Koko Ateba s’est éteinte. Une grande dame qui emporte avec elle une voix d’or et un calme inoubliable. Koko Ateba fut une femme d’exception, l’une des premières à insuffler une sonorité douce de la musique camerounaise dans les années 90, mais qui est restée malheureusement méconnue de la jeunesse d’aujourd’hui. Pourtant, elle fut une icône éclatante du Cameroun des années 80. Elle a composé, entre autres, Frou-Frou, une chanson qui servait de générique d’émissions télévisées françaises. On pouvait voir en elle une sorte de Nana Mouskouri camerounaise, enveloppée d’une aura de douceur et de mystère. J’étais encore jeune lycéen lorsque j’éprouvais une profonde admiration pour cette grande dame, notamment à travers son titre Taxi, véritable hymne des âmes errantes.
Koko Ateba ne se contentait pas d’être une chanteuse ; elle était une conteuse d’émotions, une étoile scintillante dans l’univers feutré des cabarets camerounais. Au Grand Café Snack, ce lieu des rencontres musicales qui nichait face au cinéma Le Paris, non loin de la Compagnie Soudanaise, en plein Akwa. Femme réservée, éloignée des scandales et des excès, elle se distinguait par une élégance naturelle et une discrétion rare. Contrairement à certains artistes de son époque, elle refusait de se plier aux codes bruyants et clinquants. Bien qu’étant Béti, elle maîtrisait parfaitement le Douala, fruit d’années passées dans cette ville vibrante. Sa voix, douce et feutrée, rivalisait avec celles des plus grandes interprètes de chansons intimistes, une précurseure de ce que la chanteuse Sandrine Nnanga incarne aujourd’hui.
Mais la vie, cruelle parfois, n’épargne pas les âmes les plus délicates. Une soirée au Palais des Congrès marquera un tournant dans son existence. Invitée à chanter devant la première dame de l’époque, Jeanne Irène Biya, Koko Ateba, dans un geste d’innocence pure, interpréta une chanson qui, hélas, déplut à cette dernière. L’atmosphère se chargea d’un malaise lourd, et ce qui n’était qu’un incident anodin devint un prétexte à la suspicion. Dès le lendemain, Koko fut convoquée par des officiers haut gradés. On l’interrogea longuement sur les intentions de sa chanson. Elle répondit avec sincérité, sa voix vacillante mais emplie de vérité.
Une enquête approfondie finit par révéler qu’elle n’avait aucune mauvaise intention, mais le mal était fait. Henri Bandolo, ministre et ancien proche de l’artiste, décréta une suspension de deux ans. Dans une lettre poignante adressée à la première dame, Koko écrivait avec une douleur contenue : « Même si j’avais été une opposante, jamais je n’aurais osé en tant que femme, une attaque aussi légère. » Mais ces mots tremblés ne suffirent pas à apaiser la tempête. Les jours suivants, la vie de Koko devint un véritable tourment. Le téléphone sonnait sans relâche, mais à chaque fois qu’elle décrocha, seule le silence répondait à ses « Allô… allô… ». Effrayée, elle comprit qu’il lui fallait fuir pour retrouver une once de sérénité. Quitter le Cameroun fut un périple en soi, un acte de bravoure entrelacé d’incertitudes.
À Paris, elle trouva enfin un refuge, mais son éclat sembla s’atténuer, remplacé par de rares apparitions et des clips sporadiques. Koko Ateba, l’âme vagabonde, avait pourtant laissé derrière elle l’écho de ses chants. Ses chansons telles que Je suis bien ici, Nelson Mandela et Yemeyel’ Ayop résonnent encore comme des hymnes d’universalité, portées par sa voix parfaitement bilingue. Femme de société et d’engagement, elle a chanté les espoirs et les douleurs d’un peuple, dans un mélange envoûtant d’anglais et de français. Aujourd’hui, son souvenir demeure, empreint de mélancolie et de beauté, comme une étoile filante qui a traversé les cieux pour illuminer les âmes, ne serait-ce qu’un instant.