Mag-Afriksurseine-Mars-2024

J’ai lu pour vous : « Les yeux de ma chèvre » d’Eric de Rosny

 

Eric de Rosny était un prêtre jésuite français. Il est arrivé au Cameroun en 1957. Il y restera longtemps. Nous sommes en pleine période chaude de la décolonisation. Il s’implique dans l’enseignement et apprend les langues et les coutumes  locales notamment celles des Sawa.  A l’époque, ce blanc au regard déterminé, profite de son séjour pour visiter le Cameroun profond ;  ce qui lui fait  arpenter le pays de long en large. L’homme était grand, beau, avec de ravissants yeux pas trop loin de ceux des bêtes qu’il a souvent allégoriquement  décrites. Les yeux de ma  chèvre, qui composera le  titre de son célèbre livre, l’attire pratiquement.  Comme je l’ai dit plus haut,  c’est un  passionné pour les voyages et l’éducation des  peuples.

Il aime la Chine, mais c’est le Cameroun qui va tomber entre ses mains dans ses années-là. Il faut noter également que  l’homme est anthropologue, c’est suffisant pour comprendre ce qu’on va décrire, puisque nous sommes à une époque de la vie où le monde africain est encore profondément enraciné. Les faits sorcellaires sont légions ; le pouvoir de la tradition est enfermé dans un spiritualisme vivace. C’est un monde où les mythes tiennent encore une grande place ; mais ce n’est pas ce qui compte pour sa vie ;  ce qui importe pour ce blanc aux yeux de lune,  c’est d’enseigner, éduquer et former les jeunes africains en priorité les camerounais. Jusque-là, il n’y a aucun problème ;  quant aux élèves qu’il tient tous les jours, ceux-ci bénéficient d’une bonne formation -les jésuites ont toujours été des bons enseignants-  beaucoup d’élèves préfèrent l’enseignement de ce dernier parce qu’ils espèrent tirer de celui-ci une éducation de seigneur étant donné qu’ils ont devant eux, un français de pure souche par sa façon de penser et de voir le monde.

Tout se déroule bien, jusqu’au jour où dans une de ses classes un élève tombe en transe autour de lui. C’est la panique ;  l’enfant est amené non pas dans un hôpital mais plutôt chez des guérisseurs, c’est ce fait qui va intriguer l’anthropologue, puisque les camarades de l’élève lui apprennent que leur ami est traumatisé par les esprits des eaux. Ceci éveille sa troisième passion et il entre en ligne de compte dans les missions discrètes  qui lui avaient été assignées par ses maîtres. Il en viendra à faire des rencontres chez 30 guérisseurs à l’époque particulièrement florissants en Afrique ; ceux qu’on appelle « Bat oba Mianga. » C’est-à-dire  les hommes puissants qui peuvent arrêter une épidémie comme l’indique un passage de son livre : « L’épidémie du choléra est arrêtée aussitôt que les chefs coutumiers l’ont décidé… on se demande  même pourquoi un vaccin était sorti ». Arrêter une épidémie… on comprend jusqu’où les guérisseurs peuvent en arriver.

En Afrique,  les sorciers peuvent envoyer les choléras et les stopper afin de se prévaloir. C’est dans la guérison traditionnelle qu’Eric de Rosny trouve sa voie, ses connaissances anthropologiques aidant, il fera le reste avec  sa manière de penser. Il explique le décor de façon rationnelle pour découvrir que les sorciers peuvent être des scientifiques qui s’ignorent. Mais le monde de la mystique traditionnelle africaine est un monde de secrets. Pour y pénétrer, il faut se montrer Renard car, comme le dit un guérisseur dans le livre  : « Je meurs si je trahis le secret. »  Les mots et les gestes comptent dans la tradition. Mais le blanc est un homme qui doute des pouvoirs africains, il va  y pénétrer. Ses « amis » guérisseurs le mettent à l’épreuve. L’homme se mouille dans la pure tradition Sawa et dans bien d’autres.

D’abord, il apprend les langues locales, conséquence directe de ces amitiés qu’il tisse au fil des ans en terre camerounaise et se plonge corps et âme dans ses ressorts. Il combine de façon harmonieuse les  contes, les proverbes et les  chants pour une randonnée enrichissante au cœur des réalités plurielles de la culture africaine. Avec, bien sûr, une pause significative chez les Doualas. Les yeux de sa chèvre s’ouvrent et il peut désormais percevoir le solstice de l’été boréal. Des passages comme ceux-ci expliquent tout « On prend ton nom, tu vas mourir, ceux qui te tuent achètent quelque chose qui te ressemble très bien, on prend ta forme, on fabrique comme une poupée, ça te ressemble comme une photo, c’est là sur le lit et tout le monde pleure, mais toi, tu es à côté et tu ris et tu vois tout. Mais on t’a mis un machin sur la bouche et tu ne peux pas parler, tu es comme un chien qui obéit à son maître, à son patron qui l’a tué. Et la famille va enterrer le Ressemblant, en croyant qu’elle t’a enterré. Après l’enterrement les gens de l’Ekon viennent avec leurs gris-gris et emmènent ta forme avec tous les habits : le cercueil reste vide. On t’emmène chez ce monsieur-là qui t’a acheté et tu seras chez lui comme un manœuvre. »

Comme autrefois en terre européenne, il va désormais expliquer par-delà les stéréotypes et les clichés, donner à sentir entre l’image mythique d’un peuple.  Celui de l’Afrique. les défis à relever sont grands, les uns connus, les autres à connaître, passionné qu’il est pour comprendre le fond et le tréfonds de cette culture qui échappe à la rationalité. « Il y a plusieurs manières d’être mort vivant cadavre ambulant ou revenant. Ainsi la frontière entre ce que nous appelons en français la mort et la vie n’est pas si nette dans l’interprétation traditionnelle de l’expérience. Vous pouvez voir quelqu’un mort, alors qu’il n’est pas mort. On l’a seulement passé dans un autre état. (Ba tuko nde jenene lao) .» Voilà Eric de  Rosny en plein cœur de la magie Noire, il devient un Camerounais universel parce que : « « Le guérisseur a un cœur qui supporte tout. » Mais aussi, il a conscience que « Les vrais guérisseurs reconnaissent qu’ils échouent parfois » et le destin d’un malade peut reposer sur sa famille. La vente des hommes décrit  dans son livre continue à nos jours. Dans  la sorcellerie,  ils sont vendus à un prix symbolique : 2 f ou  25 f.  Il suffit de se rendre dans le monde invisible pour rencontrer  les gens vendus, tu verras comment on amène les gens pour aller les vendre, … Un monde où on trouve trop d’interdits. Dans une tendre pénétration avec cette  rage de connaître, la recherche est profonde, elle coûte cher parce qu’on ne veut pas que le chercher ait la foi de continuer  pour exhumer   des secrets.

Mais combien généreuse la pensée des chercheurs blancs sur l’Afrique  quand ils sont décidés à scruter le fond. Ce livre est un classique des sciences sociales. La littérature est souvent un assemblage de souvenirs équivoques, épars, dont les uns sont plus éloignés que les autres. Chaque lecteur peut le reconnaître avec pertinence.  La lecture des yeux de ma chèvre ouvre vraiment les yeux sur l’Afrique. Ce livre immense et unique évoque, combien de fois le monde invisible domine sur le monde visible ;  combien de fois dans le monde invisible l’homme détient une puissance inimaginable et donc on peut célébrer avec émerveillement la richesse culturelle d’un peuple. Les yeux de ma chèvre explique une palette des faits méconnus, qui illustrent bien ce carnet de vie ou des sorciers sont des capitaines.

Ce livre n’est ni un testament, ni une mémoire d’outre-tombe ;  mais un  récit évocateur  d’un homme pétrifié,  qui s’est enrichi d’une culture qui l’a nourri. C’est aussi cela la rencontre du donner et du recevoir, dans les soubresauts de l’aventure humaine, pour un homme qui s’était présenté d’entrée de jeu comme un Jésuite. Il est légion de dire  que les blancs pénètrent notre culture pour la trahir ou la mépriser, mais ici c’est un ouvrage sincère, éducatif, résultat non pas d’un faux amis, mais d’un enfant venu d’ailleurs et devenu l’enfant du pays. C’est le genre de sémantique que je peux utiliser avant de me tromper, car cet auteur n’est pas allé dans une forme de nonchalance, le livre s’écrit dans un style pur avec un rythme fantastique, fracassant épatant, découlant du génie d’un enseignant qui souhaite ouvrir les yeux de l’homme afin de comparer à celui de la chèvre.

« Les chefs n’ont plus le pouvoir (Nginya) comme autrefois, parce que que le gouvernement a pris ce pouvoir » « La famille pèse sur le dénouement de la crise de l’un de ses membres, il s’agit de sa propre maladie, c’est la famille elle-même qui est atteinte » « La malchance est une maladie » nous sommes là en plein essai romantique. Partout où ce livre se lira en Afrique,  il aura une adhésion populaire, parce que ses œuvres appartiennent à tous les africains ;  le seul problème à dire vrai,  nous autres  africains,  ne savons pas aimer ce qui est beau et s’il  nous arrivait d’aimer,  nous ne savons pas diffuser . Pour ma part A force de lire les yeux de ma chèvre, J’ai toujours eu finalement l’impression de te voir partout le monde invisible. Le  monde du livre inscrit dans « les  yeux de ma chèvre »  émerveille. Il ne nous reste plus qu’à dire à Eric de Rosny Merci pour ses œuvres et merci pour le Cameroun ton pays adoptif qui t’a fait connaitre et que tu as fait connaitre. le Cameroun était une chance pour toi et tu es devenu une chance pour le Cameroun. Puissent les écrivains du monde entier faire une pyramide d’écritures pour un tel auteur. Quant à moi, je demande pardon, vraiment pardon, j’aurai pu moi aussi me lancer dans une telle recherche aussi profonde pour espérer être un auteur illustre, un jour.

 

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