Par Baltazar Atangana
Retour triomphal au Mboa de Chrime Kouemo, une romance africaine et une idylle fantasmagorique. Retour triomphal au Mboa, publié en mai 2020 en autoédition sur Amazon KDP, est le premier fait littéraire de Chrime Kouemo. Passionnée de lecture et d’écriture, elle nous livre une romance africaine qui portraiture et caricature à la fois les impasses du retour au pays, après une longue absence et une idylle fantasmagorique. Tout est tissé autour de Solange. Ingénieur-architecte qui, malgré les années passées, n’arrive pas à réaliser la trahison de Cédric. Sa romance rêvée depuis les années lycéennes. C’est donc travaillé par cette déception que, celle qui a passé dix et sept ans loin du Mboa, sa terre ombilicale, se bat à s’insérer et à s’affirmer professionnellement et à trouver une certaine stabilité sentimentale.
En effet, Cédric l’avait larguée pour Aurélie Boun, une lointaine ex de Cédric et sa rivale depuis toujours au lycée. Il s’était marié avec elle et ils avaient eu deux enfants. Le ciel commence à s’éclaircir peu à peu pour Solange, lorsqu’elle fait la rencontre de Cham dans l’avion pendant son retour définitif au Mboa-pays. Elle ne sait pas encore qu’elle vient de faire la connaissance de celui qui lui ferait oublier son dernier coup dur amoureux. De là vont s’enchaîner plusieurs événements: entre un Cédric, qui regrette ses choix et tente une nouvelle aventure avec Solange, et un Cham, « qui perdait pied [parfois et] mais ne voulait pas s’avouer vaincu aussi vite, [car] il voulait encore profiter du fourneau de soie qui enserre son membre tel un doux étau» p.193. S’entremêlent donc souffrance, transparence et espérance.
Un triangle amoureux est établi. Il y a Solange, Cédric, l’ex à la quête d’un désir perdu, et Cham, l’amant déterminé à dompter tous les sentiers des intimités tant sexuelles que professionnelles de « sa fleur intime, la faisant jouir au même instant ». Dans cette romance africaine, on est entre choc des mentalités, regrets, déchirements, quête de repères et drame. Ce premier roman de Chrime Kouemo est fortement inspiré de sa trajectoire et marqué sur un espace maitrisé et de référence, le Cameroun. Au passage, elle n’a pas manqué de déminer une brassée de clichés et de stéréotypes faussement homologués. Le talent et l’authenticité de Chrime Kouemo résident dans sa capacité à mettre en interaction ses personnages au plus près de ce qu’on pourrait appeler leur espace originel.
Chrime Kouemo a su trouver un rythme atypique, fait de délicatesse et de douceur, qui nous fait vivre la beauté savoureuse des rêves et de l’énigme du retour. Elle surfe dans un réalisme scriptural à fleur de mots qui fait que, partout dans son acte d’écriture, on se reconnaît, on se voit, on se regarde et on se projette. Entre Marie-France, l’orpailleuse de Angéline Bonono, Voici venir les rêveurs d’Imbolo Mbue, Un aller simple de Didier van Cauwelaert et Le retour de Michel Droit, le roman de Kouemo appuie bien fort sur le curseur social. Il faut, dès lors, un certain flair pour ressentir que l’auteure a une forte ambition dans son esprit. Car la romancière est une anti-fataliste et, à l’instant où le lecteur se lasse de ses poncifs et des revirements du récit, elle retourne la situation avec une fin inattendue à portée pédagogique : la témérité ne déçoit jamais, les relations amoureuses à distance sont fragiles, la loi du karma ne badine pas, les affaires de cœur brodé au lycée finissent mal en général, vie amoureuse et vie professionnelle peuvent être les matinées.
Dans Retour triomphal au Mboa, c’est la quête des désirs avec des préconceptions : la réussite financière et amoureuse, l’attachement à sa famille, son pays, mais aussi son ambition. Pour obtenir gain de cause, les personnages peuvent se montrer intrépides et impitoyables, et les personnes mesquines des personnes attachantes. Dès lors, ce texte aux allures d’Harlequin rame à contre-courant des idées reçues, la peur du retour, la naïveté consubstantielle des autres et l’espièglerie de tout le monde. La romancière camerounaise invite donc, subtilement, ceux qui vivent à l’étranger, loin du Mboa, à se purger de toute idée fataliste du retour.
Sur le plan de la forme, de petites coquilles ne diluent pas la teneur du récit. Le fond de l’intrigue est un peu mêlé ; on comprend que pour un premier roman, mener un écrit aussi dense sans être poussif parfois est presque inévitable. L’auteure aurait pu en faire deux volumes. Soit. On sent et ressent, cependant, une grosse envie de tout dire et de tout livrer. Tenir, captiver le lecteur jusqu’à la fin. Pari gagné. On ne s’ennuie pas en lisant Retour triomphal au Mboa. Ce roman serait intéressant pour les amateurs de romance africaine. C’est sûr, si Chrime Kouemo continue à creuser son sillon et sa ligne d’écriture avec la même ardeur et la même passion, elle se révélera comme une nouvelle pépite de la littérature camerounaise dont les lignes esthétiques et thématiques sont en plein mouvement.