Beaucoup se disent parfois, à la dernière absurdité ou énormité dont notre système gouvernant est si coutumier, qu’on ne peut faire pire, pensant qu’on vient de toucher le fond. Mais cette réflexion se trouve toujours très vite démentie au prochain fait divers et on se rend compte, qu’au Cameroun, quand on croit qu’on a atteint les abysses de l’opprobre et de la fumisterie, ce n’est pas encore fini. La démonstration douloureuse vient de nous être faite une nouvelle fois dans la ténébreuse et rocambolesque affaire Martinez Zogo. Début janvier 2023, l’animateur sulfureux Arsène, Salomon Mbani Zogo alias Martinez Zogo, promoteur de la chaîne de radio Amplitude FM fait des révélations sur de présumés détournements massifs de deniers publics dans lesquelles il met en cause des hommes publics connus et un modus operandi qui implique certains hommes du régime. Quelques jours plus tard, soit le 17 janvier 2023, il est enlevé sur le chemin de son retour à son domicile par des hommes encagoulés.
Son corps sera retrouvé le dimanche 22 janvier 2023 dans une clairière à la périphérie de Yaoundé au lieu-dit Ebogo III, portant des mutilations et autres traces de sévices et tortures corporels. Alors qu’une première enquête de police est ouverte par le parquet de Mfou, compétent en raison du lieu de la découverte du cadavre, une deuxième enquête, mixte celle-là, est ouverte sur instructions de la Présidence de la République et confiée à la gendarmerie nationale et à la police nationale sous l’égide du secrétariat d’État à la défense. Avec cette irruption, le ver est déjà dans le fruit. L’affaire prend alors une coloration d’autant plus politique et exceptionnelle que la procédure est orientée vers les juridictions militaires dont le placement sous la tutelle hiérarchique et la subordination organique ou fonctionnelle du Ministre de la Défense réduit à la portion congrue le soupçon de l’indépendance qui peut être attendue d’un corps judiciaire ectoplasmique. Quelques jours à peine après l’ouverture de cette enquête préliminaire, le colonel Justin Danwe, responsable des opérations à la Direction générale de la Recherche extérieure (Dgre) est interpellé.
Il va très vite passer aux aveux et faire un certain nombre de révélations qui vont mettre gravement en cause des hommes publics appartenant au monde politique et au monde des affaires. Son supérieur hiérarchique, le Commissaire divisionnaire Léopold Maxime Eko Eko, Directeur Général de la Dgre, est le premier d’entre eux à être interpellé. Il sera suivi du sulfureux homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et de plusieurs autres membres de son entourage personnel, familial et professionnel. Au bout de quelques semaines d’enquête préliminaire, la procédure orientée vers le Tribunal militaire de Yaoundé va donner lieu à l’ouverture d’une information judiciaire qui, après quelques soubresauts, sera confiée à un juge d’instruction dudit Tribunal. C’est ainsi que le 04 Mars 2023, la plupart des personnes ci-dessus visées par l’enquête sont inculpées de filature, d’enlèvement et de torture puis placées en détention provisoire à la prison principale de Kondengui à Yaoundé.
Il faut dire que ces inculpations a minima en ont surpris plus d’un compte tenu du dispositif mis en place pour la capture, la séquestration et les sévices imposés au supplicié, qui tenaient de la préméditation d’homicide devant normalement conduire à la suspicion d’assassinat. Beaucoup y ont vu une justice compromissoire qui évitait d’avoir à rechercher un éventuel commanditaire et donneur d’ordre, un auteur moral ou intellectuel de ce crime crapuleux. Durant neuf (09) long mois, le grand public tenu éloigné de l’évolution de la procédure en raison du caractère secret de l’instruction préparatoire au Cameroun a redouté l’enlisement.
C’est donc avec surprise et stupeur que le monde entier découvre, dans le milieu de la journée du vendredi 1er décembre 2023, que ce qui a commencé comme une simple rumeur finit par se concrétiser par la publication de l’ordonnance de mise en liberté prise sous le numéro 080/OR/C1/SIK/TMY de deux des principaux protagonistes de cette effroyable affaire : Monsieur Amougou Belinga Jean-Pierre, homme d’affaires et Monsieur Léopold Maxime Eko Eko, Directeur jamais démis de ses fonctions de la Dgre. La réalité de cette décision est formellement corroborée par une notification séparément faite aux conseils des intéressés qui en font bonne décharge au greffe du Tribunal militaire de Yaoundé.
Personne n’a vu venir ! Le monde en est encore tout à notre étonnement et à sa stupéfaction face à cette information spectaculaire lorsqu’en fin de la même journée du vendredi 1er décembre 2023, un communiqué émanant du même Tribunal militaire jette tous les observateurs de la vie politico-judiciaire dans la plus profonde perplexité : la juridiction qui a ordonné la remise en liberté dûment notifiée aux personnes concernées fait paraître un communiqué dans lequel elle conteste sa propre décision qu’elle qualifie de « fake ». Que faut-il comprendre de ce pataquès et de cet imbroglio ? Une juridiction peut-elle impunément rétracter sa propre décision ? Quel est le recours offert aux bénéficiaires lésés ? La réponse à ces questions est capitale : il est question de sécurité juridique.
Il conviendra d’examiner successivement la décision en elle-même
(I) avant d’envisager le rétropédalage judiciaire qui n’a rien d’inédit (II).
I) LA DÉCISION DE MISE EN LIBERTE DU 1er DECEMBRE 2023
Si dans son existence l’ordonnance du 1er décembre 2023 est incontestablement authentique, dans son contenu, elle prête, a bien des égards, a controverse. A – MALGRE LA RETRACTATION ULTERIEURE, L’AUTHENTICITE DE LA DECISION DU 1ER DECEMBRE 2023 SEMBLE DIFFICILEMENT CONTESTABLE Le Juge d’instruction s’est rétracté après avoir pris connaissance de la publication dans les réseaux sociaux de l’ordonnance du 1er décembre 2023. Si les apparences extérieures de l’ordonnance plaident pour son authenticité, la question reste de savoir quel a été le rôle du parquet dans l’élaboration de cette décision.
1. Les apparences extérieures de l’ordonnance plaident en faveur de son authenticité
L’ordonnance de mise en liberté du 1er décembre 2023 semble incontestable et authentique. Elle a été prise par le juge compétent, c’est-à-dire, celui qui avait la charge du dossier et qui, disposait des moyens d’investigations lui permettant d’instruire à charge et à décharge. La motivation parfaitement agencée, juridiquement construite et argumentée de cette ordonnance concluent inéluctablement à la conviction personnelle de l’auteur de cette décision juridictionnelle. Par ailleurs, l’ordonnance dont s’agit a été signée et notifiée aux avocats des accusés concernés par le greffe de la juridiction compétente dont c’est du reste l’office. Sauf à penser que le juge d’instruction est atteint d’un syndrome schizophrène, cette décision ne peut donc être considérée comme une « fake » ni par lui-même, ni par personne d’autre. Il est difficile d’admettre qu’il se soit agi d’une fausse décision fabriquée en vue d’une tentative d’évasion, sauf à démontrer que la signature du juge d’instruction a été surfaite et que les autres diligences notamment la notification aux parties ont été entreprises avec la complicité du greffe et des avocats qui, faut-il le rappeler ont reçu séparément leurs notifications.
2. Quid de la participation du parquet à l’élaboration de cette ordonnance?
Il reste néanmoins à s’interroger sur le rôle du parquet dans l’élaboration de cette mesure. En général, pour tout dossier, avant de prendre une mesure quelconque, surtout quand elle est en lien avec la mise en liberté, le juge d’instruction sollicite des réquisitions (données en la forme écrite) du ministère public. Cette exigence était encore plus grande en l’espèce s’agissant d’un dossier dit «signalé», c’est-à-dire sensible, où le ministère public, représenté devant le tribunal militaire par le commissaire du gouvernement est encore plus étroitement associé à la moindre mesure que dans n’importe quel autre dossier. En l’occurrence, compte tenu de l’absence d’urgence et de l’impact prévisible sur l’opinion de la mesure envisagée d’office par le juge d’instruction, nul ne peut imaginer qu’il l’ait prise seul et que le ministère public n’y ait pas été associé.
Le ministère public a sans doute été associé. Connaissant le fonctionnement de la justice au Cameroun et plus particulièrement de la justice militaire où le dogme de l’obéissance est encore plus poussé, on imagine mal que le juge d’instruction ait pu braver l’opposition du Commissaire du Gouvernement. Pour nous, si le parquet n’a pas été associé, et il y a un doute sérieux sur l’authenticité, de la décision du 1er décembre 2023. En revanche, s’il y a été associé, il est possible d’envisager que, dans un premier temps, il a requis à son initiative ou sur demande du juge d’instruction la mesure de mise en liberté, ou alors qu’il ne s’y est tout simplement pas opposé. La lettre du parquet prescrivant au régisseur de s’abstenir d’exécuter la mise en liberté contenue dans l’ordonnance ne peut être éclairante, le même parquet s’est dédit en vingt(quatre heures dans le placement en détention provisoire du défunt ministre Bapès Bapès en avril 2014. La décision prise le 1er décembre 2014, si elle n’est pas contestable dans son existence et son authenticité n’en est pas moins sujette à controverse sur le fond.
B- LA DECISION DU 1ER DECEMBRE 2023 INTERROGE QUANT A SON FOND
La décision du 1er décembre 2023 interroge à plus d’un titre : quant à sa nature (1), quant à ses bénéficiaires (2) et quant à son opportunité (3).
1- sa nature Beaucoup d’observateurs semblent avoir été surpris que la mise en liberté soit ordonnée alors que le Code de procédure pénale semble l’interdire. A la réalité, ils se trompent. Parce qu’elle constitue une mesure gravement attentatoire à la liberté individuelle, la détention provisoire est bien réglementée. Par l’atteinte particulière qu’elle occasionne à la liberté de circulation, elle ne peut pas être une situation pérenne. La mise en détention provisoire peut donc, avant le jugement et le prononcé de la peine, être suivie d’une remise en liberté. S’agissant d’abord des conditions légales du placement en détention provisoire, la loi a institué des conditions de fond et les conditions de forme. S’agissant d’abord des conditions de fond, elles ne sont pas définies avec clarté par le législateur camerounais.
La jurisprudence laisse au juge d’instruction le soin d’apprécier souverainement le placement en détention provisoire. D’une manière générale, la détention provisoire doit être le seul moyen de répondre aux intérêts suivants : prévenir la réitération de l’infraction, éviter le dépérissement de la preuve, éviter des pressions sur les victimes et les témoins, assurer la représentation en justice de la personne poursuivie, éviter un trouble à l’ordre public. Dès lors, il faut que la détention provisoire soit nécessaire. Le Code de procédure pénale de 2007 proclame solennellement que la liberté est la règle et la détention l’exception. Dans cette perspective, ce qui est principalement recherché, c’est la manifestation de la vérité et la représentation en justice de l’inculpé. Si d’autres moyens (cautionnement, surveillance judiciaire, etc.) permettent d’y parvenir, la détention provisoire ne se justifie pas en principe.
Il faut en outre que l’infraction poursuivie soit qualifiée de crime ou de délit. L’infraction poursuivie doit également être punie d’une peine privative de liberté dont la durée n’a pas été précisée par le législateur. Il convient de combler cette lacune et prévoir par exemple que la peine d’emprisonnement encourue soit supérieure ou égale à vingt-quatre mois. Quant aux conditions de forme, elles exigent toujours un mandat de détention provisoire, c’est-à-dire un ordre par lequel le juge d’instruction ordonne au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir l’inculpé contre lequel il a pris une ordonnance de placement en détention provisoire.
Ladite ordonnance de détention provisoire doit, à peine de nullité, être motivée. En ce qui concerne la durée, la détention provisoire ne peut excéder une durée maximale de six mois. A titre exceptionnel, elle peut être prolongée d’une durée de six mois, en cas de délit, et de douze mois, en cas de crime, de sorte que la durée maximale de la détention provisoire est de douze mois, prolongation comprise, en cas de délit et de dix-huit mois, prolongation comprise, en cas de crime. Le placement en détention provisoire n’étant pas une mesure pérenne, le législateur a institué la possibilité d’une mise en liberté et il fait une double distinction entre mise en liberté facultative ou de droit et mise en liberté avec ou sans caution.
1.1- La mise en liberté facultative ou de droit
Il convient d’examiner successivement l’une et l’autre notions.
a) La mise en liberté facultative
La mise en liberté est facultative chaque fois que la durée de la détention est inférieure au maximum légal. Lorsque la durée légale maximale n’est pas atteinte, la remise en liberté doit être demandée par la personne poursuivie ou son avocat. Elle peut même être demandée par le ministère public ou prononcée d’office par le juge d’instruction, s’il estime que la détention provisoire n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité. En tout état de cause, le juge d’instruction jouit d’une discrétion absolue sur l’opportunité de la mise en liberté provisoire. Toutefois, aux termes de l’article 25, alinéa 3 de la loi N°2006/017 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire modifiée et complétée par la loi N°2011/027 du 14 décembre 2011, « (…), b) lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en liberté, le Juge d’Instruction dispose d’un délai de cinq (5) jours pour se prononcer ». Le silence gardé par ce magistrat au-delà de ce délai vaut rejet de la demande de mise en liberté ouvrant droit à un recours en appel devant la Chambre du contrôle de l’instruction.
La demande de mise en liberté adressée au greffier du juge d’instruction en charge du dossier n’est soumise à aucun formalisme. Elle n’est soumise à aucune limitation. Il peut donc être déposé autant de demandes de mise en liberté que le mis en cause le souhaite.
a) La mise en liberté de droit
La mise en liberté est de droit lorsque la durée légale de la détention provisoire est acquise, à moins que le juge d’instruction n’autorise une prolongation dans la limite du maximum légal. Mais une fois le maximum accompli, la mise en liberté est de droit. D’initiative personnelle du juge d’instruction qui, en pratique, peut y être invité par le ministère public ou par le mis en cause, la mise en liberté de droit n’est soumise à aucune procédure particulière si ce n’est solliciter l’avis du ministère public lorsque ce n’est pas lui qui a requis la mesure.
1.2 – La mise en liberté avec ou sans caution
En application de l’alinéa 1 de l’article 224 CPP, le juge d’instruction peut assortir la remise en liberté de la soumission de l’inculpé à certaines garanties visées par l’article 246 (g) CPP et destinées à assurer notamment la représentation de la personne poursuivie en justice. Cette disposition prévoit que la personne remise en liberté peut fournir, en vue de garantir sa représentation en justice, soit un cautionnement, soit un ou plusieurs garants. Lorsque la personne remise en liberté est astreinte à un cautionnement, le juge d’instruction fixe le montant en fonction de la capacité de la personne détenue. Cependant, il ne peut y avoir de remise en liberté sous caution lorsque l’infraction poursuivie est un crime faisant encourir l’emprisonnement à vie ou la peine de mort. Au vu de ce qui précède, il ne nous semble pas que la loi ait été violée par l’ordonnance du 1er décembre 2023.
Le fait qu’il s’agisse de qualifications dans lesquelles l’emprisonnement à vie était encouru au titre de la plus haute expression pénale n’y change rien. En effet, le texte semble restreindre l’interdiction de remise en liberté à la seule mise en liberté sous caution. Or, il n’est pas question en l’espèce de mise en liberté sous caution. L’interprétation restrictive étant la règle en matière pénale, une interprétation qui conduirait à étendre l’interdiction à une situation non expressément prévue même si elle entraîne un trouble plus grand n’est pas envisageable. D’autre part, dans le cas qui nous concerne, il ne semble pas que la mise en liberté ait été précédée d’une « demande » de mise en liberté en liberté, celle-ci ayant été prononcée d’office, c’est-à-dire, à l’initiative du juge lui-même. Mais, cet élément suscite lui aussi un trouble, car le même juge aurait pu rendre une décision de « règlement » ayant un caractère collectif et non une mesure de ciblage des bénéficiaires.
2- Les bénéficiaires
Les bénéficiaires de la décision sus-évoquée sont uniquement Monsieur Eko Eko (2.1) et Monsieur Amougou Belinga (2.2).
2.1. Cas de Monsieur Eko Eko
Monsieur Eko Eko est poursuivi pour complicité des infractions reprochées aux auteurs matériels. Or, au Cameroun, la complicité suppose la réalisation en connaissance de cause, d’actes positifs d’aide, d’assistance, d’instruction ou de dons de moyens en vue de faciliter l’infraction. Toutefois, il semble que depuis le début de la procédure à l’enquête préliminaire, la mise en cause de Monsieur Eko Eko soit discutable, les éléments de son implication personnelle étant fragiles et facilement contestables. Il semblerait que ceux-ci ne reposent que sur les seules allégations de son collaborateur faisant état de ce qu’il aurait informé son patron.
Ces allégations n’ayant jamais été corroborées par des éléments matériels, il y aurait un doute sur la participation du Directeur général de la Dgre. La mesure de mise en liberté serait donc dans son cas, la conséquence logique des constatations effectuées depuis le début de la procédure. Mais, pourquoi l’avoir isolé dans une décision personnelle alors que pour motiver sa décision comme il le fait, le juge d’instruction a sûrement eu l’occasion d’examiner l’ensemble de la situation des coaccusés… Pourquoi n’avoir pas envisagé une mise hors de cause dans le cadre d’une ordonnance de règlement qui aurait eu les mêmes conséquences?
2.2. Cas de Monsieur Amougou Belinga
Quant à Monsieur Amougou Belinga, il a toujours nié sa participation à l’infraction en qualité de complice. Pourtant, d’aucuns estiment qu’ayant été personnellement visé par les dénonciations de Martinez Zogo, il aurait été le véritable bénéficiaire de sa disparition physique et qu’à ce titre, il avait un intérêt personnel aux atteintes physiques infligées à la victime. Les observateurs pensent également que les dénégations réitérées de cet homme d’affaires n’affectent en aucune façon le fait que même s’il n’avait peut-être pas voulu la mort, il reste associé à l’infraction des auteurs dont l’acte serait peut-être allé au-delà de ce qui était convenu et arrêté à l’initiative d’une personne qui y avait intérêt. Il semble par ailleurs que l’un des lieux de torture ait été un immeuble appartenant à son empire.
L’existence d’autres indices même moins déterminants contribue à la concordance et au renforcement de la conviction de l’opinion sur sa culpabilité. Les questions posées plus haut dans le cas de Monsieur Eko Eko sont encore plus prégnantes et une fois encore, pourquoi n’avoir pas envisagé une mise hors de cause dans le cadre d’une ordonnance de règlement qui aurait eu les mêmes conséquences?
3- son opportunité
Il est étonnant que l’ordonnance du 1er décembre 2023 survienne de façon subreptice, à la veille d’un week-end de début décembre lorsque les esprits commencent à s’orienter vers la préparation des fêtes de fin d’année., tout comme il est étonnant que cette ordonnance ne concerne que deux des accusés dont, du reste la mise en cause ne résulte que d’une qualification accessoire à l’infraction principale (la complicité). Même sans être dans l’esprit du juge d’instruction, on peut imaginer qu’avant d’étudier la complicité, il a préalablement examiné l’infraction principale et la participation de chacun des mis en cause. Comment expliquer alors qu’au moment de rendre sa décision, seules les personnes poursuivies au titre de l’infraction de complicité voient leur situation tranchée par des remise en liberté. En effet, il ne faut pas se tromper, la décision dont s’agit se fonde sur l’absence d’élément accusateur susceptible de justifier le maintien en détention des deux élargis. Du coup, il se pose la question de savoir pourquoi le juge n’a pas cru devoir rendre une décision de règlement – en l’occurrence une ordonnance de non-lieu partiel – fixant la situation individuelle de chacun des inculpés. Cette ordonnance aurait eu le mérite d’arriver au même résultat sans donner l’impression d’agir par faveur…
II) LE RÉTROPÉDALAGE DE LA JUSTICE EST INDENIABLE ET GRAVEMENT PREJUDICIABLE
Il ne fait aucun doute qu’il y a ici rétropédalage judiciaire. L’ordonnance de remise en liberté du 1er décembre 2023 est authentique et non apocryphe. Les allégations et insinuations faites a posteriori et faisant état de ce que l’ordonnance serait fausse sont tout simplement surprenantes. Le rétropédalage du 1er décembre 2023 comporte, comme dans de nombreux précédents, un fort relent d’immixtion du pouvoir politique dans le fonctionnement de la justice. Cette omniprésence de l’exécutif est perceptible à tous les stades de la procédure pénale. C’est lui qui cible les personnes à interpeller (Cas de Lydienne Eyoum, Atangana Mebara, etc.), c’est lui qui prescrit les mesures à prendre et ordonne même le placement en détention provisoire (cas de Lydienne Eyoum).
Il est naturellement présent à l’audience et requiert par le ministère public. On ne peut s’empêcher de voir l’exécutif même dans la décision rendue par la juridiction, car non seulement les accusations sont fragiles, mais jamais, le doute ne profite à la personne poursuivie (toutes les personnes poursuivies au titre de l’opération Epervier, au titre de la crise post-électorale de 2018 ou de la crise anglophone. Lorsque par extraordinaire, le Tribunal a réussi à sortir des doigts d’airain et de la férule de l’exécutif et qu’il prend une décision autonome en faveur de la personne poursuivie, tout est mis en oeuvre pour que cette décision ne soit pas exécutée (cas d’Atangana Mebara qui n’a jamais recouvré la liberté malgré une décision d’acquittement prise en sa faveur par le tribunal de Grande Instance du Mfoundi le 03 mai 2012).
De la même manière, et en sens inverse, quand le défunt ministre Bapes Bapes a été placé en détention provisoire par Madame le Juge d’instructiuon du Tribunal criminel spécial le 1er avril 2014, on n’a pas pu s’empêcher de voir l’intervention de l’exécutif dans sa remise en liberté le lendemain, alors qu’aucun élément nouveau n’était intervenu depuis la veille. Dans le cas de l’ordonnance du TMY en date du 1er décembre 2023 manifestement, quelque chose a buggé entre le rendu de l’ordonnance et sa mise en exécution. Il a donc fallu déployer maladroitement les moyens de communication que l’on a observés pour faire croire que la décision était fausse et ne pouvait pas être appliquée par le Régisseur de la prison, sous la houlette du parquet qui en est le maître d’œuvre. La lettre du juge d’instruction au procureur (A) tout comme la lettre du procureur au Régisseur sont des artifices grossiers (B).
A – La lettre du Juge d’instruction au Commissaire du gouvernement manque de crédibilité
L’ordonnance a été prise par un juge qui avait la charge du dossier. Elle est parfaitement motivée avec des éléments qui comportent une forte présomption de conviction de la part de l’auteur. L’ordonnance dont s’agit a été signée et notifiée aux avocats des accusés concernés par le greffe de la juridiction compétente dont c’est du reste l’office. Cette décision ne peut donc être considérée comme une « fake news » sauf à ce que le juge d’instruction établisse que sa signature a été imitée et que les autres diligences ont été entreprises avec la complicité du greffe et des avocats qui, faut-il le rappeler ont reçu séparément leurs notifications. Il est donc probable que le juge ait été instamment invité à revoir sa copie alors qu’il avait sûrement déjà reçu des instructions opposées. La lettre du Juge d’instruction au procureur a été une mesure imposée de rétractation.
B – La lettre du Commissaire du gouvernement au Régisseur marque l’achèvement du crime.
Le rétropédalage de la justice en l’espèce n’est pas nouveau. Il n’en demeure pas moins que c’est une nouvelle catastrophe. On se souvient que feu le ministre Bapès Bapès Louis inculpé la veille a été remis en liberté le lendemain sans qu’aucun élément nouveau ne soit intervenu dans les vingt-quatre (24) heures. Il porte une atteinte au sacro-saint dogme d’infaillibilité de l’institution judiciaire dans une affaire à forte résonance médiatique et politique. Cela est toujours fait avec la complicité du parquet qui a autorité sur l’administration pénitentiaire. Ceci pose le problème de l’indépendance du juge surtout quand il est militaire, la dépendance organique étant plus susceptible d’être utilisée pour les militaires pour les besoins fonctionnels.
En conclusion
Quelle peut être la suite de ce rocambolesque et peu glorieux épisode judiciaire? Le juge d’instruction va sûrement, à court ou moyen terme être sanctionné d’une «faute» dont on l’affublera pour qu’il serve de fusible. Les personnes concernées par la mesure ne risquent pas de retrouver la liberté de si tôt, la preuve ayant été faite de ce que dans le rapport de forces occultes qui s’établit loin de tout regard, le vent ne tourne pas en leur faveur.
Aucun des tireurs de ficelles ne pouvant apparaître au grand jour, il ne restera plus que la possibilité de la prise à partie du juge. Quant aux acteurs de la justice au quotidien, il devient impérieux de se coaliser pour obliger les pouvoirs publics à un aggiornamento pour repenser en profondeur l’administration et la manifestation de la justice. Où sont passés les états généraux de la justice envisagés dans les années 2017? C’est de plus en plus irrespirable et infect dans l’environnement judiciaire. Des Etats ont pris feu pour moins que ça. N’attendons pas que le pire arrive pour commencer à nous inquiéter.
Maître Claude Assira Engouté Avocat aux Barreaux de Paris et du Cameroun.
Maître de Conférences – UCAC