Il y a deux ans, j’ai mené cette interview avec Monsieur Paul Atemezem Kemmo pour un autre site. Ces sites ayant connu des attaques dans la base des données, plusieurs articles ont disparu ; j’ai fouillé dans mes fichiers pour retrouver cette interview ; j’ai décidé de le republier à mes lecteurs, tant la qualité de cette interview était éducative. Monsieur Paul Atemezem est un retraité camerounais, ancien administrateur civil principal, à l’époque, il venait de publier un roman intitulé « L’école, à quoi bon ? » aux éditions Sydney Laurent. J’ai eu l’opportunité de le rencontrer, et notre conversation s’est avérée très enrichissante, notamment pour nous, les jeunes. Voici l’entretien qu’on lui avait accordé.
Toutes nos félicitations ! Vous avez pensé à l’école, surtout à l’école africaine au travers de ses difficultés. Nos lecteurs aimeraient savoir qui est monsieur Paul Atemezem.
Je vous remercie de me recevoir sur votre plateau ; je vous remercie également de l’opportunité de présenter mon ouvrage. Je suis Atemezem Kemmo Paul, né à Dschang, département de la Menoua dans la région de l’ouest.
Pourriez-vous nous décrire votre parcours académique et professionnel jusqu’à présent ?
J’ai fait mes premiers pas à l’école de la mission catholique de Dschang. En 1956, je suis entré en classe de sixième au Collège Saint Paul de Bafang. C’est avec nous que le Collège a démarré. Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1959, il s’est produit un évènement qui a dévié ma trajectoire : la guerre de l’indépendance. Cette nuit-là, les maquisards sont venus attaquer le collège, incendier l’hôpital ad Lucem, couper les têtes du Père Gilles et du Frère Saron. Le collège a été fermé. J’ai dû terminer la classe de troisième au collège Saint-Jean de Banga. Ce collège n’avait pas de classe de seconde. Ayant appris que le directeur de Saint-Paul avait été envoyé au collège Vogt à Yaoundé, je lui ai écrit pour solliciter une place en seconde. Il me l’a accordée mais, je n’ai pas eu de quoi payer le transport pour me rendre à la capitale. Par ailleurs, je n’avais aucune relation dans cette ville. J’ai dû me faire recruter comme enseignant à mon ancienne école.
Deux ans plus tard, j’ai été admis au concours de recrutement d’adjoints d’administration. Une fois à Yaoundé, j’ai été mis à la disposition du ministère de l’Economie nationale. Sur les conseils de mon directeur de service, monsieur Vincent Efon, je m’inscris au Centre de télé-enseignement de Vanves en France. En 1966, j’entre à l’université de Yaoundé, faculté des lettres et sciences humaines. Un an plus tard, je présente le concours d’entrée à l’ENAM. Je suis heureux de compter parmi les admis. Après deux années à l’ENAM, puis un an et demi à l’Institut international d’administration publique à Paris, je rentre en 1971 au Cameroun. Intégré dans le corps des administrateurs civils, je regagne le ministère des Affaires économiques. Quelques années plus tard, je présente le concours pour accéder au grade d’administrateur civil principal.
Sur les quatre places mises au concours, nous sommes deux à être retenus. En 1980, le gouvernement m’envoie en détachement au Secrétariat général de l’UDEAC, l’actuelle CEMAC, en qualité de directeur des services du Secrétariat général, ce qui fait de moi le collaborateur le plus proche du Secrétaire général. Je m’occupe de rédiger les premières moutures de ses correspondances et allocutions, des discours des Instances supérieures de l’Union. En 1994, arrive le temps de la retraite et nous rentrons au Cameroun. Je commence à meubler mon temps avec l’écriture. En 2003, les problèmes de santé nous amènent à nous installer en France. Nous sommes alors contraints de nous rebattre en France. En 2020 mon épouse est emportée par la maladie. Voilà mon parcours.
Que motive un administrateur civil principal à la retraite à se lancer dans l’écriture à cette étape de sa vie ?
Je crois que la retraite n’est pas synonyme de fin d’activité. J’aime rester actif. Tant qu’on a encore des capacités à faire quelque chose, il vaut mieux le faire. Je trouve dans l’écriture une façon de partager, d’échanger, de communiquer.
Habituellement, les auteurs qui abordent les thèmes liés à l’éducation et aux étudiants sont des enseignants. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a motivé à écrire sur ce sujet malgré votre profil différent ?
Mon ouvrage est un roman. Ce n’est pas un livre didactique. De toute façon, je crois que toute personne peut écrire sur un sujet qui l’intéresse. De plus, un regard porté de l’extérieur peut être enrichissant à plusieurs niveaux.
Nous allons maintenant discuter du contenu de votre livre, qui porte un titre évocateur : « L’école, pour quoi faire ? » Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez choisi ce titre ?
Bien sûr ! Initialement, le titre que je lui avais donné c’était : « Le Savoir ou l’Argent ? » Mais, ceux avec qui j’ai échangé ont trouvé que le titre ne correspondait pas totalement au contenu de l’ouvrage. Après échanges avec mes proches, nous avons adopté le titre « L’école, pour quoi faire ? » et en sous-titre, « le choix complexe de Tôtouh. »
Que reprochez-vous à l’école après avoir fait une belle carrière administrative, n’êtes-vous pas en contradiction avec vous-même ?
Mon livre est un roman et non une étude critique sur l’école. La profession d’enseignant est un des plus beaux métiers au monde. Nous passons tous entre les mains des enseignants avant de devenir ce que nous sommes. Attirer de jeunes gens à cette profession par des salaires conséquents serait une excellente chose tout comme doter les établissements scolaires d’équipements convenables. Voilà des pistes de réflexion, à mon sens. Je ne pense que cette perception des choses me mette en contradiction avec moi-même.
Votre style d’écriture semble être empreint de colère et d’engagement, donnant l’impression d’un acte d’accusation. Est-ce que votre roman est autobiographique, ou bien est-ce simplement l’engagement du romancier qui cherche à attirer l’attention des autorités ?
La colère est mauvaise conseillère. Il vaut mieux en éviter la compagnie. Roman autobiographique, oui et non. La désolation de Tôtouh se comprend au regard des résultats infructueux de ses efforts au collège. Il n’empêche qu’il se montre altruiste en épargnant ses cadets des déboires qu’il a connus. Pour lui, il ne s’agit pas de passer des années à « l’école » mais d’en sortir avec un bagage qui permet de se débrouiller dans la vie.
Comment évaluez-vous actuellement le système éducatif camerounais et quelle est votre opinion sur son évolution récente ?
Je ne me crois pas en mesure d’apprécier l’évolution de l’enseignement africaine, camerounaise. Nos pays font le nécessaire pour doter nos jeunes de formations solides, différenciées, pour répondre à nos attentes. Il faudrait seulement lui donner des moyens conséquents pour accomplir sa mission.
En envisageant les défis auxquels Tôtouh fait face dans votre livre, prévoyez-vous de soutenir les écoles professionnelles comme solution pour les enfants défavorisés ? Avez-vous songé à des initiatives telles que des états généraux de l’éducation ?
L’on ne devrait pas s’orienter vers l’enseignement professionnel par défaut. Cette filière mérite des égards, des attentions de la part des pouvoirs publics. Pour apprendre un métier, il faut avoir de quoi payer les frais d’apprentissage. L’enfant qui est en situation de précarité n’a pas ces moyens. Les bourses d’études pour aider les enfants démunis seraient préférables aux fêtes de jeunesse.
Dans votre ouvrage, vous abordez également la question de l’apprentissage après la fin des études, notamment en évoquant le sort des enfants affectés par la disparition d’un membre de leur famille qui finançait leur scolarité. Comment votre roman peut-il contribuer à combattre le désengagement des autorités publiques ?
De nombreux enfants rencontrent des difficultés, des obstacles comme le personnage principal du roman. La suggestion que l’on peut leur faire c’est de ne jamais abandonner. Tant qu’on a la possibilité de le faire, il vaut mieux persévérer dans le combat. Ne jamais abandonner. La pugnacité de Tôtouh peut inspirer ceux qui voudront le découvrir à travers ce roman. Au-dessus des épines, l’on peut cueillir des roses. Ce roman n’insinue en rien une démission des pouvoirs publics.
Pouvez-vous partager avec moi ce que vous considérez comme la leçon la plus précieuse que vous avez apprise en tant que retraité ?
Je sais qu’il faut s’appliquer à bien accomplir sa tâche. Je sais qu’il faut être à l’écoute des autres. Je sais que l’usager de mon service est en fait la personne qui permet que je sois à mon poste. Il mérite que je lui accorde l’attention qui lui est due, et lui rende le service qu’il demande avec célérité, probité.
Quelle serait la phrase qui pourrait résumer le parcours d’une personne comme vous, qui a connu une belle carrière dans l’administration ?
Une belle carrière ! Disons que durant ma vie active, j’ai essayé d’accomplir mon travail avec intégrité. Je n’ai pas de passif dans ma conscience. Je ne suis pas mécontent de mon parcours.
Où se procurer votre livre ?
Le roman a été édité par les éditions Sydney Laurent. Pour l’avoir, l’on peut s’adresser à : michntometane@yahoo.fr
Le livre est aussi à : la FNAC.com, chez Amazon, DECITRE.com ; Place des librairies ; CULTURA…