Il était la comédie elle-même
Cela fait un an déjà que nous avons perdu Antonio, le comédien que l’on surnommait le président, de son véritable nom Thohé Antoine, petit fils de Thohé Karang Antoine Aboubakar, qui fut le chef intérimaire du village de Yangba au début du siècle. Il est né et a grandi à Nkongsamba. Il débute sa carrière sous le pseudonyme de Prince Tony, un nom qu’il affectionnait particulièrement. Il fut le premier à oser imiter le président Paul Biya à une époque où les lois sur la liberté d’expression n’étaient pas encore établies. Après une décennie de sketches, c’est grâce à ces imitations qu’il s’est distingué au Cameroun et en Afrique. Sa tournée africaine a débuté au Sénégal, où il a été reçu par le maire de Dakar dans les années 90, avant de se rendre en Mauritanie pour un séjour familial, animant des événements à l’école française petit centre de Nouakchott. De retour au Cameroun, il a été invité au Gabon, où il a partagé la scène avec Serge Abessolo, le meilleur comédien gabonais de l’époque. Il a ensuite voyagé en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, où il a joué dans un film retraçant la mort de Thomas Sankara, il incarnait le rôle de la seule personne à s’être échappée de ce massacre.
Entre 1995 et 1998, il a été sacré meilleur comédien africain.
Entre 1995 et 1998, il a été sacré meilleur comédien africain.
Il a parcouru le Cameroun, invité à toutes les festivités : mariages, anniversaires, concerts, célébrations de fin d’année et fêtes nationales. Il était au sommet de sa gloire en 2000. C’était presque un accomplissement de son rêve d’enfant, car Antonio aspirait à la grandeur, mais pas dans le domaine de la comédie. Son véritable rêve était de rejoindre l’administration, avec une passion pour l’armée et l’ambition d’atteindre le grade de capitaine, voire de devenir un haut fonctionnaire de l’État, car il était un élève surdoué. Cependant, sa carrière dans la comédie a été influencée par la déception familiale due à la séparation des parents. Ballotté entre son père et sa mère, il a été arraché au père pour être abandonné peu après, se retrouvant ainsi livré à lui-même dans les rues. Grâce à Justin Bety, son véritable mentor dans le monde de la comédie, il trouve la motivation nécessaire pour reprendre ses études en 1982.
Cependant, cette période d’études sera de courte durée, car il habite à proximité du Palais des Congrès et Narcisse Kouokam, un organisateur d’événements, l’entraîne dans des petits sketches. Il se produit alors sous le nom de Prince Tony. Sa notoriété grandit rapidement, et la radio nationale le connaît bien, car il a de nombreux contacts dans le domaine de la communication à cette époque. C’est une période marquée par la célébrité d’Otsama, Jean Miché Kankan, DVK Moktoi, Daniel Kayo, Essindji Mindja, Massa Battré, ainsi que son ami le plus proche, Massa Mayo. Au début, il embrasse un métier peu respecté à cette époque. Il rencontre des difficultés, des épreuves, des railleries et des humiliations, mais sa passion le pousse à persévérer, et à partir de 1994, sa carrière prend réellement son envol. Pendant quinze ans, il est au sommet et incomparable. Il conduit une grosse voiture, se déplace dans tout le pays, fait la fête, boit et mange à l’excès. Les femmes l’adorent et lui courent après. Il les enchaîne, les recevant tour à tour. Antonio ne fait pas de choix, il profite de la vie pleinement, rendant les femmes heureuses et donnant à celles qui le prennent. Il va même jusqu’à faire l’inimaginable. Son succès est indéniable.
La chute
Comme pour tous les artistes camerounais, il connaîtra ses heures de décadence, car le succès, tout comme le pouvoir, peut rendre fou. Cette chute débute à partir de 2007. Il tombe souvent malade. Les jeunes imitateurs envahissent la scène et acceptent n’importe quel cachet. Antonio sombre dans la dépression. Pour celui qui a connu la gloire sans avoir organisé sa vie ou écouté les conseils, il finira par affronter les réalités qu’il refusait de voir en face. Et en quelque temps tout retourne à son passé, il revoit comme un souvenir lointain des foules immenses qu’il attirait, des concerts quotidiens dans tous les milieux. Peu après, on le voit traîner les pieds, son corps affaibli, et surtout sa voix d’imitation perdue. Il se retrouve seul dans sa modeste demeure, sans femme, sans frère, sans sœur. Seule ma cousine Mam Edwige a tout fait pour le sauver, tandis que les autres cousines paternelles l’ont abandonné, attendant sa fin pour convoiter ses biens. Un cousin, voyant son état alarmant lors de sa première chute, a refusé de me donner des nouvelles, croyant qu’il allait mourir. Antonio appelait ses proches parents, ceux-ci rejetaient ses appels. Il a été abandonné par toute sa famille, à l’exception d’Edwige. L’objectif était de le laisser mourir rapidement, car dans ses moments d’ivresse, il avait promis ses biens à certains. Avec le temps, les gens découvriront le secret qui se cache derrière cette histoire.
Antonio et moi
Il était mon frère aîné, nous étions rien que deux. Mais nos divergences étaient fondamentales sur bien de question. C’était un personnage invivable. À la maison, j’étais considéré comme le bouc émissaire, un enfant frêle, paysan, ayant passé de longues années au village à gouverner la rosée. On m’avait destiné au sacrifice pour le succès de mon frère, c’est ainsi que les choses étaient perçues. J’étais considéré comme un paltoquet. On disait de moi qu’après le CEPE, je suivrais soit la menuiserie, soit la maçonnerie. J’étais considéré comme un simple d’esprit, un intrus sans importance. Mon succès irritait mon entourage, ils étaient jaloux de mes réussites, et le sont encore aujourd’hui. J’ai passé mon BAC à domicile sans jamais avoir fréquenté la classe de terminale. À l’université, j’ai été abandonné, il m’était interdit de révéler mes valeurs.
Cette période m’a ouvert les yeux sur la nature humaine. Je suis rentré dans le silence et l’observation, cela a payé. J’étais déterminé à prouver que le destin d’une personne n’est pas scellé. Cela m’a valu beaucoup d’animosité. Face à cette haine gratuite, je me suis éloigné des autres. Je salue mes amis qui m’ont soutenu. J’étais désormais libre d’aider qui je veux. J’en ai apporté de l’aide quand c’était nécessaire, mais pas entièrement. Les cousins qui prétendent avoir été plus proches de lui, et ses frères, me calomnie partout me font rire. S’ils sont ses frères, alors qui suis-je ? Lorsque j’ai appelé les responsables de l’association des artistes camerounais pour les remercier, ils ont été surpris parce que les gens se sont précipités pour réclamer de l’argent en tant que frère d’Antonio. Ici à Paris, j’ai refusé toute aide en ce sens. Je rends hommage à Hoga et à Beko Sadey pour leur dévouement au service des artistes.
Une famille séparée
Aujourd’hui, je suis la cible de calomnies et de haines. Je suis celui qu’ils veulent abattre à tout prix. Ils ont tout tenté. Mais qui peut mieux défendre Antonio après sa mort que moi ? Après ses obsèques, ils se sont précipités pour mettre sa maison en location. Seulement six jours plus tard, j’ai fait intervenir les huissiers, la maison est à présent scellée et attend ceux qui oseront s’y aventurer. Aujourd’hui, la tombe d’Antonio est introuvable au cimetière. Les maçons que j’ai envoyés pour ériger sa sépulture se sont trompés, car personne n’est venu marquer sa place de manière distinctive. Aucun membre de sa famille n’est passé sur sa tombe depuis lors. À la place, la tombe d’une voisine, une femme de Bamenda, a été érigée par erreur. Autrefois, deux tombes étaient creusées dans sa cour. J’avais déjà averti que nous, les enfants de Yangba, sommes très compliqués. Même dans la mort, Antonio continuera de jouer sa comédie ou sa tragédie. Il faut être très prudent. J’ai déjà affirmé à plusieurs reprises que je suis le seul à pouvoir parler en son nom. Je vais aller chez lui, comme on dit chez nous les Babouté, « Gandan Gandan », rien ne m’arrivera.
Mes convictions pour mon frère
Je mets au défi quiconque de ma famille d’oser s’aventurer sur son domaine sans mon consentement, s’il ne trouvera pas Antonio en personne face à lui. Je réaffirme solennellement que les biens d’Antonio appartiennent à la famille, et cette famille est vaste. Notre histoire ne débute pas avec ceux qui sont arrivés à la veille de sa mort ; elle remonte à plus de 50 ans, et cela doit être pris en considération. Je jure qu’il n’existe personne plus déterminé que moi dans cette affaire. Sur son terrain, un projet sera mis en place en sa mémoire, qu’il s’agisse d’une école, car il chérissait l’éducation dans sa jeunesse, ou d’un lieu de divertissement tel une salle de spectacle, un lieu culturel ou un hôtel, en hommage aux milieux qu’il fréquentait. L’endroit portera le nom d’Antonio, et les bénéfices générés iront à la famille, car il était un soutien pour tous.
Cela ne fera l’objet d’aucune négociation. Les ragots prétendent que je cherche à m’approprier ses biens pour dissimuler leurs propres intentions. Je ne crains ni les haines ni les prétendues malédictions, car j’ai toujours été l’objet de la haine. Alors qu’en vérité je suis le débonnaire connu et reconnu. Antonio était mon aîné bien-aimé, même si nos chemins divergeaient parfois dans la vie. Je ne peux pas renier sa mémoire, et depuis son départ, je l’ai honoré. Je continuerai à le faire, un livre autobiographique qui retrace sa vie paraitra bientôt. Quant à ses funérailles, elles auront lieu après celles de ma mère. Que leurs âmes reposent en paix.