Mag-Afriksurseine-Mars-2024

CONTE POUR ENFANTS AVEC THEODORA PENDA

THEODORA PENDA

C’est dans le silence de la nuit, que l’ancien enseigne le sens de toutes choses… Il était une fois, il n’y a pas si longtemps de cela, du temps où l’humanité ne faisait aucune distinction entre les espèces, l’histoire de Poué… Dans un coin de brousse, Poué, Mère souris, vivait modestement avec ses sept souriceaux. Comme elle était une femme avisée et qu’elle connaissait les dangers de la vie, elle avait pris le soin de faire la paix avec ses trois voisins : Singi le chat, Mboh le chien et Mbomo le serpent. L’armistice laissait croire qu’une amitié sincère les liait, car l’on ne vit aucune discorde venir rompre l’harmonie d’un si beau voisinage. Ainsi, le temps passait, doux et paisible.

Mais un jour, Mère Poué constata que Mouna, le dernier de ses enfants manquait. Quand on sait le lien fort qui unit une mère à son dernier-né, objet de ses attentions les plus tendres, l’on ne s’étonnera pas que des heures durant, ce ne fut plus que : « Mouna, Mouna, où es-tu ? Réponds à ta mère. Mouna, ne me laisse pas mourir de chagrin, réponds-moi, reviens à la maison ». La mère chercha partout son fils, l’appela à tous les échos, interrogea les voisins. Puisque personne ne savait rien et que son petit restait introuvable, elle décida d’alerter Kossi, le shérif des animaux, qu’on appelait aussi « Gros-Rat ». « Gros-Rat » ne devait rien à son nom.

Il n’était ni dodu, ni de forte carrure. Plutôt petit et d’un naturel timide, on le remarquait à peine. Mais lorsqu’il se mettait en colère et qu’il ouvrait sa bouche, aux environs, l’on se cachait, l’on tremblait, l’on se signait. Car en effet, « Gros-Rat » avait une voix sur-dimensionnée. Il était inconcevable, voire consternant, qu’une telle intonation, forte et puissante, pût venir des entrailles d’un tel gringalet. Mais c’est précisément grâce à ce don de la nature, que Kossi fut jugé par tous, comme étant la seule voix autoritaire capable de faire avouer l’inavouable, de démêler le vrai du faux et d’imposer la paix partout où elle manquait.

Ainsi donc, notre shérif suspecta immédiatement Singi le chat. Il n’aimait pas ses façons, brutales et impulsives envers les souris. Et, d’ailleurs, – pensa l’officier dépositaire de l’autorité -, le chat avait un peu trop tendance à adopter les mêmes mauvaises façons, vis-à-vis des rats. C’est cela qui renforça sa détermination à établir au plus vite, la culpabilité de ce sanguinaire. Poussé par la clarté de son raisonnement et soucieux de bien faire son travail, sans plus tarder, le policier se rendit chez le suspect. – « Singi ! Il me semble que tu as le ventre en merveilleux état, bien dodu, bien repu ! As-tu mangé récemment ? » Tonna le rat, aussitôt parvenu chez le chat. Singi était un chat maniaque de l’ordre et de la propreté, qui s’affaire dès que le jour se lève. A l’heure où se tenait cette conversation, il avait déjà fait son lit, balayé sa maison, épousseté ses meubles et dans la cour, arraché l’herbette sauvage. Il s’empressait de terminer sa lessive car il y avait encore la haie à tailler, lorsque Kossi et sa tête des mauvais jours lui étaient apparus.

La visite le contraria. Cependant, il répondit poliment : « Le moment de mon déjeuner ne saurait tarder ». « Et que mangeras-tu ? Du rat ou de la souris ? » S’enflamma Kossi le rancunier. Cette fois, le chat ne put cacher son agacement : « mais où veux-tu en venir avec tes questions stupides, si je peux me permettre ? » « A la souris ! Beugla « Gros-Rat ». Je veux en venir à la souris qui te servira de repas tout à l’heure, espèce de glouton doublé d’assassin. Peux-tu me dire où est le fils de Poué, cette pauvre femme dont on entend d’ici la force des cris ? Quand as-tu aperçu le petit pour la dernière fois ? J’exige que tu me répondes en toute franchise».

Le chat marqua son étonnement en ouvrant deux grands yeux incapables de dire la vérité. Puis la main sur le cœur, il jura au nom de toute sa race : « Le ciel lumineux me soit témoin, les souris et les chats ne sont plus en querelle depuis que j’ai signé la paix royale avec Mère Poué». Mais qui est assez sot au point de s’imaginer que la vertu d’un chat se mesure à sa parole ? C’est la raison pour laquelle « Gros-Rat » sentit lui monter la bile. Il revit en pensée Dame Poué, pauvre mère éplorée, prête à chavirer. Il eut aussi une pensée rageuse pour les siens, tous ces Kossi qui craignent pour leur vie, aussitôt qu’ils croisent l’ombre d’un Singi.

D’un geste impatient, le shérif écarta le coupable de son chemin et le voilà bientôt dans la cuisine, persuadé d’y trouver les restes du souriceau. Sur le fourneau, une énorme marmite bouillonnait gaiement et laissait échapper une colonne mouvante de vapeur blanche. L’agréable fumet lui flatta les narines. Le shérif saliva. Décidément, son flair était infaillible. Savourant à l’avance le plaisir de boucler avec facilité une affaire compliquée, d’une main prompte, « Gros-Rat » souleva le couvercle de la marmite et se pencha avec curiosité. Mais c’est le chat qui fut le plus rapide car sans qu’on ne sache comment, Kossi, rat soupçonneux, se retrouva au fond de la casserole bouillonnante. Ce jour-là, il fut cuit à point.

C’est depuis ces événements malheureux, où l’on a vu un policier à quatre pattes prendre un coup de roussi, puis finir en soupe, que rat échaudé craint l’eau froide. Moralité : Voulant imiter les hommes, les animaux avaient désigné un représentant de la force de l’ordre, espérant que quelque civilisation leur ferait changer de manières. Mais ils ont oublié qu’ils porteront toujours en eux, cette part de brousse qui dicte encore aujourd’hui, chacun de leurs agissements. Le fabuliste dirait qu’on tient toujours du lieu dont on vient. Théodora PENDA – « Les animaux qui vivaient comme les hommes » (extrait) –

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