Il y a 4 ans, le 24 mars 2020, le célèbre artiste Manu Dibango nous a quittés pour l’au-delà après avoir fait chanter et danser le monde grâce à sa musique. Aujourd’hui, ce n’est pas son anniversaire, mais un témoignage de ses contemporains en hommage à sa carrière et à sa personnalité. Le dévoilement de la plaque « ICI A VÉCU MANU DIBANGO » se trouve désormais au fronton de sa maison, une épitaphe rappelant sa mémoire. À l’initiative de la mairie de Paris, la France a voulu rappeler à la postérité le souvenir de Manu dans la mémoire des vivants. C’est une plaque immortelle qui rappelle les traces de tous les grands hommes sur les lieux où ils ont passé les moments les plus intenses de leur vie. Quant à nous, nous tenons une fois de plus à rendre un hommage ému et appuyé à l’artiste d’exception qu’il a été. Il faut le préciser, c’est avec une émotion douloureuse, comme je l’ai souvent fait sur sa tombe ou en évoquant ses souvenirs, que je partage ce témoignage.
Mais c’est aussi un honneur, en tant qu’écrivain, de pouvoir dire ces quelques mots en mémoire de Manu Dibango. Je me fais un devoir sacré d’exprimer mes sentiments de sincère reconnaissance envers une Superstar que j’ai admirée toute ma vie, comme tant d’autres mélomanes camerounais, africains et du monde entier. D’autant plus qu’il fut écrivain lui aussi. Chaque fois qu’on écoute sa musique, la tristesse est palpable sur tous les visages des Camerounais d’abord, des Africains ensuite, et du monde entier. Manu a été touché par la pandémie dès les premiers instants de sa propagation. L’année 2019 a fauché sans distinction.
La mort, comme l’a dit Bossuet dans ses oraisons funèbres, frappe jusqu’aux rois. Elle emporte tous les hommes dans le grand précipice du vide. Elle se présente, méprise ce que nous sommes ou ce que nous représentons dans la vie, et, comme un bûcheron, elle abat tous les arbres jusqu’au baobab. Manu Dibango est né à Douala le 12 décembre 1933. Ses parents, protestants, étaient Michel Manfred N’Djoké Dibango, un gentilhomme et bon chef de famille, très jovial dans les rues mais sévère à la maison, d’origine Yabassien, et sa mère, une couturière d’origine Sawa. C’était une famille humble. C’est dans la chorale du temple, dirigée par sa mère, qu’il est initié au chant. Il commence ses études au Cameroun avant de s’envoler pour Marseille en 1949, où il découvre la culture française. Je connais peu de choses concernant sa prime jeunesse, car nous ne faisons pas partie de la même génération, mais je sais qu’il a étudié à Chartres et à Château-Thierry, puis à Reims dans les années 50.
Il découvre le jazz très jeune et s’essaie au piano avant de s’initier au saxophone, son instrument de prédilection. Au début des années 60, il fait la connaissance de Joseph Kabassalé qui l’engage dans son orchestre. Ensemble, ils sortent des titres inoubliables comme la célèbre chanson « Indépendance Cha-Cha ». Lors de la Coupe des Nations de 1972 organisée par le Cameroun, il est désigné pour composer l’hymne de la compétition. Dans les mêmes années, son titre « Soul Makossa » fait fureur dans les discothèques, titre qui sera repris par Michael Jackson dans les années 80. Il atteint le sommet de la renommée lorsqu’il rejoint Dick Rivers et Nino Ferrer, les stars des années 70. La grandeur de l’artiste résidait dans son métier. Manu était un éclaireur de conscience, il suscitait l’enthousiasme et faisait rêver, incitant les autres artistes à se surpasser. Sa voix séduisait. C’était un explorateur de la poésie et de la chanson. Il composait de façon ludique, l’esprit présent dans tous ses secrets et toutes ses sensibilités. Il avait des techniques d’improvisation uniques, à travers des petites scènes et des fragments épars liés à son savoir étendu.
Très imprégné de la mythologie Sawa, il adorait la philosophie et les faits quotidiens de la société africaine. Ses chansons regorgent de métaphores. Le lyrisme y tient une grande part, passant par des jeux de mots poétiques où il pointe subtilement les mœurs du temps en riant. Ses œuvres, immenses et belles, sont une quête permanente d’horizons crépusculaires. Chaque artiste africain doit garder ses souvenirs en mémoire et le prendre en modèle. Il y avait en lui un double déploiement : poète et chanteur. Écrire un poème, c’est réapprendre à parler. Chanter, c’est faire les deux. Manu disposait de plusieurs imaginations particulières qui se superposaient en même temps. Il ne faut pas oublier que le chanteur est d’abord un écrivain, car il met ses textes sur papier avant de les chanter. Il peut donc les publier, comme cela a été le cas des textes de Gainsbourg, Jacques Brel, Claude François, etc. Il nous laisse en héritage ses textes et son livre autobiographique « Trois kilos de café et Balade en Saxo ». Manu riait comme les dieux. C’était un magistère dont les chansons enchantaient les feuillages, faisaient murmurer les ruisseaux.
Les hommes allaient se coucher le soir, contents d’avoir écouté cette voix mélodieuse qui attendrissait les cœurs face aux miasmes de la vie. Oui, parce que Manu c’était d’abord une voix, une intonation, une référence dans le monde de la musique. Il est considéré comme l’un des piliers du Makossa. Son grand éclat de rire était un rayon de communication de joie et surtout, une manifestation de l’amitié. Il était un homme de bonne communication, un poète de la parole et du micro, un homme de scène charmeur du public. Son élégance sobre, son beau sourire, son entregent avaient fait de lui l’idole de tous. Il avait un éclat de rire pour chaque personne qu’il rencontrait. Il aimait la vie, l’Afrique, le Cameroun, et les amis du monde entier. Il a grandement contribué à l’évolution de la musique sur tous les continents.
Il a également éveillé un intérêt intense chez les jeunes, les incitant à suivre les pas des grands. Le Cameroun a eu la chance de compter dans ses rangs un homme de cette carrure, et c’est une grande consolation. Quand on parlera de lui, même dans mille ans, nos descendants pourront dire avec fierté que c’était un Camerounais. Il lègue des valeurs qui permettent de bâtir une nation ; il laisse des traces positives sur la terre. Il est allé jusqu’au bout de son rêve. Le 24 mars 2020 fut une journée triste, mais colorée de musique. Musique qui nous apportera la consolation, afin que nous puissions toujours trouver le sommeil, sécher nos larmes, et solidifier nos corps. Nous ne reverrons plus, nous n’entendrons plus notre icône planétaire, le plus brillant des chanteurs africains de tous les temps.
Manu était un président. Peut-être plus qu’un président, car les présidents n’ont pas la chance d’être immortels. L’artiste ne meurt pas, il disparaît. Son œuvre est enracinée et figée dans les annales de l’histoire mondiale. Constatons que c’est dans un monde ébranlé et secoué que Manu Dibango nous a quittés. C’est là que réside la dimension mystérieuse de sa vie. Manu Dibango était chevalier de la Légion d’Honneur, médaille de vermeil de la ville de Paris. Une icône dont le CV, assez volumineux, ne peut être complètement exposé dans un petit article de ce genre. Chaque 24 mars, nous serons debout pour chanter et danser, puis rendre tous les honneurs à celui qui a fait notre fierté. Comme disaient les Romains : il y a quelques années seulement, il était au milieu de nous.
sources(cet article tire sa source sur des textes que j’ai écrit il y a 3 ans sur le même personnage)