Théodora Penda est une conteuse camerounaise de renom qui vit à Nice, célébrée pour avoir mis en lumière les récits de Tika Kulé, le célèbre conteur camerounais des années 70-80. Cet homme, qui était doté d’une sagesse ancestrale, parcourait inlassablement villages et villes pour partager avec petits et grands les histoires de nos aïeux. Admiratrice inconditionnelle des histoires de Tika Kulé, Théodora a publié un ouvrage aux éditions Ekima, qui rappelle les épopées de ce sage africain aujourd’hui disparu, son intention étant de perpétuer ainsi son héritage et l’art du conte africain. Nous publions ici un de ses célèbres contes.
Par Théodora PENDA
C’est alors que le narrateur parut enfin. Mais il n’était point seul. Une rangée de bêtes composait sa suite, sans souci d’ordre et de comportement. La souris tenait entre ses mains un morceau de miroir brisé et souriait à son propre reflet, d’un sourire qu’on qualifierait de niais. Elle se délectait d’y voir la délicatesse de ses traits et la jeunesse de sa constitution. Cela arrive, l’amour exagéré de soi, si commun aux hommes, peut atteindre chez les animaux les mêmes proportions élevées. La femelle du caméléon ployait sous le poids de sa mauvaise conscience et par conséquent, marchait courbée. Celle qui par jalousie, médita un acte de barbarie sans excuse à l’égard du papillon dont la beauté et les qualités surpassaient les siennes, espérait ce soir que des larmes de remords seraient suffisantes pour racheter sa conduite.
Le tamanoir avait suivi le vieux conteur avec un enthousiasme aussi fougueux que le lui permettaient sa lourdeur et son obésité. Mais la vue de l’immense foule lui rappela la fourberie humaine. Il s’arrêta et ne bougea plus, avec le naïf espoir que son immobilité le rendait invisible. Si le tamanoir ne désirait qu’une chose en cet instant, c’était de retrouver la quiétude sauvage de la brousse, où sa bonne étoile l’avait fait naître. Le mille-pattes zigzaguait au milieu de tous les autres et marmonnait des paroles inintelligibles. Le pauvre n’avait plus tous ses esprits depuis le jour où un ver de terre réussit à lui subtiliser sa maison, au moyen de beaux arguments. L’animal aux multiples pattes avait pourtant été prévenu ! Mais celui qui a appris à ne point raisonner et à ne consulter que ses envies, ne peut que s’en prendre à lui-même quand le malheur arrive. C’est le babouin qui se montra le plus déconcertant. Croyant passer passer incognito, il s’était déguisé en femme et s’efforçait de se mouvoir avec grâce.
Mais l’illusion fut imparfaite car tous le reconnurent immédiatement, l’habit ne faisant pas le moine. En réalité, ce que notre champion en simagrées dérobait aux yeux de la foule avec autant de génie, sous sa jupe jugée trop large, c’était une blessure honteuse provoquée par son égo démesuré. La fourmi quant à elle avait la tête plongée dans un livre et ne se souciait guère de savoir où elle posait les pieds. Pendant qu’elle marchait ainsi, à moitié cachée, on l’entendait lire à haute voix, avec une diction claire. Fourmi eut trébuché à maintes reprises si elle ne se fût servie de son ouvrage comme d’une canne de vieillard. C’est cette capacité extraordinaire, alliée à une lecture fluide, qui fit dire qu’on avait affaire à une fourmi savante. La gazelle, déjà célèbre par sa beauté et fringante par la jeunesse de ses jambes, fit une apparition des plus éblouissantes.
Juchée sur de hauts talons et moulée dans une robe à volants, l’affriolante créature rayonnait au bras d’un homme, sans doute son mari, un amiral couvert de galons. L’accord parfait de leurs pas en disait long sur leur bonheur, dont on peu prédire qu’il durera mille ans. La guenon ferma ce singulier cortège. Elle arriva, essoufflée comme une femme égarée qui cherche refuge, avec dans le regard des éclairs d’inquiétude. Comme elle était couverte d’objets précieux de la tête aux pieds et que malgré tout elle avait des manies de grande dame, chacun pensa : « voilà une riche citoyenne, qui est pourtant incapable d’acheter la paix de l’esprit». A la vue de l’incroyable compagnie, un murmure de stupéfaction parcourut l’assistance, vite remplacé par une hystérie collective.
(c) T. PENDA « histoires pressées d’animaux tracassés »