Par Yana Bekima
La migration est un fait anthropologique. C’est un constat trop souvent oublié parce que les populations ont toujours migré. Les gens fuyaient les mauvaises récoltes, la guerre, des régimes politiques insupportables. La migration est un fait humain. Nombre d’arguments ont été avancés, au mépris de la réalité de ce qu’est l’immigration.
Contre les fantasmes, les chiffres
Le point de départ de la plupart des discussions sur la migration, ce sont les chiffres. Ils nous permettent de comprendre les changements d’échelle, les tendances émergentes et les évolutions démographiques qui accompagnent les transformations sociales et économiques dans le monde. En effet, la migration nous permet d’expliquer les grandes mutations que subissent les sociétés actuelles et de faire des plans pour le futur. Dans l’ensemble, on estime que le nombre de migrants internationaux a augmenté ces cinquante dernières années. Selon les estimations, 281 millions de personnes (soit 3,6 % de la population mondiale.) vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance en 2020, soit 128 millions de plus qu’en 1990 et plus de trois fois plus qu’en 1970. Il ressort ainsi des statistiques que la part des immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne est plus importante aujourd’hui que par le passé : elle était de 39% en 1999, contre 28% en 1975.
L’immigration est un phénomène mondial
L’augmentation de l’immigration n’est pas propre aux pays européens. Elle est manifeste dans tous les pays du monde : entre 2000 et 2020, le nombre d’immigrés est passé de 173 millions à 281 millions, soit une augmentation de 62%. Pendant ce temps, la population mondiale n’a crû que de 27%. Chez les géants démographiques (la Chine, l’Inde, le Brésil, les États-Unis, le Nigéria…) la migration interne suffit à satisfaire les besoins de mobilité des habitants.
La montée des populismes
Il n’empêche que ces migrations provoquent des peurs sur lesquelles prospèrent les populismes. Face à la vague d’immigration qui monte dans le monde, je voudrais dire à Monsieur Éric Zemmour, volontiers donneur de leçon, qu’ « il ne faut pas céder à la peur » en parlant de « Grand Remplacement » où tout le monde se met d’accord sur le « grand autre » qui viendrait déstabiliser l’Europe. D’une certaine manière, les partis populistes ou d’extrêmes droites se mettent d’accord sur un dénominateur commun, le migrant, pour unir leurs sociétés face à cette pseudo-déstabilisation. Heureusement, la science économique peut nous aider à éviter certains raccourcis utilisés par le monde politique : il n’y a pas de corrélation entre chômage des autochtones et le flux migratoire ; en revanche, le chômage des étrangers est substantiellement plus fort que celui des nationaux.
Et puis on mélange tout ! Or le terme « migrant » peut avoir plusieurs significations. Il n’y a, en effet, pas nécessairement grand-chose de commun entre des travailleurs immigrés, des demandeurs d’asile, des déboutés de ce droit d’asile, des réfugiés qui se sont vu accorder ce statut ou des sans-papiers qui n’ont, en aucun cas, demandé l’asile. Tout ceci reste brumeux, en termes de caractérisation. Selon le démographe François Héran, la plupart des politiques d’immigration européennes échouent parce qu’elles fixent des objectifs en totale négation avec un phénomène mondial de long terme : l’augmentation de l’immigration.
L’immigration, une chance pour qui ?
L’immigration, une chance pour la France. Le titre de l’ouvrage de Bernard Stasi, paru en 1985, a fait polémique, d’autant plus qu’il récidive en 2007 avec un autre livre au titre encore plus tranché : Tous français ; l’immigration, la chance de la France. Ces deux ouvrages restent d’actualité. Positive ? Négative ? Le débat sur les effets de l’immigration est l’un des plus disputés et des plus embrouillés qui existent. Car de quoi, parle-t-on ? Des effets économiques, sociaux, culturels, religieux voire politiques de l’immigration ? De ses conséquences pour les pays de départ, d’accueil, de transit, ou pour le monde en général ? Pour les entreprises, les travailleurs, les consommateurs ? À court ou à long terme ? Si vous ajoutez à cela les principes tels que la liberté de circulation, la cohésion de la société ou la souveraineté des nations, il sera difficile de démêler l’écheveau.
L’immigration, est-elle une chance pour certains pays ?
Pour les pays d’accueil, la première clarification consiste à distinguer les effets de l’immigration sur l’économie en général et sur les comptes des administrations. Beaucoup d’analystes confondent les deux, volontairement ou pas. Pour les administrations, l’immigration est d’abord un coût. Il faut accueillir les migrants, les loger, leur apprendre la langue nationale, leur trouver un emploi, payer des indemnités pour les demandeurs d’asile, mettre leurs enfants à l’école, augmenter les dépenses régaliennes (police, justice) et certaines dépenses sociales (indemnités de chômage, allocations familiales) en proportion de l’afflux de nouveaux résidents.
L’Europe n’a pas développé une politique commune efficace, et chaque pays se débrouille pour faire face à la situation. Il est à préciser que certains dirigeants, comme la chancelière allemande Angela Merkel, avaient décidé à l’époque d’accueillir les migrants en masse, quitte à être impopulaires. L’ex-Allemagne de l’Est, par exemple, avait besoin de main d’œuvre : l’arrivée des migrants était donc une aubaine. Ce n’était pas un choix totalement innocent et totalement volontaire de la part de la chancelière. Même si ses raisons étaient à la fois économiques et une obligation constitutionnelle.
Quelle est la réalité du phénomène migratoire ?
Il ne fait plus l’ombre d’un doute que l’immigration constitue un défi majeur pour l’Europe du XXIe siècle. L’Europe est devenue le premier continent d’immigration. Il attire une part importante du flux migratoire mondial. Les pays développés, en particulier d’Europe, font face à une vague migratoire sans précédent, causée par les guerres, les changements climatiques et l’absence de perspective dans le pays d’origine des migrants. Aujourd’hui, certains événements migratoires vers l’Europe attirent l’attention des médias et des hommes politiques.
Ces événements sont l’une des conséquences de la guerre en Syrie, de la disparition de Muammar Al-Kadhafi en Libye, de l’arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan, de la situation en Erythrée, de la guerre en Ukraine…En Afrique subsaharienne, le phénomène est plus important, car cette région exerce, depuis de très nombreuses années, un effet de plus en plus répulsif sur une partie grandissante de sa population, dont l’espoir d’une vie meilleure sur son lieu de naissance s’amenuise au fur et à mesure que s’accroissent la pauvreté. En définitive, les mouvements de population se produisent en réalité sur tous les continents.
Que font les instances européennes face à cette situation ?
L’Europe se hérisse de barbelés et de murs. Mais il sera difficile de pouvoir s’enfermer longtemps, car les migrants, eux, vont résister et toujours tenter de passer. Mais à quel prix ? 30 000 personnes ont péri au fond de la Méditerranée, sous nos yeux. Et autant dans le Sahara. Ceux qui passent les frontières sont renvoyés chez eux comme des sacs de patates. De plus, l’Europe finance certains États africains pour qu’ils retiennent leurs ressortissants grâce à des programmes spécifiques. Par ailleurs, elle accuse les organisateurs des missions de sauvetage, comme les équipes de l’Aquarius, de provoquer un phénomène d’appel pour les gens qui prennent la mer. Et pourtant, malgré cela l’odyssée continue.
Une politique d’immigration zéro est irréaliste
Les peuples gagnent toujours et les dirigeants populistes ne resteront pas longtemps en place. La réalité est que les migrants continueront à migrer. Si la migration est le drame des pays européens, elle est aussi une chance, car au fil du temps certains migrants ont participé à la gloire et à la grandeur de leur pays d’adoption. Une politique d’immigration zéro est complètement irréaliste car inapplicable. Personne n’a la baguette magique immédiate. Et pour le moment, tout le reste n’est qu’un concert de flûtes.