Mag-Afriksurseine-Mars-2024

QUI ETAIT JOSEPH TCHUNDJANG POUEMI

JOSEPH TCHUNDJANG

« Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. » 

Ces mots de Jean d’Ormesson rappellent  le sentiment que même lorsque nous perdons un être cher, leur mémoire continue à vivre au travers de nos souvenirs et de notre affection. La présence des absents demeure dans nos cœurs et dans nos pensées, nous rappelant l’impact durable qu’ils ont eu sur nos vies. C’est une belle façon de réconforter les proches du défunt, et ne pas laisser le défunt dans l’oubli. Joseph Tchundjang Pouémi naqui le  13 novembre 1937 à Bangoua dans l’ouest du Cameroun. C’est là qu’enfant, il marque ses premiers pas entourés de ses parents et ses amis enfants dont  les rires au cours des jeux,  résonnaient parmi les arbres majestueux qui entourent les chaines montagneuses de l’ouest. Après ses études primaires il va s’inscrire au Collège moderne de Nkongsamba, l’actuel  Lycée du Manengouba.

Il gravite très vite les échelons et en 1955 il obtient son brevet d’études, important diplôme de l’époque coloniale. Mais l’histoire de Joseph est tissée de courage et de détermination, car son père un  homme au caractère bien trempé, défiait parfois l’autorité des administrateurs coloniaux. Cette attitude l’a conduit à des ennuis, obligeant ainsi la famille à déménager dans le nord du Cameroun. Ce changement de lieu a retardé la scolarité de Joseph, et surtout sa quête du savoir est suspendue à cause d’un milieu sans moyen de formation intellectuelle,  mais malgré cela, il a réussi à décrocher son baccalauréat en 1959 en tant que candidat libre.

En 1960, il a intégré l’Université de Clermont-Ferrand, puis a poursuivi ses études à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique de Paris. Doté d’une aptitude exceptionnelle pour les mathématiques et d’une intelligence hors du commun, Joseph Tchundjang Pouémi a constaté l’absence des valeurs éthiques dans la société des années 60. Parce qu’il est  témoin des événements de mai 1968 en France. il en conçut un vif dépit pour une société en dépravation. En 1969 il soutient  une thèse de Sciences économiques sous la direction de Pierre Massé, le père des plans français.

Cette thèse, intitulée « Les critères de choix des projets d’investissement en pays sous-développés par les organismes internationaux : fondements théoriques et problèmes d’application », a été complétée en 1970 par une thèse complémentaire portant sur les comptes nationaux du Cameroun. En 1972, il  intègre  l’Université de Yaoundé après avoir obtenu son agrégation en 1971.  Joseph Tchundjang Pouémi est ainsi devenu le premier Camerounais agrégé en sciences économiques. Il était un économiste panafricaniste et aspirait à former des économistes camerounais exceptionnels capables de comprendre les enjeux économiques et de les interpréter pour l’avenir.

Cependant, il a été privé de la direction idéologique de la formation des étudiants, ce qui l’a profondément frustré. Il a pris la décision de se retirer et de partir à Abidjan, mais là aussi, il a rencontré des obstacles. Cela l’a finalement conduit à retourner en Occident, notamment au FMI. Joseph Tchundjang Pouémi est l’auteur du livre « Monnaie, Servitude et Liberté : La Répression Monétaire de l’Afrique », publié en juin 1980. Dans ce livre, il expose son point de vue selon lequel la monnaie ne remplit pas son rôle en Afrique.

Il a souligné que la théorie de Keynes, l’un des plus grands économistes du XXe siècle, était pertinente dans le contexte africain. Selon Keynes, en période de crise, l’État doit intervenir en augmentant les revenus des pauvres pour stimuler la consommation, en favorisant le plein emploi et en soutenant les investissements des producteurs, ainsi qu’en lançant des grands travaux. Tchundjang Pouémi a constaté que de nombreux pays d’Afrique, en particulier en Afrique subsaharienne, souffraient de sous-emploi massif, ce qui rendait le keynésianisme applicable. Cependant, il a identifié que les pays sous-dominations coloniale de la France  étaient restés sous leur  domination monétaire  et ceux pour lesquels le franc CFA n’avait pas été conçu pour favoriser le développement.

Il a considéré que toute action entravant le fonctionnement de l’économie était une forme de répression. Il a donc exposé ses idées sur ce qu’il fallait faire pour remédier à la situation. Joseph Tchundjang Pouémi a influencé de nombreux penseurs en Afrique, parmi lesquels les plus célèbres sont Nicolas Agbohou de Côte d’Ivoire, Kako Nubukpo, Kemi Seba et Coovi Gomez, tous deux Togolais. De nombreux Camerounais ont également développé sa pensée, notamment  le regretté économiste  Hubert Kamga.

À la page 192 à 199 de son livre, Tchundjang Pouémi a vivement critiqué le FMI et la Banque mondiale, les considérant, comme les principaux responsables des maux de l’Afrique. Il avait prévenu les chefs d’État africains de ne pas recourir aux institutions internationales et avait proposé des solutions pour éviter de brader l’économie africaine. Hubert Kamga a déclaré que Tchundjang Pouémi aurait pu prétendre au prix Nobel, car un économiste américain nommé Joseph Eugène Stiglitz lauréat du prix Nobel d’économie en 2001, avait repris les thèses de Tchundjang Pouémi en développant sa réflexion sur la répression exercée par le FMI sur les pays en développement.

Les 27 décembre 1984  le destin tragique de Joseph Tchundjang prit un coup fatal, dans un acte qui reste empreint de mystère ; son décès dans des circonstances tragiques, qualifiées de suicide suscite encore des questions. Il n’avait que 47 ans et était à la fleur de sa vie. Même si la mort de Joseph Tchundjang Pouémi reste entourée de mystère, il est indéniable qu’il a dédié sa vie à une question cruciale : celle de la monnaie et de son impact sur l’économie africaine. Sa persévérance et son engagement dans cette cause ont laissé une empreinte indélébile sur le débat économique en Afrique, et ses idées continuent d’influencer les discussions sur la politique monétaire et l’autonomie économique du continent.

Le travail de Tchundjang Pouémi a contribué à sensibiliser l’Afrique aux enjeux monétaires et économiques auxquels l’Afrique est confrontée, notamment en ce qui concerne la souveraineté monétaire et le rôle des institutions financières internationales. Ses écrits, notamment son ouvrage « Monnaie, Servitude et Liberté », continuent d’être une source d’inspiration et de réflexion pour les économistes, les chercheurs et les décideurs en Afrique. Bien que sa vie se soit terminée tragiquement, son héritage intellectuel et son dévouement envers la question monétaire restent plus pertinents que jamais. Ses idées continuent de susciter  les débats sur la manière de promouvoir le développement économique durable en Afrique et de renforcer la souveraineté monétaire des nations du continent.

Joseph Tchundjang Pouémi a laissé un impact durable, et son travail continue de guider la réflexion sur l’avenir économique de l’Afrique. Un ouvrage ultérieur lui avait  été dédié, intitulé « Hommage à Tchundjang Pouémi ». A l’intérieur duquel un groupe d’universitaires  célère la vie et l’héritage exceptionnels de Joseph Tchundjang Pouémi, tout en appelant à la poursuite de son travail et de ses idées pour un avenir économique meilleur en Afrique. Lorsque j’ai lu monnaie, servitude et liberté, je me suis arrêté longuement sur cette phrase à la page 194 qui dit :  « La France est le seul européen qui impose sa monnaie aux états indépendants ». Je reste convaincu que c’est cette phrase qui a provoqué l’acharnement de ses ennemis sur lui.

 

Loading

Tendances

A Lire aussi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut