Par l’écrivain Calvin Djouari
Depuis quelques jours, j’entends parler de l’importance de s’inscrire sur les listes électorales. Est-ce réellement un problème crucial ? Personnellement, je refuse de le faire tant que la question anglophone reste irrésolue. A-t-on seulement pensé à demander à nos frères anglophones de participer à ces élections ? Pendant ce temps, l’opposition s’agite en prévision des élections présidentielles. Pourtant, je ris à l’idée que l’opposition puisse remporter la victoire au Cameroun ; c’est méconnaître profondément les mentalités à Yaoundé. L’enjeu est trop important pour imaginer qu’ils laisseront le pouvoir facilement. À mon avis, si nous voulons restaurer la paix dans ce pays, seul un anglophone devrait prendre les rênes du pouvoir. Nous ratons toujours les occasions de traiter les véritables problèmes au Cameroun.
Les anglophones endurent les pires atrocités jamais subies dans notre pays ; ils ont été chassés de leurs terres ancestrales. On les trouve à Bonabéri, nombreux dans la petite ville de Souza, et sur toute l’étendue du Moungo jusqu’à Mélong. Ils peinent à trouver du travail, étant stigmatisés comme des Ambazoniens. Les jeunes femmes se tournent vers la prostitution pour survivre, tandis que d’autres se lancent dans de petits commerces. Certains ont choisi l’exil, cherchant refuge en Amérique du Sud avant de rejoindre les États-Unis. Les anglophones subissent des exactions depuis qu’ils vivent dans les régions francophones, traités comme des étrangers dans leur propre pays. Les policiers, malgré leur état de délabrement, ne leur montrent aucun sentiment. Je ne peux le tolérer, et personne d’autre ne devrait l’accepter.
Des limogeages injustes
Récemment, 14 anglophones ont été licenciés dans une grande société à Douala sous prétexte qu’ils pourraient être des Ambazoniens, même si c’était le cas, ces derniers sont des Camerounais. Non, il doit exister de nouvelles façons d’aborder la justice sociale pour apporter un réconfort à ceux qui la subissent. Comment mettre en place cette justice moderne ? C’est une série d’événements que nous ne pouvons pas développer ici. Par exemple, beaucoup d’entre eux sont morts et ne peuvent même pas inhumer leur famille dans leur village. Les corps sont enterrés dans des lieux inconnus, ce qui va à l’encontre de leurs coutumes. Voyez par vous-même comment une telle communauté peut être tourmentée. Leur liberté a été suspendue, la mort est toujours présente pour eux. Ils sont balayés chaque jour comme des tas d’ordures dans les villes où ils se trouvent.
Nous avons commis des erreurs dans notre mauvaise gouvernance, que ce soit par la recherche du salut personnel ou par des voies qui nous détournent de notre destin. Nous devons avoir la sagesse de revoir notre parcours et de nous corriger, tant au niveau familial que dans une société accablée par les anciennes méthodes du passé. Nos intellectuels ou nos leaders sont trop suffisants. Ils manquent de sagesse et persistent dans leurs erreurs en parlant des élections. Quelle élection ? Ils seront toujours perdants. Le pardon n’est pas connu chez nous. Nous avons la culture de la captation des énergies. Chez nous, nous pensons que nous avons toujours raison. Nous ne connaissons cultiver la paix qu’en temps de football, or le football aujourd’hui avec la faiblesse des institutions qui le gouvernent ne dure qu’une semaine.
Les jours du pardon
Nous devons demander pardon à nos frères anglophones pour les avoir tués pour rien. Nous les avons tués alors qu’ils ne demandaient qu’à changer leur situation, nous les avons tués alors qu’ils demandaient à être compris. Qu’avaient-ils fait pour mériter d’être tués ? C’est chez eux que proviennent toutes les richesses de ce pays : le pétrole, les légumes, les bananes, les ananas, le thé, le poisson. Moi, je fais des efforts douloureux pour pardonner même à ceux qui m’ont bousculé dans le noir, pour leur salut personnel. Les anglophones ont besoin d’un nouveau leader qui va unir notre pays. Nous avons ouvert des prisons pour certains, pourquoi ? Y avait-il des problèmes ? Qu’est-ce que ceux qui sont en prison nous réclamaient ? Le Cameroun est souvent un lieu exemplaire de conflits, de calomnies, de souffrances et de déstabilisation.
C’est là que s’exprime le mieux le drame national. Mais c’est en ce territoire secret que se trouvent conservés les maux de notre pays, pour retrouver le chemin perdu ou la logique du destin vidé. Déjà dix ans que ces frères n’ont plus fêté un Noël tranquille. C’est une honte pour notre pays, une honte pour les francophones, une honte pour le pouvoir, une honte pour les opposants. Nous, les francophones, il nous manque une pureté corporelle, nos égoïsmes. On dirait qu’ils se donnent tous pour mission de tout détruire sur leur passage : humanité, solidarité, écoles, université, générosité, et eux-mêmes aussi dans le lot.
Des francophones cyniques
Je croyais que ça devrait être le scandale le plus révoltant que les politiciens aient finalement fermé les portes des écoles pour ouvrir celles des prisons. Il n’y a rien de plus grave que cela dans une société. Toute la conjugaison des choses continue de vivre et on dirait que personne n’est affecté. La presse est fatiguée et finit par jouer le jeu. Les anglophones subissent le coup. Entre-temps, il y a les politiques qui se mettent en rang de l’opposition pour ne jurer que par les élections et pour le pouvoir à tout prix, dans n’importe quelle situation et dans n’importe quelle condition, sans avoir rien comme projet pour le pays. En tout cas, s’il s’agit de s’inscrire sur les listes électorales, je ne doute pas que cela se fasse, et surtout que les élections, mais pour l’accession au pouvoir, c’est là où je crois qu’ils devront se battre pour comprendre qu’ils sont sur un chemin où ceux qui détiennent le pouvoir ont deux siècles d’avance en matière de plaisir de pouvoir.
Il nous restera à dire merci aux anglophones pour le courage qu’ils ont eu de chercher à se faire entendre, des sangs ont coulé, mais rassurez-vous, la terre n’encaisse pas du sang pour rien, un jour ce sang criera dans tout le pays. Un jour dans ce pays, on verra bien un président anglophone accéder au pouvoir. Je ne sais pas quand cela arrivera, mais cela arrivera un jour. Quand la vérité triomphera, je vous assure, les conséquences seront graves ! Il y a du sang partout dans le sud-ouest et le nord-ouest et les enfants ne cessent de pleurer. Je suis inquiet, pour notre pays. Ce pays n’appartient à personne, chacun a le droit de s’épanouir et de trouver la joie partout où il passe au Cameroun. Il faut redonner la fierté de vivre à ce peuple, on leur fait trop de mal.
Bernard Fonlon avait prédit l’aspect culturel de ce mariage forcé.
Nous avons tort parce que le premier intellectuel camerounais fut Bernard Fonlon, un anglophone. Il avait évoqué ce problème dans les années 66. Ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui sont les principaux artisans de ce que vit les anglophones en ces moments difficiles. Des territoires perdus, des écoles fermées, des villages incendiées et pillés, des prisons remplies, des yeux crevés, dans une misère atroce. Quand on écoute les frères anglophones, leur détresse, on a l’impression qu’ils ont vu tout un pays tomber sur leur dos. Comme à leur habitude, ils ont des mots simples qui inspirent douleur et désespoir en même temps. Malgré les injustices qu’ils subissent, ils transpirent une grande envie de marcher, déterminés dans cet instinct de survie propre à tout homme. Mais bon, je ne devrais pas oublier comment on se mange vite dans ce pays. Les égos sont souvent surdimensionnés et, en plus de la haine qui se pratique, on ne prend pas le temps de s’aimer, pourtant ce n’est pas l’amour qui manque… il faut, comme disait Eteki Mboumoua, « un peu d’humanisme. »