Mag-Afriksurseine-Mars-2024

LES MIRAGES DE L’AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT ET DES AIDES BUDGETAIRES DESTINEES AUX AFRICAINS

AIDES AUX AFRICAINS

Par Caroline Meva

Romancière

Les Aides Publiques au Développement (APD) ont été instituées en 1949 par le président américain Truman afin de venir au secours des pays les plus pauvres de la planète. L’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) est créée au début des années 1960, assistée par un Comité d’Aide au Développement (CAD) qui réunit les Etats désireux d’apporter leur contribution financière aux besoins des pays pauvres.

Les APD sont des prêts souverains ou crédits, et des prêts concessionnels dans lesquels les taux d’intérêt sont très bas et où le volet « dons » est supérieur à 25 % du montant octroyé par des organismes publics tels que les Etats, les collectivités locales, les organismes mandatés par les organismes publics. L’aide est bilatérale quand elle est accordée directement par l’Etat donateur à l’Etat bénéficiaire ; elle est multilatérale lorsqu’elle est octroyée par les Etats membres du CAD via des organismes, des programmes et des fonds tels que le FMI, la Banque Mondiale et leurs démembrements, l’Agence Internationale pour le Développement (AID), la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), la Banque Africaine de Développement (BAD), l’UNICEF, la FAO, les Fonds Mondiaux contre le changement climatique et la préservation des océans, de lutte contre les pandémies, contre le SIDA, le paludisme, la tuberculose, etc. Les Aides Budgétaires (AB) quant à elles, sont un appui accordé par les bailleurs de fonds aux pays en faillite financière pour le paiement de leurs dépenses inscrites au budget, destinées en majorité au fonctionnement des services. Les principaux donateurs des APD, qui contribuent pour plus de la moitié des aides fournies par le CAD sont, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon, la France, et le Royaume Uni.

L’objectif affiché de ces aides est de stimuler la croissance, d’améliorer les conditions de vie des populations par la lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités sociales, l’accès de tous à l’eau, à l’électricité, à un emploi rémunéré, à l’éducation, à la santé, à la promotion de l’égalité hommes/femmes, à la lutte contre le changement climatique pour un développement durable, etc. Sur un total de 13 milliards décaissés en 2021 au titre d’APD, 9 milliards ont été destinés aux pays en développement. L’Agence Française de Développement (AFD) déclare avoir décaissé un total de 3,83 milliards d’euros en 2021 au titre d’APD, dont 1,38 milliards d’euros pour les 19 pays prioritaires d’Afrique. Parmi les bénéficiaires (en millions d’euros) on cite le Sénégal (177), le Mali (107), le Burkina-Faso (100), le Niger (92,4). Paradoxalement, malgré les financements massifs dont ils bénéficient, ces pays sont également classés selon les statistiques de la Banque Mondiale parmi les 20 pays les plus pauvres d’Afrique, ce qui nous amène à nous interroger sur les raisons de ce paradoxe.

LES CAUSES DE L’IMPACT MITIGÉ DES AIDES PUBLIQUES AU DÉVELOPPEMENT ET DES AIDES BUDGÉTAIRES AUPRÈS DES POPULATIONS AFRICAINES CIBLES

Nonobstant les sommes faramineuses décaissées au titre d’APD et d’AB depuis plus de sept décennies, les résultats sur le terrain ne tiennent pas la promesse des fleurs. Les causes endogènes de cette situation portent essentiellement sur la mal gouvernance. Le bilan humain est catastrophique. Les inégalités sociales sont aggravées par la captation de la quasi-totalité des ressources du pays par un petit groupe de dirigeants nationaux et internationaux, tandis que la majorité de la population manque du minimum vital et vit au-dessous du seuil de pauvreté. Le chômage reste endémique, surtout au sein des populations jeunes majoritaires ; peu d’amélioration sur le plan sanitaire et de l’éducation, en raison de politiques nationales inadaptées à la forte pression démographique ; déficit de fourniture en eau potable et électricité, etc.

Des scandales de corruption et de détournement des deniers publics défraient régulièrement la chronique, à l’exemple des affaires Elf Aquitaine dans les années 1990, et Glencore une affaire de pots-de-vin qui éclate en 2019 et qui implique des hauts commis de l’Etat dans plusieurs pays africains. Les affaires des « biens mal acquis », les fortunes découvertes après les coups d’Etat militaires chez des hauts responsables en place ou déchus et leurs proches, au détriment des populations de ces pays. Ces dernières, paupérisées et laissées-pour-compte vont grossir les flux de l’émigration clandestine vers les pays occidentaux, en quête d’une hypothétique vie meilleure.

Les causes exogènes concernent essentiellement les insuffisances structurelles et conjoncturelles du processus de financement et de remboursement de la dette liée aux APD et aux AB. Malgré les données chiffrées, les perspectives optimistes et les rapports élogieux concernant les projets implémentés par les APD et les AB, l’on relève de nombreux dysfonctionnements, qui faussent les résultats escomptés. Il s’agit essentiellement : – D’un déséquilibre structurel lié aux conditionnalités drastiques, non-objectives et inadaptées d’octroi et de remboursement des prêts, par rapport au contexte politique et socio-économique des pays bénéficiaires. Ces derniers se retrouvent piégés dans le cercle vicieux d’une dette insoutenable et quasi-impossible à rembourser.

Des mesures d’austérité drastiques sont prises pour maîtriser la dépense publique, éviter le défaut de paiement et dégager des fonds pour soutenir un service de la dette colossal. Ces mesures, pour la plupart, impactent négativement le volet social, grèvent les maigres budgets des ménages, érodent leur pouvoir d’achat et aggravent leur précarité. Comme l’a noté Sarah Saadoun, chercheuse senior à Human Rights Watch lors de la rencontre tenue au Maroc le 05 septembre 2023, « Les conditions des plans de sauvetage du FMI rendent encore plus difficiles des vies déjà bouleversées par l’inflation mondiale et d’autres défis économiques ».

Par ailleurs, une bonne partie des APD (entre 20 et 30 %) va aux dépenses de fonctionnement, aux études et aux consultants. Selon Laurent Bigot (Le Monde), « L’aide publique au développement n’aide pas l’Afrique, elle fait d’abord vivre des dizaines de milliers de fonctionnaires étrangers et nationaux et une myriade de consultants ». Face aux sociétés étrangères et multinationales mieux structurées, la conditionnalité ultra-libérale de l’ouverture à la concurrence internationale n’est pas soutenable par les pays en développement et se fait au détriment des entreprises locales qui se retrouvent asphyxiées. En conséquence, ces pays pauvres restent cantonnés dans le rôle de consommateurs des produits importés, avec une balance commerciale en permanence déficitaire. -Les accords de coopération bilatérale qui assurent le monopole des matières premières, des autres ressources ainsi que celui des marchés publics financés par les APD à certains membres du CAD, vont à l’encontre du principe du libre choix des partenaires.

Ces accords de coopération léonins maintiennent des rapports dominant-assisté entre les donateurs et les bénéficiaires de ces aides. Parlant de l’aide intéressée qui profite essentiellement aux bailleurs de fonds grâce à des accords et conditionnalités particuliers, Alexandre Godineau dans son article paru sur la plateforme WATHI le 04 août 2023 intitulé, « L’aide publique au développement, les implications et contradictions françaises en Afrique », relève que « cette mise sous-tutelle prolonge l’emprise politique de l’ex-puissance coloniale sur le continent africain » et de ce fait, tronque les résultats escomptés des APD et des AB.

-Aux problèmes conjoncturels tels que les crises économiques à répétition,

les guerres, les catastrophes naturelles et les pandémies telle que celle du covid-19, s’ajoutent les actions perturbatrices menées par des hégémonistes mondialistes. Ces derniers entendent substituer la souveraineté des Etats à un gouvernement mondial, avec comme corollaire l’aggravation des inégalités sociales et de la pauvreté des populations.  – Par la politisation à outrance de l’octroi des APD et des AB,

les pays membres du CAD détournent ces aides de leur principal objectif, pour servir prioritairement les intérêts politiques et financiers des classes dirigeantes à travers le monde. En effet, ces aides sont transformées en une arme de chantage et de pression visant à maintenir l’hégémonie des bailleurs de fonds sur les pays bénéficiaires ; à récompenser ou à punir les dirigeants en fonction de leur obéissance aux injonctions desdits bailleurs de fonds. Les concepts de démocratie et des droits de l’homme se trouvent galvaudés et s’exercent à la tête du client. Les membres du CAD sont moins regardants sur les aspects liés à la démocratie et aux droits de l’homme en ce qui concerne les régimes totalitaires mais dociles. A titre d’exemple, les APD et les AB ont été supprimées au Mali, Burkina-Faso et Niger, pays dans lesquels ont eu lieu des coups d’Etat militaires jugés anti-démocratiques. Par contre, les régimes du Tchad et du Gabon qui sont également issus de coups d’Etat militaires, ainsi que ceux des pays ayant perpétré des coups d’Etat constitutionnels non-démocratiques, gardent l’essentiel de leurs APD et AB.

Ce double standard est de nature à accroître la confusion et à aggraver le déficit de crédibilité du CAD, des APD et des AB. En définitive, au vu des nombreux écueils, contradictions et insuffisances notées ci-dessus, il serait souhaitable que les pays africains bénéficiaires des APD et des AB, sollicitent du CAD un audit général du système de financement et de réalisation sur le terrain de ces aides, en vue de la refondation totale dudit système. Une autre solution serait de couper tout simplement les liens incestueux avec ces aides, qui ont largement montré leurs limites et leur nocivité ; de briser ainsi le cercle vicieux de l’assistanat et de la domination permanents et de passer à d’autres formules de coopération plus collaboratives, plus équitables et plus bénéfiques pour les populations africaines. Le développement durable a pour principal objectif l’amélioration réelle des conditions de vie des populations humaines, les différents projets des APD devraient donc s’assurer en priorité de leur impact positif sur lesdites populations.

Il est absurde que des populations crèvent de misère au milieu d’infrastructures, routes, ponts, bâtiments futuristes. Par ailleurs, le mot « aide », inadéquat et anachronique, devrait être banni parce qu’il induit les notions erronées de gratuité, d’assistanat et de dépendance ; il devrait être remplacé par des expressions telles « partenariat », « participation », ou « contribution ». Comme l’a dit Thomas Sankara lors de son discours à l’ONU en octobre 1984, « Nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide ». L’aide n’a pas pour vocation de perdurer éternellement, mais elle doit s’arrêter à un moment donné et laisser la place à une relation plus éthique, plus équitable, un véritable partenariat d’égal à égal, gagnant-gagnant, dans le respect mutuel.

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