Par Yana Bekima
Garante du Franc CFA, la France conserve sa notation « AA » dans la douleur chez Standard & Poor’s. Ce n’est pas dans une pochette surprise qu’elle a reçue cette notation. La France aura tremblé jusqu’au bout pour maintenir sa note AA auprès de S&P. Annoncée le 1er décembre 2023, la décision de l’agence américaine est assortie d’une perspective négative. Une véritable épée de Damoclès que le ministre français des Finances, prend comme du pain bénit. Standard & Poor’s a décidé de maintenir la note de la France à « AA », comme elle l’avait déjà fait en juin. Il faut dire que cette notation laisse planer le spectre d’une future baisse en cas de dérapage justifié par exemple par la persistance des déficits budgétaires. Cela pourrait conduire à dégrader la note financière de la France d’un cran.
Les « arguments » du gouvernement français ont finalement convaincu S & P Global, qui a maintenu la note « AA » à la dette française. « Cela est principalement dû à la révision de la stratégie de consolidation budgétaire du gouvernement », écrit l’agence de notation, en citant comme faits positifs, outre la réforme des retraites, la fin programmée des aides énergétiques à la faveur de la baisse des prix des hydrocarbures. « Je prends acte de la décision de l’agence Standard & Poor’s de laisser inchangée la notation de la dette française », a réagi le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire auprès de l’hebdomadaire français Le Journal du Dimanche. Standard & Poor’s relève que la dette publique restera au-dessus de 110% du PIB dans la période 2023-2026, « avec un déficit budgétaire persistant, bien qu’en baisse ». La dette était à 111,6% du PIB en 2022.
Le gouvernement vise 108% en 2027. Il est à souligner que France détient l’endettement le plus élevé des pays de la catégorie « AA ». La note « AA » figure parmi les plus hautes catégories de notation, signifiant une forte capacité à pouvoir rembourser ses dettes. En Europe, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas sont parmi les pays les mieux notés, avec le niveau « AAA », que la France a perdu en 2012.
Rôle des agences de notation
Les agences de notation sont des entreprises privées dont le rôle principal est de mesurer le risque de non-remboursement des dettes contractées par un émetteur, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’États. Les notes produites diffèrent selon les agences de notation, mais s’échelonnent habituellement de AAA (« triple A »), la meilleure note traduisant un risque de défaut faible, à D, caractérisant une situation de défaut de paiement.
Pour établir ces notes, les agences de notation utilisent de nombreux critères censés impacter la solvabilité d’un émetteur. Dans le cas d’un État, on retrouve les perspectives de croissance économique, d’évolution des dépenses publiques, la capacité à lever des impôts, la stabilité politique, etc. Une fois fixée, la notation est exprimée suivant une échelle de valeurs alphabétiques. NB : Standard & Poor’s (S&P) est une filiale de McGraw-Hill qui publie des analyses financières sur des actions et des obligations. C’est une des trois principales sociétés de notation financière. Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings, ces trois noms reviennent régulièrement dans l’actualité économique, assortis d’une évaluation, du bon élève (AAA) au cancre (D).
L’illusion de la garantie de la convertibilité du franc CFA
Le débat sur le Franc CFA revient sans discontinuer sur la garantie française de cette monnaie. Pour la plupart des économistes, cette garantie est illusoire. Les manifestations populaires contre le franc CFA alimentent les débats économiques sur ses avantages et ses inconvénients, ainsi que sur son impact distributif. Dans la plupart des pays africains, la décolonisation monétaire a impliqué l’adoption de monnaies nationales par les nouveaux États indépendants et le démantèlement progressif des zones monétaires coloniales (la zone sterling, la zone peseta, la zone escudo, la zone monétaire belge). Par contre, la plupart des pays francophones au sud du Sahara continuent à faire exception à cette tendance, car plusieurs d’entre eux ont maintenu leur appartenance à la Zone franc. En effet, la France a conditionné leur accès à l’indépendance avec la signature d’accords de coopération portant sur des domaines de souveraineté. (les matières premières, le commerce extérieur, la défense, la monnaie, etc.)
« Garantie de convertibilité illimitée ».
En effet, de nombreux experts semblent considérer comme acquis le point de vue selon lequel les banques centrales qui émettent le franc CFA bénéficient d’une garantie illimitée de la part du Trésor français. Les 14 pays des deux zones CFA plus les Comores constituent la zone franc en Afrique. Les billets de banque en francs CFA sont imprimés par la Banque de France, tandis que les pièces de monnaie en francs CFA sont fabriquées par la Monnaie de Paris. La BEAC et la BCEAO sont « les deux principales clientes » de la Banque de France hors zone euro et représentent plus de 40 % et même près de la moitié de sa charge future.
Quatre principes régissent le fonctionnement du franc CFA :
• Le premier est l’arrimage au franc français, qui a été remplacé par l’euro en 1999.
• Le deuxième est la liberté de transfert des capitaux et des revenus entre les deux blocs CFA et la France d’une part, et à l’intérieur de chaque bloc d’autre part.
• Le troisième concerne la « garantie de convertibilité illimitée » du Trésor français, c’est-à-dire la promesse du Trésor français de prêter à la BCEAO et à la BEAC les montants souhaités en euros lorsque le niveau de leurs réserves de change est insuffisant. En contrepartie de cette garantie, la BCEAO et la BEAC disposent de représentants français dans leurs instances, qui contrôlent la politique monétaire et de change avec un droit de veto, autrefois statutaire, aujourd’hui implicite.
• Le quatrième est la centralisation des réserves de change et concerne l’obligation pour la BCEAO et la BEAC de déposer la moitié de leurs réserves de change sur un compte d’opérations, compte spécial du Trésor français.
Tout ce dispositif légitime l’ingérence du gouvernement français dans ces 14 pays.
Les avantages incontestables de la France :
• L’accès à des débouchés privilégiés et stables pour les entreprises françaises et la garantie qu’elles peuvent rapatrier leurs capitaux et leurs revenus sans risque de change et de transfert.
• Elle peut également acheter ses importations en provenance de la zone franc dans sa propre monnaie, ce qui lui permet d’économiser ses réserves de changes et de soutenir indirectement la valeur de sa monnaie.
Quelles sont les conséquences d’une dégradation de la note ?
Quand une agence attribue une note en baisse à une entité, on dit qu’elle dégrade la notation. Par ricochet, elle dégrade aussi ses conditions d’emprunt ; comme il existe peu de repères objectifs sur les marchés financiers, cette note, même si elle n’est qu’indicative, va les influencer très fortement.
Une perspective négative envisagée ?
Bercy est suspendu à une suite de lettres. Chaque évolution de note est désormais guettée, car cela détermine si – et combien – elle peut emprunter auprès des investisseurs, et à quel taux. Dans le cas où on abaisserait la note de la France, Standard & Poor’s pourrait faire empirer sa situation sur les marchés financiers. La dégradation de la note financière de la France pourrait, toutefois, entraîner un léger durcissement des conditions d’emprunt de l’État et impacter tous les pays de la zone franc. En plus, la persistance d’un déficit budgétaire élevé de la France n’est pas souhaitable, car elle pourrait compliquer la mise en œuvre des politiques, ainsi laisser planer des incertitudes au sein des économies des pays de la zone franc. Le ralentissement attendu de la croissance économique en France, ainsi que les tensions sociales présentes actuellement dans le pays, le niveau de dette publique élevé et l’augmentation des taux d’intérêt ne sont pas faits pour rassurer les acteurs de la zone CFA.