaie comme le chemin obligatoire pour les échanges économiques internationaux.

Le principe de cette monnaie est qu’elle doit d’abord profiter prioritairement à son propriétaire. Elle appartient aux États-Unis et c’est légitime que les États-Unis gagnent de l’argent avec le dollar, mais là où le bât blesse, c’est qu’elle s’impose à tous les autres pays de la planète. Cela veut dire que ce qui fait l’avantage des États-Unis fait l’inconvénient des autres pays ; car grâce au dollar, les États-Unis ont réussi à installer un immense poste de douane sur toute la terre. Ils peuvent prélever des intérêts sur toutes les transactions commerciales qui se font dans le monde avec leur monnaie. Pendant, longtemps, il y avait le principe de l’étalon-or (L’étalon-or est un système monétaire dans lequel la valeur d’une monnaie est établie en fonction du poids fixe de l’or) de la monnaie. C’est-à-dire que l’on pouvait échanger un billet d’un dollar contre une quantité d’or correspondante.

LA VALEUR DU DOLLAR N’EST GARANTIE PAR RIEN DU TOUT

Or à partir des années 70, les États-Unis, sans consulter le reste du monde, ont décidé de séparer l’unité du dollar de la réserve or. Le système de Bretton Woods (1944-1971) prend donc fin au moment où Nixon dit: « US Dollar will no longer be backed by gold». A partir de 1971, nous sommes passés à une monnaie qui renvoie à une notion de sécurité à une monnaie qui renvoie à une notion de domination. La convertibilité du dollar en or est suspendue du fait de l’inflation et des déséquilibres croissants des relations économiques internationales des États-Unis. Un régime de taux de change flottant est instauré. Il n’y a plus de garantie or du dollar. Autrement dit, on s’est mis à fabriquer du dollar sans rapport avec la richesse réelle. Ce qui fait que la masse monétaire du dollar existant actuellement dans le monde n’a rien à voir avec les quantités d’or détenus dans les coffres-forts de la réserve fédérale américaine.

Par conséquent qu’est-ce qui donne de la valeur aujourd’hui au dollar ? C’est le fait que le monde entier le reconnaisse comme unité de change et unité de réserve financière. Donc c’est la confiance que le monde avait du dollar qui a permis à cette monnaie de continuer à vivre. Autrement dit, de vivre à crédit sur le dos du travail de toute la planète. Le gouvernement chinois l’avait prédit, il y a déjà 48 ans, que la décision de Nixon de mettre fin à l’étalon-or marquerait la fin du dollar et du système monétaire du monde capitaliste. À l’époque, personne n’a cru leur prophétie et pourtant, il avait raison.

Plus tard, un certain nombre de pays ont demandé un réaménagement de l’ordre international, un changement des règles du FMI et de la BM afin que les États-Unis utilisent moins de force pour imposer leurs vues comme ils l’ont fait en Afghanistan, en Irak, au Viet Nam, en Libye et partout ailleurs. Les États-Unis au lieu de se concerter avec ces pays pour aménager et repenser l’ordre économique mondial, ont plutôt choisi une politique exclusive : celle des sanctions. A la base, les sanctions avaient pour but d’appauvrir tout pays du monde ou tout individu qui critiquait l’hégémonie américaine et par extension l’hégémonie occidentale (car l’Union européenne est clairement sous la tutelle des États-Unis).

Parmi les sanctions qui ont été choisies par les États-Unis et leurs alliés occidentaux, il y a eu des punitions qui consistaient à confisquer les réserves financières en dollars. Ainsi, quand le monde entier s’est rendu compte que cet argent, gardé en dollar, était en danger et qu’on pouvait à tout moment le leur arracher, cela a créé non seulement une sorte de psychose, mais aussi quelque chose que les Américains n’avaient pas prévu – les Occidentaux non plus – tellement sûrs d’eux. En effet, ils n’avaient pas prévu que la perte de confiance du monde entier dans le dollar allait emmener les gens à se précipiter vers le repli sur leurs monnaies nationales.

DE L’HEGEMONIE DU DOLLAR A LA DEDOLLARISATION

Le repli sur les monnaies nationales

Le monde entier a donc compris que le dollar qui était pourtant depuis longtemps la réserve de changes de toute la planète pourrait du jour au lendemain leur être arraché. Plus concrètement, que les comptes bancaires libellés en dollars pouvaient être  bloqués à tout moment par les sanctions américaines. En conséquence, la plupart des pays ont décidé de commercer ou de transiger dans leurs monnaies nationales. La dédollarisation n’est pas uniquement l’initiative de la Russie, de la Chine, de l’Afrique du Sud etc…Ce qui s’est passé, c’est que tous les pays du monde ont pris peur notamment face aux sanctions financières américaines, y compris même les pays occidentaux. Ils ont réalisé qu’il était hasardeux de réserver et d’échanger exclusivement en dollar. Alors que s’ils échangent et réservent dans leur propre monnaie en prenant la monnaie des autres partenaires, ils constituent des réserves en monnaie des partenaires et ultérieurement pourront faire des achats ou des ventes dans de bonnes conditions avec les différentes réserves de changes constitués par cette coopération multilatérale. Avec la désaméricanisation du système mondial, on remarque que le dollar et l’euro ont perdu la bataille. Ils sont devenus périphériques au système novateur.

UNE MONNAIE EST UN SYMBOLE QUI PERMET LES ÉCHANGES

LA PERTE DE CONFIANCE

L’on a très bien conscience que l’un des principes majeurs du fonctionnement de la monnaie est la confiance. Pour que l’économie ou une monnaie fonctionne, il faut que les gens croient en elle. Or, quand vous commencez à sanctionner les gens, à leur arracher l’argent qu’il garde dans votre porte-monnaie, ils perdent confiance en votre monnaie ; et c’est ainsi qu’elle se trouve discréditée. Elle n’est pas dévaluée, mais se trouve carrément discréditée. Voilà comment les États-Unis ont été victime d’un « autogoal » (but contre son propre camp) sur le dollar. Un exemple, la Chine a acheté la dette américaine à volonté et elle-même s’est rendu compte qu’elle pouvait à tout moment tout perdre et se retrouver les mains vides, car les Américains pouvaient décréter à tout moment que tout l’argent qu’elle possède ne vaut rien.

Ce qu’on appelle « les sanctions » est une manière élégante pour ne pas dire du vol, mais du vol policé (légalement). Pour se protéger des turbulences financières internationales, chaque pays s’évertue à vouloir échanger directement dans sa monnaie pour être sûr au moins de détenir des unités monétaires du partenaire. La confiance est garantie lorsqu’il y a une négociation bilatérale entre monnaies nationales. Voilà donc comment on est passé d’une seule monnaie imposée à tout le monde, mais n’appartenant pas à tout le monde à l’idée de la monnaie des BRICS.

C’EST QUOI LA MONNAIE DES BRICS ?

C’est exactement le contraire du dollar, monnaie de la suprématie occidentale. Dans la logique occidentale et américaine, on a un billet de banque, le dollar qui appartient aux États-Unis et qui est imposé à tout le monde, mais qui en réalité n’appartient pas à tout le monde. Ainsi, les BRICS ont imaginé une monnaie qui est symbole de stabilité et d’éthique qui appartiendrait aux pays membres des BRICS. Ce n’est pas une monnaie qui va appartenir au Brésil, à la Chine, à la Russie et autres…Mais à tout autre pays qui adhérerait aux BRICS. C’est une monnaie qui leur appartiendrait tous et la banque des BRICS serait le facilitateur des échanges entre eux. En définitive, les BRICS ont pensé la structure de cette monnaie telle que personne ne puisse dominer : « Toutes les nations sont égales et souveraines ». Avec la création de cette monnaie, on touchera à l’émergence d’un nouveau paradigme mondial.

LA MONNAIE DES BRICS, UNE GRANDE INNOVATION DANS L’HISTOIRE DE L’ECONOMIE MONDIALE

Primo, la monnaie des BRICS a l’avantage de rassembler les pays qui sont dans tous les continents. Le projet de monnaie des BRICS est celui de la première monnaie de l’histoire de l’humanité appartenant à tous les pays de tous les continents.

NB : Le dollar appartient toujours et exclusivement aux États-Unis,

L’euro appartient toujours et exclusivement aux pays européens mais la monnaie des BRICS va appartenir à des pays européens, africains, américains, eurasiatiques, asiatiques, aux pays des îles de l’océan indien et de l’océan pacifique. Ce sera véritablement la première monnaie mondiale.

Secundo, c’est une monnaie qui va permettre à ceux qui en bénéficient de négocier librement en fonction de leurs avantages et de leurs intérêts réciproques. C’est une monnaie qui va faciliter les échanges, faciliter la comparaison des biens et faciliter les négociations.

Tertio, la monnaie commune des BRICS en création sera gagée sur l’or, c’est-à-dire sur une valeur matérielle. Cette monnaie pourrait être une monnaie d’échange entre les pays qui ne veulent plus commercer en dollar, c’est-à-dire avec une monnaie sur laquelle ils n’ont aucune prise. Les BRICS représentent aujourd’hui 35% du PIB mondial tandis que le G7 ne représente que 31%. La face du monde pourrait changer en diminuant la prétention des États-Unis d’Amérique à vouloir continuer de diriger le monde. Les BRICS fonctionnent dans la logique de la collaboration, de la négociation et du consensus.

Il est à noter que le modèle des BRICS est déjà testé dans les pays africains à travers le système PAPSS. Le Système de Paiement et de Règlement Panafricain – PAPSS – permet de faire circuler l’argent de manière efficace et sécurisée à travers les frontières africaines, en minimisant les risques et en contribuant à l’intégration financière des régions. Le nouveau système de paiement panafricain apporte un grand répit aux commerçants africains. Seuls ces pays, qui ont pris cette habitude dans des échanges directs, vont pouvoir s’intégrer facilement dans la nouvelle alliance monétaire que constituent les BRICS.

L’EUROPE N’EST PLUS LE SEUL INTERLOCUTEUR DE L’AFRIQUE

A l’avenir, si l’Europe veut continuer à avoir une relation privilégiée avec l’Afrique, elle sera contrainte de changer de méthode. Ses instruments de financement doivent être utilisés avec flexibilité, rapidité et efficacité pour soutenir les solutions africaines. Et  pareillement à l’Afrique de formuler ses demandes, de proposer ses solutions et surtout de choisir le modèle de développement qu’elle veut pour sa population. Les méthodes utilisées par certains de ses partenaires (la brutalité, la prédation, le néocolonialisme) n’auront plus prise sur elle.

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