Œuvres :
1) Des larmes aux étoiles, textes à l’absente (2023)
2) Les racines du bien ou la parenthèse enchantée (2022)
Auteur : Serges NGOUNGA
1) Des larmes aux étoiles, textes à l’absente
Titre aux vocables oxymoriques qui invite le lecteur à se pencher sur la paratextualité et plus précisément sur le péritexte, c’est-à-dire la couverture. Elle est constituée essentiellement de trois couleurs à savoir le noir dominant, auréolé d’étoiles qui lui donnent une certaine clarté, le rose synonyme d’amour dont le reflet apparaît sur le visage de l’absente et enfin le blanc resplendissant signe de candeur et de pureté. Ces couleurs ont un lien étroit avec le titre du livre dont le noir s’identifie à la douleur qui débouche sur une note d’espoir marquée par les étoiles et le blanc. Cet espoir sera manifeste si et seulement s’il est couvert d’amour connoté par le rose.
La quatrième de couverture apporte, par le biais de l’extrait du poème qui y figure, une réponse explicite au choix des éléments paratextuels :
Nos torrents de larmes remplissent nos lits, pleins de désespoir
[…]
À présent, accepter l’inattendue est le débat d’une nouvelle vie…
Le texte proprement dit, constitué de 35 poèmes rédigés entre le 25 mai et le 24 novembre 2022 peut être divisé en trois mouvements :
– Le premier mouvement est constitué des poèmes qui mettent en exergue l’épreuve et la souffrance qui étreignent le poète. Dans le poème « La terre a tremblé » on peut lire l’effroi qui se saisit du poète :
La nouvelle est lourde et assommante
Elle n’est plus, elle s’en est allée !
[…]
La terre a tremblé et bientôt se refermera avec sa proie innocente
Un baobab est tombé ! une lumière s’est éteinte
Une mère est partie
La disparition de la mère provoque un vacarme de pleurs qu’il compare au tonnerre :
Un tonnerre de pleurs, de cris, de désolation déchire mon calme ciel.
– Le deuxième mouvement est la résilience : avancer malgré la douleur.
Des questions sans réponses traversent la pensée du poète qui se résout à reprendre vie malgré les épreuves :
Je me dois de résister au tourbillon morbide et aveuglant !
Je me dois de tenir avec beaucoup de courage face à la sordide tempête
Je me dois de rebondir pour monter encore et encore plus haut
Cette résilience invite le poète au stoïcisme, c’est-à-dire à faire face aux épreuves sans crier comme le loup d’Alfred de Vigny dans Les destinées. Le poète Ngounga s’interroge sur ce stoïcisme :
Gémir ? crier ? pleurer ? tomber ? Avons-nous une autre issue possible ?
Sans ambages il répond sans atermoiement :
Il me reste à faire face, à faire preuve de courage et de foi –
Le dernier mouvement est constitué d’un ensemble d’éléments qui viennent apaiser la douleur et tendre vers l’espoir. Nous pouvons relever le pardon, la nature, l’espérance, le sourire et le souvenir qui apparaissent comme une catharsis qui vient libérer le poète de l’étreinte de la douleur.
L’œuvre de Serges Ngounga installe le lecteur dans une immersion fictionnelle qui met en exergue les affects du poète qui, inévitablement, suscitent des émotions chez les uns et les autres. Cette émotion est purement artistique. Les émotions que le poète éprouve sont transformés sous le prisme de l’esthétique. L’écrivain, par le biais des images, des répétitions et des agencements rythmiques, nous fait passer des affres du cœur au plaisir de l’esprit. L’émotion poétique est relayée par les mots, et la façon de dire produit chez le lecteur une certaine sensation qui convoque la sensorialité.
Des larmes aux étoiles, textes à l’absente, est un lyrisme de la réalité qui n’est ni un réalisme ni un sentimentalisme. Il n’est pas la formulation fidèle d’un sentiment personnel. Il ne se borne pas à les exprimer mais vise à les recréer l’un et l’autre pour produire une émotion neuve qui est le fruit de l’écriture poétique.
Le lyrisme de Serges Ngounga invite les lecteurs non seulement à partager les émotions exprimées à travers les poèmes, mais également à se poser des questions sur leur signification. Qu’en est-il du recueil Les racines du bien ou la parenthèse enchantée ?
2) Les racines du bien ou la parenthèse enchantée
Contrairement au recueil de poèmes Des larmes aux étoiles, textes à l’absente, Les racines du bien ou la parenthèse enchantée a une coloration méliorative, lisible à partir du titre et de l’image sur la première de couverture. L’image constituée de la végétation, couleur verte symbole de la vie et la couleur bleu sous fond blanc, teinte du ciel, signe de clarté et du beau temps, nous amène à être optimiste quant au contenu de l’œuvre.
Le poète dès le premier poème « Qui suis-je » annonce les valeurs qui sont siennes et auxquelles il est attaché. Ces valeurs sont : l’amour, la beauté, la vérité, la probité, l’humanisme, la liberté, la justice, l’authenticité, le pardon et bien d’autres encore. Elles doivent rythmer le quotidien de l’Humain, car elles sont la clef de l’humanisation de notre monde. Le poète dans ses écrits essaye de remplir le vœu de Maurice Nadeau pour qui, l’artiste complet est susceptible « d’éveiller les résonances et surtout de susciter des émotions, des idées, des comportements nouveaux ». D’où l’importance du poète. L’être humain n’est pas seulement esprit, il est également fait de chair et par conséquent enclin au plaisir. « Le poème plaisir en chair et vin » met en exergue la polysensorialité qui se décline en terme de vue, de goût, d’odorat et traduit le bien-être du poète :
Les couleurs des mets en harmonie m’interpellent
Un nuage d’odeur amène à mon cerveau les bonnes sensations
Tout mon être est transe, saisi par le plaisir avenir
La quête du désir, du plaisir de la table est un délice
Une bonne bouteille du sud-ouest attend sa bonne heure
Sa belle robe d’un bordeaux éclatant enveloppera le verre
La gastronomie et les autres valeurs sont source de bonheur.
Le poète se penche sur la nature bienfaisante, la terre espace agraire de son enfance avec le poème « Graine de maïs » est source de joie et moment de reconnaissance :
L’homme des champs est encore fier comme chaque année La terre a été généreuse et l’enchantement est à son comble Avec foi, il gratifie dame nature d’un sourire de reconnaissance
Protéger la nature et la régénérer est un acte éternel qui mérite d’être salué et perpétué au vu des défis climatiques et environnementaux actuels, d’où le poème « Sapin » dédié à Jean Poupié : Dans mon beau village
Au cœur du pays bamoun
Cette terre séculaire qui a vu passer tant de braves hommes
Ce pays qui a su libérer la femme à sa dignité véritable
Un homme a posé dans sa terre sa marque pour l’éternité
Il a pu rendre à la nature existante son amour pour la terre
Sans s’ériger en donneur de leçons, l’écriture de Serges Ngounga traduit son enracinement dans la réalité quotidienne, la vie, la mort, les valeurs morales, la nature, la culture, la famille, etc.. Ces éléments convoqués sous sa plume constituent une ambroisie qui devrait nourrir l’humanité. Le poète, par le lyrisme de la réalité essaye d’apporter des réponses aux questions que se posent l’Homme sur son existence.
Avec des mots habillés de rimes, de sonorités et d’images, le poète imprime un rythme à son écriture similaire à nos sensations et à nos émotions. On ne saurait achever ces moments de partage sans toutefois évoquer la recherche laborieuse effectuée par le poète Ngounga qui consiste à doter chaque poème d’une épigraphe. Contrairement à sa place initiale qui est au début du texte, il a choisi de la placer à la fin. Les épigraphes des poèmes de Serges Ngounga viennent suggérer au lecteur une idée, des intentions de l’auteur. Ces épigraphes toutes allographes fonctionnement comme des indications qui mettent en exergue l’esprit du poème.
Dr Eulalie Patricia ESSOMBA
Chargée de cours à l’ENS de Yaoundé