Par Basile Netour Et Abdourahman Bindow Alias Djabbar
Auditeurs, auditrices, lecteurs ou lectrices, recevez, tout d’abord, mes civilités. Merci a Dieu tout-puissant de l’opportunité qui m’est offerte ici pour vous parler de moi et de la musique dans mon pays le Cameroun. D’avance, un grand merci pour votre aimable attention. Ceci dit, je m’appelle Hayatou Ibbal ; artiste-griot né le 15 Octobre 1965 à Ibbal dans la région de l’Adamaoua, département de la Vina et arrondissement de Bellèle-Est. J’ai 58 ans et souffle sur la 39e bougie de ma carrière musicale. Très tôt, mon père m’inscrit à l’école publique de Guebake Bassol dans l’arrondissement de Bellèle, région de l’Adamaoua, formation scolaire classique que je suis parallèlement à celle coranique. Fils unique, je suis obligé d’aider mon père dans ses travaux champêtres. Il avait des bœufs avec lesquels nous labourions.
Tantôt, à l’école, tantôt au champ avec mon père, je vais finalement interrompre mes études au cours moyen deuxième année. Nous sommes à Ngaoundéré où mon père, originaire de Mbang-Ray dans le Mayo Ray, s’était installé et avait épousé ma mère. Ce n’est que longtemps après que sa famille viendra le chercher pour le ramener a Mbang-Ray, plus précisément à Sokorta Manga son village où, longtemps après, il rendra l’âme auprès de ses frères baya, une ethnie qui comprend plusieurs sous groupes tels les baya Boudomon, les Baya Yanguere, les baya Fouma… et les Baya Yayiwe auxquels j’appartiens.
Apres l’école donc, je deviens berger et c’est là que commence ma carrière musicale, car je vais fabriquer ma propre Garaya, guitare à deux cordes avec laquelle, assis sous l’ombre d’un arbre pendant que le troupeau est en train de brouter, je vais apprendre à tirer du son de mon instrument à vent, mais c’est à Mbang-Ray que je suis initié par un vieux griot nommé Amidou Mahmoudou qui m’apprend comment vocaliser, comment entrer sur scène et bien d’autres techniques.
Il m’a formé au rythme Nyawala, mais je me suis spécialisé au Mballa. Pour lui rendre la politesse, je balayais sa maison, lavais ses habits et plein d’autres petits services qui me valaient remerciements et bénédictions de sa part. Après avoir monté mon groupe constitué de 6 personnes, c’est en 1984 que je commence à tourner allant de Lamidat en Lamidat, de Lawanat en Lawanat sans oublier les Ardos pour animer des mariages, des baptêmes tels qu’on le fait toujours aujourd’hui. En guise de récompenses, nous recevions des sacs de maïs, des poulets, des habits, de l’argent. Hier, quand on vous donnait 10.000 F cfa, cela équivalait a 100.000 F cfa d’aujourd’hui, l’argent avait de la valeur et, plus de valeur encore du temps de mon grand-père Djaouro Baba qui a utilisé cette monnaie appelée le Souley. Avec 3 souley, l’on pouvait acheter 3 vaches et un veau.
J’ai connu le kobo, cette monnaie qui avait un grand trou au milieu,… Mémoire de griot ! (rires). Pour faire la différence avec mes confrères griots enlisés dans leur routine et aussi par souci d’ouverture à la modernité, je m’inscris à la Cameroun Music Corporation (CMC), aidé en cela par mes co-artistes Ali Baba, Abdou Benito et Isnebo que je rencontre tous a l’Alliance Française de Garoua. Encore merci à eux, car depuis l’ors, je jouis, de mes droits d’auteurs qui n’arrivent plus à satisfaire les artistes aujourdhui, une situation qui désole le corps musical camerounais traversé par d’incessantes guerres intestines. Tenez : de 1958 jusqu’en 2023, j’ai connu plusieurs ministres de la Culture, soit six au total à savoir Joseph Bipoum Woum, Charles Esaie Toko Mangan, Ferdinand Léopold Oyono, Ama Toutou Muna, Narcisse Mouelle Kombi et aujourd’hui Pierre Emmanuel Bidoung Kwpat qui ont impulsé bien de reformes, mais hélas, sans changement…
Nous ne jouissons de titre d’artiste que le nom alors, je ne suis pas content de la manière dont les artistes sont traités par leur corporation, car, malgré la forte somme qu’allouait le chef de l’Etat son Excellence le Président Monsieur Paul Biya à travers le compte d’affection d’un milliard par an, rien n’a changé ; dommage qu’on en soit encore là contrairement a nos homologues artistes de l’Afrique de l’Ouest tel Youssou Ndour, un griot ayant brigué le poste de de ministre de la dans son pays. Ali Farka Toure, Oumou Sangare, Bintou Sidibe que nous voyons tourner a l’international.
D’où ma question : Qu’est-ce qui ne marche pas chez-nous ? Ali Baba était allé danser en France et a ramené un prix, preuve que nous en sommes capables ! Pourquoi n’encourageons-nous pas de telles choses ? Comme je lui ai mentionné ci-haut, notre corporation est secouée par des luttes intestines : querelles de leadership, jalousie et méchanceté étant les causes. Bref, nous ne parlons pas d’une seule voix. Que faire pour résoudre ce problème dans un pays qui ne manque pas de ressources comme le Cameroun ? Aussi, nous ne voulons pas travailler. Dans le cas du Nord, nous ne faisons que dans la musique boom-boom, sans véritable portée.
L’Alliance Française de Garoua est une opportunité pour les artistes du Nord, mais combien y vont répéter ou la fréquente même ? Face à ce désordre et en nous référant à la récente reforme du Ministère de la culture demandant aux artistes de se regrouper en associations, en guildes en vue de la création d’une fédération, nous les griots du Nord, sous mon impulsion, avons créé l’association des artistes griots traditionnels de la danse patrimoniale et folklorique de la Région du Nord et, Dieu merci, les choses marchent quand même bien, car nous continuons d’animer les mariages, les baptêmes moyennant les subsides.
Ce qui pour autant ne voudrait pas dire que chez les griots tout est cool, non ! Les petites jalousies existent, c’est humain, et même les animaux, n’éprouvent-ils pas aussi ce sentiment ? Bref, on fait avec. Je ne saurais continuer sans vous éclairer sur un certain nombre de points non encore évoqués jusqu’ici : ma famille, mes joies…Transporté par la musique des Lamidats en Ardos en passant par les Lawanats et ceci dans la plupart des régions du Sahel : Nord, Extrême-Nord, Adamaoua, Tchad, Nigeria et autres…C’est à Garoua que je me suis établi.
J’ai deux femmes et onze enfants parmi lesquels six garçons et cinq filles dont aucun n’a été initié par moi dans le métier de griot que je pratique estimant qu’il revient à Dieu seul d’orienter chaque être humain. Ma plus grande joie a été, de jouer devant le président de la République son Excellence Monsieur Paul Biya à l’occasion du Cinquantenaire de l’indépendance de la République du Cameroun, c’était au palais des sports de Warda à Yaoundé. A 58 ans, je pense encore avoir pas mal de jours devant moi donc, bien de choses en perspectives. Dieu merci, jusqu’ici, la vie a été tendre vis-à-vis de moi. De l’analogique au numérique, les choses ont évolué, car j’ai utilisé la lampe-tempête, la lampe a pression appelée AIDA, le groupe électrogène et aujourd’hui l’électricité, la télévision, le téléphone portable, internet, tout va-vite aujourd’hui et on s’adapte.
Je suis fier d’avoir formé des griots presqu’au nombre de 24 aujourd’hui dont certains volent même déjà de leurs propres ailes et me le rende si bien pour preuve, j’ai eu une panne de voiture et c’est l’un d’entre eux qui me l’a réparée gracieusement, je lui dis merci et que Dieu le comble. Enfin, j’ai 108 titres dans mon répertoire, soit 12 enregistrés. Mon style musical, je vous l’ai déjà dit, c’est le Mballa et j’en suis fier. En définitive, en guise de vœux et ouverture, je souhaite réussite aux artistes en général et à ceux du Nord en particulier temps moderne que traditionnels. Ne comptons pas seulement sur l’argent et le vedettariat. La musique pour la musique ou l’art pour l’art est une bonne chose, car elle adoucit les mœurs et crée aussi des liens. Que jeunes et anciens travaillent ensemble et avancent. Pour aller loin, il faut travailler, travailler et encore travailler. Que les jeunes respectent leur habillement et leur coiffure Je voudrais mourir dans la paix et en demandant pardon a tous ! Vive la musique et vive la paix dans notre beau pays le Cameroun.
Encore merci de votre attention