Mag-Afriksurseine-Mars-2024

L’ECRIVAINE JEANNE LOUISE DJANGA PARLE DES EMPOISONNEMENTS AU CAMEROUN

LOUISE DJANGA

Cette interview en compagnie de  l’écrivaine Jeanne Louise Djanga, je l’avais déjà  publiée dans d’autres sites ;  la richesse culturelle de celle-ci m’oblige à la remettre à la disposition des lecteurs, cette fois  sur afriksurseine, afin qu’elle serve comme elle avait été autrefois,  une  base de connaissances substantielles.  Mon invitée d’alors, avait donné des arguments solides, qui  expliquaient amplement au public  les raisons des empoisonnements au Cameroun. La publication  est toujours d’actualité.

Nous recevons ce jour Jeanne Louise Djanga. Elle a commencé sa carrière comme enseignante chorégraphe à Montpellier, Dijon et Paris, Manager des unités commerciales avant de se consacrer à l’univers de l’écriture. En 2007, elle a publié son premier livre intitulé AU FIL DU WOURI. 6 autres livres suivront : « LE GÂTEAU AU FOUFOU, ECLATS DE VERS DE VOIX DE RIRES, CONFIDENCES ÉCARLATES, FANTASIA, RÊVER DE VIVRE, avant d’écrire son nouvel opus LE CADENAS aux éditions AfricAvenir. Elle consacre également son temps, dans le social puisqu’elle a créé, le centre culturel Djlo à Bangué à Douala 5ème où elle organise régulièrement des journées littéraires. Nous l’avons invitée aujourd’hui à se prononcer sur le phénomène des empoisonnements au Cameroun, ses réflexions sont émouvantes et méritent d’être lues par tous les camerounais. Elle était du côté du Cameroun à cette époque, et nous entamions notre entretien par ces quelques mots :

bonjour Jeanne Louise, nous sommes heureux de vous retrouver ce jour du côté du Cameroun, c’est l’hiver en France, laissez-nous vous demander comme la cigale à la fourmi : « Que faisiez-vous au temps chaud ? »

Au temps chaud, à la belle saison « Je ne chantais pas », contrairement à l’autre… je travaillais ! « Je ne dansais pas non plus » par mauvais temps sinon uniquement avec les mots. Mon métier de chorégraphe se joue dans ces mots qui nourrissent ma vie aujourd’hui et depuis mon enfance. Par tous les temps, je reste vigilante aux mutations de ce monde ; j’ausculte, je scrute les soubresauts intergénérationnels et je dois dire que je reste un peu sur ma faim. Quel monde allons-nous laisser à nos petits-enfants ? Je suis aussi une femme politique, ce qui n’est pas antinomique à l’écriture.

Je suis au Cameroun pour la rentrée littéraire de AfricAvenir International à Bonabéri avec le prince Kum’a Ndumbe III qui a eu un projet gargantuesque. C’est une première pour un éditeur de réunir autant de femmes pour un festival littéraire. J’ai présenté mon nouveau récit qui pose les problématiques sociales, économiques et relationnelles de la Diaspora. C’était du 1er au 9 mars 2023. Nous avons édifié le public sur diverses problématiques sociétales et nos partenaires, la communauté Urbaine de Douala et L’Université de Douala ont rehaussé l’éclat de cet événement par leur accompagnement au quotidien. Les étudiants ont été très attentifs. Je vais ensuite enchaîner avec un safari littéraire dans la villa de Kribi et plus précisément à Grand Batanga. Il s’agit d’impulser le goût de la lecture aux enfants car tout se joue à ce moment du développement et de la structuration de leur cerveau.

Vous êtes toujours  à l’œuvre dans le social et l’écriture, est-ce que vous pouvez déjà faire un bilan de votre carrière ?

Pour moi, faire un bilan signifierait que je vais bientôt prendre ma retraite ! Heureusement que je ne suis pas fonctionnaire avec un supérieur hiérarchique ou un subalterne qui n’hésiterait pas à me narguer en me le rappelant ! Je suis dans le social avec mes « SAFARIS LITTÉRAIRES  » à travers le Cameroun rural pour impulser la lecture, dans ces zones qui manquent cruellement de structures culturelles. Quant à l’écriture que je considère comme une thérapie, c’est ma boussole, mon exutoire pour continuer à vivre en harmonie avec mon moi intérieur, mais aussi avec les autres. La carrière d’un artiste est infinie et je ne compte pas m’arrêter en si bon chemin. Chaque jour, un nouveau chantier s’ouvre à moi en étant à la recherche perpétuelle de la sagesse, de ma vérité.

Vous êtes sans cesse au Cameroun ; nous aimerions savoir si vous n’avez pas peur comme certains frères de la diaspora du mauvais vent qui souffle sur notre pays au sujet des empoisonnements ?

C’est un sujet très délicat qui m’interpelle. J’ai envie de dire que la peur n’empêche pas le danger. Il vaut mieux l’affronter pour en comprendre les raisons et trouver des solutions. Non ! Je n’ai pas peur, car j’essaie de mener une vie rangée avec quelques précautions basiques qui sont en adéquation avec mes projets littéraires et surtout mon hygiène de vie. Chacun sait pourquoi il va au pays, A chacun ses raisons. Il y a plusieurs manières de tuer quelqu’un.

Le poison semble le moyen utilisé au pays peut-être parce que c’est le plus insidieux ; il est pratiquement impossible de connaître l’auteur de l’empoisonnement sauf enquêtes sérieuses, diligentées par des institutions adéquates. On parle certes beaucoup d’empoisonnement au Cameroun. Mais dans tout ça, personne ne nous montre le certificat de décès délivré par le médecin qui accrédite ce fait. Ce serait plus facile pour avoir des preuves. Pour le moment, ce sont les réseaux sociaux qui valident ces thèses sans en apporter la preuve sinon pourquoi les concernés ne portent-ils pas plainte pour confondre les accusés ? Néanmoins et sans pour autant réfuter ce phénomène, je pense que si on peut être empoisonné, on peut aussi s’empoisonner !

Tenez. Je débarque au 237 après quelques mois d’absence et le jour même, j’ingurgite un plat de Keleng Keleng-Foufou avec un piment obstaclé…Le soir, j’avale un plat de Ndolè pimenté.
La nuit a été très agitée. J’ai tout rendu à la nature, par tous les orifices. En plus, il y avait coupure de courant, donc coupure d’eau… Je vous laisse imaginer le tableau.
C’est ce qui arrive très souvent à la Diaspora qui, euphorique, se venge sur la nourriture et pas seulement, dès qu’elle débarque au pays. Mais c’est aussi un problème d’eau potable, de la conservation des aliments avec les coupures d’électricité…Un problème de santé publique qui impacte la population locale. L’intoxication alimentaire existe et peut ébranler notre santé surtout si elle est déjà fragilisée par d’autres pathologies. Il faut savoir qu’au Cameroun, si vous devenez riche et qu’un membre de votre famille proche décède, même si cette personne a 90 ans, vous serez accusé de l’avoir tuée.

Il y a beaucoup d’inquisition et il faut toujours se justifier comme si la mort était un évènement inédit. Le problème est que nous créons un environnement suspicieux et délétère qui ne profite à personne. Malgré cette peur que vous évoquez à juste titre, les avions ne désemplissent pas. Allez savoir pourquoi. Tous les jours, les camerounais se bousculent dans les aéroports pour aller au pays ! Certes, il y a une minorité qui a jeté l’éponge, mais ça reste une minorité. Dans la tête et l’imaginaire des camerounais, la réussite se justifie presque toujours par des réalisations au pays. Celui qui est resté à l’étranger ne sera jamais « respecté » au Cameroun s’il n’y a pas au moins creusé un puit ! Il y a cette pression psychologique qui est présente un peu comme une dette que l’on doit rembourser dans un pays qui nous a vu naître et qui est en proie à des problèmes sociétaux extrêmement graves.

Dites-nous Jeanne Louise Djanga, quelle est la perception des camerounais du terroir vis-à-vis de leurs frères de la diaspora ? Cette perception, est-elle à l’origine des empoisonnements ?

De par mon ressenti et mes recherches en la matière, leur perception vis-à-vis de la diaspora est très mitigée : beaucoup de personnes comptent sur cette Diaspora pour vivre, car incontestablement, elle nourrit et soigne des familles entières ; en même temps, ils pointent un doigt inquisiteur sur cette Diaspora, l’accusant de tous les maux, en la maltraitant comme si elle était responsable de la mal gouvernance qu’ils subissent sur place. Les camerounais du terroir ont brisé beaucoup de rêves de ceux de la Diaspora avec de l’argent envoyé pour construire et qui a été dilapidé, de fausses ordonnances, de mensonges criards, et une fois arrivée sur place, elle subit encore de diverses arnaques au quotidien.

Aujourd’hui, la Diaspora a pris conscience et refuse désormais de s’en laisser conter, la donne change et du coup, on ne parfume plus leur chambre, on ne vient plus les chercher à l’aéroport, on les chasse de la maison familiale, les rumeurs les plus folles circulent désormais…J’en ai comme ça des vertes et des pas mûres. Et la liste n’est pas exhaustive sur les maltraitances physiques et psychologiques subies par la Diaspora. Tout commence par le haut avec cette histoire de double nationalité à tête chercheuse. Si nos dirigeants mettent la Diaspora à l’écart, pourquoi les camerounais n’en feraient-ils pas autant ? L’on entend d’ailleurs ceci « Rentrez chez vous, restez là-bas… » Du coup, la Diaspora se sent flouée et a l’impression qu’elle n’est qu’un porte-monnaie. Rien de plus.

Maintenant, que la Diaspora a ouvert les yeux, qu’elle est beaucoup plus regardante dans l’envoi des euros ou de dollars, qu’elle exige des preuves avant d’envoyer de l’argent et qu’elle se déplace pour vérifier la crédibilité des uns et des autres, les problèmes commencent : Les empoisonnements, l’acharnement, les fake news sur la Diaspora, la diffamation… Nos dirigeants doivent d’abord rétablir le statut de la Diaspora, la réhabiliter administrativement et politiquement afin d’amorcer un travail de réconciliation sinon tout ira à vau-l’au. Nous sommes camerounais parce que notre sang le justifie et non un bout de papier que vous signez même parfois à contrecœur pour des raisons plus ou moins économiques ou de pressions psychologiques de diverses théories d’intégration…

Avez-vous essayé de comprendre le phénomène pour donner une explication à la société ?

Je peux tout entendre et comprendre, mais je ne me l’explique pas. Ce qui me dérange, c’est le chaos que cela crée dans les familles et les relations entre la Diaspora et les populations locales qui se dégradent de plus en plus au vu et au su de tout le monde et surtout de nos dirigeants qui laissent faire. Un peuple s’éduque et c’est impératif. Comment expliquer ou justifier ce malaise ambiant sinon par des rancœurs ou de la jalousie qui prennent leurs sources dans la souffrance et la précarité de certains restés au pays ? Il y a là une relation de cause à effet. Personne ne quitte son pays de gaîté de cœur, personne ne veut y retourner dans une soute à bagages !

Il y a une souffrance réelle de part et d’autre qui ne peut se résoudre qu’en faisant tabula rasa de tous les à priori sur « l’oxydent  » pardon sur l’occident qui est perçu comme l’eldorado. Il revient aussi à la Diaspora de se revoir sa posture une fois au pays. Pourquoi flamber ? Regarder les autres avec condescendance ? Développer ce sentiment de culpabilité ? Personne n’a la science infuse. Dès l’enfance, il importe de désacraliser le mythe de l’Europe par des lectures d’auteurs africains, la valorisation de notre patrimoine ancestral…

Les camerounais de la diaspora, sont-ils en danger lorsqu’ils viennent revoir les familles et amis ?

Je ne serai pas aussi catégorique ! Quel est le mobile du crime ? Comment peut-on tuer ceux qui investissent, et même qui sont une manne financière pour des familles entières ? Est-ce la jalousie ? Il vaut peut-être mieux leur expliquer la vie en Europe. Mais malheureusement, les Novelas, les documentaires et reportages enjolivent la vie en Europe. Ce n’est pas si facile ! Il y a aussi la Diaspora qui vient flamber au pays et qui ne tempère pas ses pulsions avec le tourisme sexuel à coups d’euros et qui profite parfois de la crédulité de jeunes filles à peine pubères et de leur maman qui rêve du départ de leur enfant en occident, ce qui entraînerait aussi le leur.

Les autorités de notre pays ont leur part de responsabilité : celles d’offrir des conditions sociales, économiques et administratives aux jeunes afin qu’ils n’envient plus ceux qui s’en vont. Avant les années 80, ceux qui partaient en Europe pleuraient. Aujourd’hui, sur 10 jeunes, 8 veulent partir. C’est dommage. La Diaspora se sent en danger, physiquement par la mort, politiquement étant privée du droit de vote donc du droit à la citoyenneté, et spirituellement étant coupée de ses racines. Ça en fait trop ! Elle n’est pas rassurée. Elle se sent jugée, rejetée méprisée, dévalorisée, chassée de la maison familiale qui était son ancrage social ou alors, elle est sacralisée plus qu’il n’en faut. Il y a trop d’extrêmes…On lui demande d’investir au pays pour justifier des longues années passées dans l’Eldorado fictif alors même que la famille l’a épurée par de nombreuses demandes financières.

Ce serait peut-être le thème d’un futur roman !

Certainement. LE CADENAS est le début d’une série, le prochain titre sera LA CLÉ. Dans le premier, j’ai raconté les faits. Les relations fusionnelles mais aussi conflictuelles avec la Diaspora…Les incompréhensions sociales, voire spirituelles entre ceux qui sont partis et les autres. LA CLÉ sera le récit qui je l’espère, mettra tout le monde d’accord… Presque tout le monde. Que chacun fasse son mea-culpa, son introspection. Que les politiques aussi prennent le relais en créant un ministère de la diaspora qui prendrait en charge toutes les problématiques surtout celles du retour au pays natal. Pour cela, la Diaspora a besoin de se sentir en sécurité, car elle vit dans un environnement où la prise en charge en matière de santé et d’éducation est immédiate. Le Cameroun se construira avec la Diaspora ou ne se construira pas. C’est une valeur ajoutée incontestable. Cette dernière aussi a un devoir envers le pays natal, le pays des ancêtres, afin que le combat de ces derniers ne soit pas vain.

Les fêtes au Cameroun, sont-elles devenues le bal des vampires lorsque dans ces soirées, on rencontre des visages venus d’Europe ?

Je ne comprends pas cette métaphore. Vous parlez des fêtes nationales ou des soirées dansantes ? Le regard d’un enfant est pur, c’est la société qui la sclérose, qui la segmente. Au pays des blancs comme vous dites, on demande à cet enfant de s’intégrer sans tenir compte de son ancestralité. Et ce même enfant entend ses parents parler du pays et envisager d’y retourner un jour ou l’autre. Ce qu’ils ne font presque jamais. Du coup, l’enfant est confronté à une dualité sociétale qui le perturbe et le dénature profondément. La semaine dernière une chaîne télé faisait un reportage sur un élève de Foumbot âgé de 10 ans seulement, qui avait pour projet d’empoissonner sa maîtresse mais qui malencontreusement a tué 12 de ses camarades. Est-ce le phénomène des empoisonnements qui a une relève assurée.

Lorsqu’aux Etats-Unis ou en France, un élève tue tous ses camarades, on ne parle pas de relève. On va chercher les causes profondes. Soit c’est un acte de folie, soit une colère ruminée, une vengeance …La police enquête…Le procureur de la République informe l’opinion publique. On parle de la problématique du port d’armes, de la dépression, du profil psychologique du concerné etc. On fouille même le passé, voire l’enfance de la personne qui commet ce crime.

Pourquoi au Cameroun ce serait un cas qui ferait jurisprudence ?

Le problème au Cameroun est que les enquêtes sont soient inexistantes, soit tues et du coup, cela laisse libre cours à des supputations les plus scabreuses. À la maison on éduque l’enfant. À l’école, on l’instruit. C’est donc un travail de mutualisation de toutes les composantes sociétales. S’en prendre à une enseignante, c’est nier l’autorité. Le respect, l’humilité n’existent plus. Il s’agit de faire des réformes de l’école à la Ferry pour comprendre si elle est toujours en adéquation avec le continent. Nos enfants reçoivent une éducation tournée vers l’extérieur ; il est donc normal qu’ils pensent à partir dès qu’ils le peuvent.

Les Camerounais, sont-ils en train d’afficher une facette sombre de leur identité macabre ? Peut-on dire que sa vulgarisation s’accélère ?

La violence est un phénomène mondial. Les meurtres aussi. Les réseaux sociaux ont juste libéré la parole. Je ne sais pas si cette avalanche d’informations est un signe de progrès. L’identité des camerounais n’a jamais été remise en cause. Nous sommes tous frères et sœurs et c’est l’histoire qui nous le démontre sauf qu’elle n’est pas enseignée dans notre système éducatif. Nous devons savoir d’où nous venons pour savoir où nous allons. L’homme, naît il méchant ou est-ce la société qui le rend ainsi ? Ce qui est certain, c’est que le camerounais n’est pas plus méchant que les autres, c’est son environnement qui l’est et qui impacte sur ses humeurs et son comportement. Et comme il faut un bouc émissaire, c’est la Diaspora qui en paie les frais.

Pour un pays assombri par les maux, avez-vous des conseils à donner à toutes les parties ?

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. D’ailleurs qui écoutent encore les conseils ? Tout le monde est coach, influenceurs, lanceurs d’alerte, académiciens, etc. J’ai envie de parler ici d’humilité, de savoir-être, d’éducation des parents et d’instruction scolaire… J’ai envie de dire : Lisez beaucoup, choisissez avec soin vos émissions de télévision, mangez équilibré et faites du sport…Vous serez dans de bonnes dispositions pour vous aimer et aimer les autres.

Cet entretien est riche d’enseignements, nous vous remercions de contribuer à l’éducation de la société.

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