Mag-Afriksurseine-Mars-2024

J’AI LU POUR VOUS LE LIVRE, « SANDRINE LA RESILIENTE »

Sandrine, la narratrice, a grandi au Cameroun. Elle est arrivée en France en 2005 et le même jour on la faisait retourner. Un choc psychologique inoubliable. Elle va traverser de dures épreuves infernales de la vie au cours de ce retour.  Dans l’avion qui la ramène Sandrine pense à tout jusqu’au suicide. Elle va vivre l’instant présent, où le temps si douloureux passe vite, mais  au ralenti.  La quintessence des événements la vide de sa substance, au point de manquer de mots.  Sandrine Fansi commence son autobiographie par relater son parcours au travers d’une passion momentanée pour les voyages. Pourquoi les voyages ? Parce que dans les voyages, on a le goût du sublime. Les voyages mettent les Hommes devant  des odyssées, pourtant c’est l’enfer qui nous attend. Les voyages nous font atterrir quelque part comme des parachutistes largués en plein vol de reconnaissance. Là où ils atterrissent, ils  deviennent des personnages hypothétiques dont on ne peut faire confiance. Soit on est mal vu, soit on est ignoré tout simplement. Nous sommes perçus comme trop encombrants, étouffants. Elle va connaître cette dure réalité face à la police, face aux juges, et face à ces  regards narquois des passants. Elle est condamnée au  rapatriement. Le vol est prêt, l’avion est  stationné sur le tarmac.  Un avion de  couleur blanche coloré de bleu. Se souvient-elle.

Une jeune fille, superbe, belle. Tenue à présent à se surpasser. Elle sera ligotée et traitée sans états d’âme par ses bourreaux. Introduite dans un avion, elle sera ramenée sur la terre de ses ancêtres. Dans toutes ces péripéties, elle a supplié. Mais supplier qui ? Ce n’est pas ceux qui la rapatrient qui prennent les  décisions, ceux-ci font leur travail. Cette décision lui fait entrer dans une sorte de transe métaphysique à la Camus. Elle comprend l’absurdité de la vie. Puisqu’elle voit en un jour sa vie basculer ou alors recommencer. De la transe, elle accède le transcendantal comme chez Emmanuel Kant. Elle supplie Dieu de faire exploser  l’avion, afin qu’elle n’atterrisse pas à Douala. Au même Dieu, elle prie d’épargner les passagers ce crashe  qui selon ses pensées va arriver d’un moment à l’autre où elle espère mourir seule. Une scène d’aventure saisissante. Drame et fantastique comme chez Dostoïevski dans son livre « la maison des morts. » En y pensant la ravissante dame fatiguée de pleurer s’endort. Dans ce sommeil d’un laps de temps, un ange lui apparaît, elle trouve en cette apparition une révélation de ce  dieu vers qui elle s’est penchée. C’est dès cet instant que naît sa résilience. Elle accepte son destin. Elle va accomplir son destin, mais elle sait qu’elle retournera en occident.

Lorsqu’une œuvre nous procure autant de plaisir, d’exaspération, de défiance et d’émotion, c’est un supplément d’âme, ou alors une force additive  qui se dévoile. Rares sont les œuvres de nos jours qui provoquent et entraînent un tel déchaînement. Le pathétique, les secousses, les  transes, l’auteur y mêle tout. « Sandrine la Résiliente » est un livre autobiographique qui a un ton romanesque étourdissant, porté par des personnages divers issus du quotidien. Ce livre blesse notre conscience dans nos rapports avec les hommes. Il mérite d’être étudié en trois points de vue : d’abord, le ton novateur du livre dont on peut comparer à un ouvrage de développement personnel. Sandrine n’avait jamais songé à écrire un livre, les circonstances de la vie l’ont emportée. Dans son livre, les personnages et la place qu’ils occupent directement ou indirectement dans la vie publique française restent d’actualité : la police, la justice et les chargés de recrutement, etc. Enfin le portrait de l’auteur tel qu’il se révèle involontairement à travers son désir de surmonter les obstacles de la vie. En-dehors du drame qui se dévoile, l’écriture frappe d’abord par sa sobriété.

Chaque ligne de l’œuvre a son uppercut. Ça vous coince  tripes et vous ébranle. Chaque chapitre laisse le soin au lecteur de départager le bien du mal. Ligne après ligne, on ne désire pas s’y arrêter. Étudiant une œuvre littéraire, elle est tenue d’être à la fois thématique et synthétique. L’œuvre littéraire est  contrainte de dégager par exemple le mouvement d’ensemble d’un texte, définir la sensibilité ou la pensée de l’auteur, afficher son exercice artistique. C’est ici que la beauté de Sandrine rejoint sa beauté littéraire. Mais je ne saurais réduire mon étude à une explication péremptoire élaguée, émaciée, je dirai même schématisée. Je laisse le soin à d’autres d’en faire autant et de retourner m’en parler, car l’étude doit obéir à une exigence de clarté de netteté et de densité afin de manifester partout l’unanimité. Lisons un peu quelques extraits : «… Elle a exigé que je sorte de son bureau… », « …j’ai quitté son bureau et ai couru jusqu’à la gare sans me retourner …», «… Une fois, la tentation fut grande d’aller… moi-même me livrer aux forces de l’ordre et me faire arrêter… ». Jamais en effet, la littérature et toutes les formes d’art n’ont été plus réflexives qu’aujourd’hui, plus soucieuses de s’interroger elles-mêmes.

Je fais œuvre de critique, souvent le critique a tendance à piquer la place de l’auteur, et revendique pour son œuvre le label de l’ossature, alors que l’écrivain lui-même est son propre critique non point qu’il se juge comme l’aurait fait un expert, mais du moins, il dit ce qu’il a voulu dire et qui n’aurait  pas été très souvent bien saisi. Outre tous les fonds, il y a la forme qu’il est impératif de convoquer. La sobriété lyrique des moyens auxquels recourt Sandrine  nous oblige à nous regarder droit dans les yeux. Son opiniâtreté, son regard tenace de l’insensibilité de ses contemporains, la grandeur baroque de son engagement qui joue ici un rôle littéraire pénétrant. Par où les hommes et les femmes continuent d’interpeller le regard de l’autre et sa compassion. Ce roman nous parle tout simplement. Sa musique est lancinante.

Elle fait cavaler en nous cette idée qui nous fait comprendre que l’homme crée définitivement sa propre angoisse. Somme toute, dans une œuvre littéraire, on la referme ému,  ébranlé et fasciné à la fois, je dirai même, captivé par la maîtrise narrative et la puissance d’incarnation d’une romancière qui s’annonce. On prétend que les livres autobiographiques sont faciles à écrire parce que l’histoire est connue d’avance, mais il faut beaucoup d’imagination, de l’empathie, mais surtout du talent. Sandrine nous a aidés élégamment dans cette compréhension. Elle nous a permis de voir grandement la misère africaine que  ses hommes transportent chaque jour dans les banlieues d’un train à l’autre, portant sur leur dos un sac pourtant fermé, répugnant et honteux,  mais   puant de misère.

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