Oui, il s’en est allé de ce monde, comme je l’avais mentionné auparavant, après avoir confié son destin aux mains expertes d’un village entier, armé de secrets ancestraux, où la mort est une recette bien gardée. C’était une erreur à ne pas commettre pour quelqu’un qui avait grandi dans les cités. Le village de Nkolbogo, niché dans le département de la Lékié, terre natale du journaliste Amobé Mevegue, était certes connu localement, mais sa renommée dépassait rarement ses frontières. La diaspora camerounaise, et plus largement africaine, fut durement touchée, perdant ainsi une voix qui comptait pour elle. Une référence. Un modèle.
La nouvelle fut difficile à accepter. Le journaliste était en pleine forme lorsqu’il se rendit dans son village pour accompagner sa nourrice à sa dernière demeure. Cette mère qui l’avait élevé et qu’il chérissait tant était tout pour lui. Un océan de tristesse submergea alors tous ceux qui le connaissaient. Camarades, amis, collègues, peu importe leur origine ou leur couleur de peau, tous, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, lui rendirent hommage, témoignant ainsi de l’estime et du respect qu’ils portaient à l’homme Mevegué. Une cérémonie traditionnelle sans précédent. Jamais auparavant autant de personnes ne s’étaient rassemblées pour honorer un homme lors d’une cérémonie traditionnelle. Il y a trois ans de cela. Dans ce village, presque toute la population était venue assister à cet événement exceptionnel.
Le village avait revêtu un nouvel habit, avec des stands fraîchement construits. Les femmes avaient arboré leurs plus beaux atours de fête. Les jeunes étaient curieux, les villageois sortaient de leur réserve habituelle. Et quelle était la raison de cette mobilisation générale ? Les funérailles de la nourrice d’un célèbre journaliste camerounais. On pensait que cet homme avait atteint tous les sommets et qu’il était temps de lui offrir de nouvelles bénédictions… Au milieu de l’effervescence des femmes, les images des festivités mirent en lumière un homme seul, revêtu de son costume traditionnel. « Asseyez-vous, monsieur Mevegue », lui a-t-on dit. Il a obéi, s’asseyant solennellement. Puis on lui a remis un sceptre. Une fois assis, on lui a ordonné de se lever. Et il s’est levé. À partir de cet instant, il était devenu un patriarche.
C’était l’apothéose pour un homme qui ne savait pas qu’il accomplissait les derniers rituels pour rejoindre le monde des ancêtres. Une personne présente sur les lieux m’avait confié : « La cérémonie avait l’air de le préparer pour l’au-delà. Son ultime sacre. Le plus fastueux de sa vie. » Ce jour-là, le froid était mordant, les notables du village étaient tous là, les voix des femmes résonnaient dans l’air, et la cérémonie était immortalisée par de nombreux photographes.
Il y a toujours eu des rites en Afrique ; les rituels funéraires font partie intégrante de nos traditions. Chaque décès est l’occasion d’un rituel ancestral, où les esprits sont invoqués et où se joue un affrontement symbolique avec le monde des morts. Dans certaines communautés, les croyances en la sorcellerie persistent, nourrissant une atmosphère de mystère et de crainte. Pour ceux d’entre nous qui croient en ces phénomènes, chaque mort est perçue comme le résultat d’une puissance occulte agissant dans l’ombre. C’est déroutant, troublant même. Mais c’est l’Afrique, un continent où la rationalité côtoie le mysticisme, où les frontières entre le tangible et l’invisible s’estompent.
Amobé Mevegué, je l’ai rencontré à Libreville en 1997, grâce à Jules Kamdem. Ils collaboraient, et Amobé était une figure respectée dans le milieu. Jules Kamdem, qui vit désormais en France, était véritablement fasciné par lui. Il lui vouait une admiration sans bornes et représentait ses intérêts à Libreville, notamment lors de ses interventions sur RFI dans des émissions culturelles. Jules ne tarissait pas d’éloges sur Alain (c’était son ancien prénom) Mevegué. Amobé, discret et charismatique, avait cette capacité innée à marquer les esprits sans avoir besoin de se mettre en avant. Il avait ce don de façonner les gens à leur insu, et il était de ceux qui laissent leur empreinte sans même prononcer leur nom. Amobé Mevegué a gravé son nom dans les annales de la communication.
Sa passion pour son métier l’a poussé à travailler sans relâche pour affiner son art. Il était de ceux qui veillaient tard dans la nuit pour être prêts dès l’aube. Un véritable acteur, il incarnait pleinement son rôle dans chaque situation. Il suffisait d’assister à l’un de ses tournages pour comprendre ce que signifiait être un acteur dans son domaine. Ce journaliste faisait partie de cette élite de la profession, ces figures lumineuses que le Cameroun a offertes au monde pour qu’elles soient admirées par l’Afrique et au-delà. Simple et pourtant d’une intelligence remarquable, il observait le monde avec une acuité rare, écoutant sans prétention, voyant sans ostentation. Son caractère pittoresque, allié à une finesse et une assurance sans pareilles, en faisait un défenseur de la jeunesse et de l’Afrique tout entière.
Doté d’une ouverture d’esprit exceptionnelle, Amobé Mevegué avait le don de porter les débats à des niveaux élevés. Il aimait partager son savoir, ses expériences, les inscrivant comme des leçons sur un tableau. Combien de politiciens, de communicateurs camerounais et étrangers n’ont-ils pas bénéficié de ses conseils, de ses réflexions ? Et pourtant, il restait humble, toujours prêt à servir dans l’ombre, avec une modestie exemplaire. Amobé Mevegué était un journaliste de premier plan, engagé corps et âme dans la promotion des valeurs africaines, notamment lors de son passage à France 24. Il était un fervent défenseur du bien, du beau et du vrai, s’efforçant de faire triompher les causes justes et la vérité. Il a parfois été confronté à l’incompréhension de ses compatriotes de la diaspora, originaires de son département.
Malgré les critiques et les revers, il restait fidèle à ses convictions, rappelant à ses pairs l’importance de l’unité et du partage parce qu’il connaissait les limites de leur vision étroite, centrée sur leur propre réussite et leur propre reconnaissance, sans tenir compte des succès des autres. Le départ prématuré d’Amobé Mevegué constitue une perte immense pour la diaspora camerounaise, qui excelle depuis des années dans le domaine de la communication et rayonne à l’échelle internationale. Les Camerounais occupent une place de choix dans ce domaine en Occident, et Amobé Mevegué était l’un de leurs plus éminents représentants. En plus de son engagement professionnel, il était attaché aux traditions ancestrales de son village, puisqu’il détenait une profonde connaissance des coutumes locales.
Cependant, sa dernière cérémonie funéraire a semblé trop fastueuse, cela suscitait des questions sur la sincérité des honneurs qui lui étaient rendus. Cet homme a consacré sa vie à des idéaux nobles, à des visions grandioses, à des projets ambitieux, jusqu’à concrétiser son rêve en créant sa propre chaîne de télévision, un projet qu’il nourrissait déjà au Gabon. Il a poursuivi sa mission avec détermination jusqu’au bout, s’engageant corps et âme dans une existence lumineuse. Toujours vigilant, toujours jovial, il était un maître de la langue française, un fervent défenseur de la culture et un connaisseur des grands esprits.
Ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer s’accordent à dire que le journaliste était un homme ordinaire, d’une franchise appréciable, d’un style distinctif, d’une prestance remarquable, d’une générosité sans pareille, d’une constance exemplaire, et d’une compétence indiscutable dans l’accomplissement de ses devoirs. Sa bonté d’âme faisait de lui la fierté de notre diaspora. Certains individus semblent nés pour briller, et captive l’attention depuis leur plus tendre enfance jusqu’à leur disparition. Amobé Mevegué faisait partie de ces personnalités. Son talent transcendantal était reconnu de tous. Bien qu’il appréciait les forces de la nature, la cérémonie qui lui fut réservée ce jour-là semblait excessive. Néanmoins, Amobé demeure désormais une légende gravée dans nos mémoires, sa mort prématurée renforce ce statut.
Pour ma part, ce qui m’a frappé, c’est l’émotion… Après avoir regardé cette cérémonie imposante qui lui était dédiée, j’ai eu l’impression de voir une charge trop lourde pour ses épaules, qui devait l’accabler jusqu’à l’effondrement. Les rituels traditionnels de nos terres sont complexes ; ce qui se déroule en public n’est qu’une façade, mais ce qui se passe dans l’intimité des foyers ou dans la profondeur de la forêt est souvent insoutenable, surtout lorsqu’on en vient à la phase d’initiation. Il a sans doute été submergé par un choc émotionnel, pesant sur son subconscient. Le contraste entre tradition et modernité a peut-être ébranlé son instinct de survie, et il en a succombé. En d’autres termes, nos dispositions émotionnelles influent sur nos réactions émotionnelles. Par exemple, la frénésie, cet excès de joie, l’a peut-être projeté vers une vision idéalisée de la vie, le plongeant dans un sentiment de confiance après cette immersion ancestrale, relâchant ainsi ses réflexes de sécurité. Dans une cérémonie traditionnelle, le bonheur de tous les participants est crucial ; le moindre mécontentement peut engendrer des conséquences graves.
Il est important de comprendre que la mort n’est que la surface derrière laquelle se cachent de véritables motifs. C’est l’émotion qui, associée au rite extraordinaire dont il fut l’objet, a contribué à la disparition d’Amobe. Ce jour-là, il a été submergé par les flots, incapable de supporter le poids de son couronnement, et à son retour, il ne parlait que de cette cérémonie. Il se sentait investi de pouvoirs nouveaux, il irradiait d’une nouvelle aura. Les habitants des villages sont confrontés à deux problèmes majeurs : tout d’abord, ils réprouvent l’étalage ostentatoire de richesse lors des funérailles (cercueils coûteux, cérémonies grandioses, banquets opulents), qu’ils imputent souvent à la personne endeuillée, considérant que le village souffre pendant que cette dernière s’affiche. En réaction, certains villageois invoquent des malédictions pour que la personne perde son emploi ou un membre de sa famille, afin de l’inciter à organiser d’autres festivités.
La pression vient souvent de la famille proche, qui peut développer de la rancœur si la personne endeuillée ne satisfait pas ses demandes, comme celle d’amener un cousin ou une cousine de la ville ou d’Europe. Il n’est pas rare qu’elle lui soumette des problèmes insurmontables. On me sollicite fréquemment pour envoyer une voiture, et ce sont déjà plus de dix personnes qui m’ont fait cette requête. Les villageois sont souvent démunis pour de simples besoins. Je me souviens d’un incident dans un village que je préfère taire, où un commerçant a passé la nuit devant ma porte pour 200 FCFA, car nous avions pris sa marchandise sans avoir de monnaie pour le payer. Le lendemain matin, en ouvrant la porte, nous l’avons découvert là. Un autre individu à qui j’avais donné un billet de 10 000 francs a feint de chercher de la monnaie pour s’éclipser du village pendant mon séjour. Au village, on te proposera toujours des rituels ou des talismans.
Il est parfois nécessaire de refuser, car si tu réussis un jour, ils s’approprient cette réussite en prétendant l’avoir bénie. J’ai souvent été en colère en entendant de telles assertions. Désormais, je ne donne rien. Rien du tout. Par ailleurs, avoir un bon cœur au village ne garantit pas l’immunité contre la méchanceté. Ceux qui pensent le contraire se trompent. Plus tu donnes, plus ils te cherchent des ennuis et complotent pour te nuire. Ce sont des insatisfaits perpétuels, cherchant à s’approprier tes vêtements, tes chaussures, ta montre, ta chaîne, et n’hésitant pas à te le demander publiquement.
Il est essentiel de considérer d’autres aspects ; ce ne sont pas nécessairement des pratiques sorcières qui sont en cause… Je choisis mes mots avec soin… L’air que nous respirons en Afrique est parfois pollué, surtout pour ceux qui y vivent depuis longtemps. Avant de voyager, il est toujours recommandé de se faire vacciner. Combien de nourrissons amenés en vacances sont décédés en Afrique lorsque leurs mères les ont présentés à leurs grands-parents ? L’eau et l’air que nous respirons aujourd’hui en Afrique ne sont plus les mêmes qu’il y a quelques décennies. La déforestation a causé des dommages considérables, mais l’Afrique ne peut pas en être consciente. C’est pourquoi tant de personnes décèdent chaque jour. Souvent, ce n’est pas la sorcellerie en cause. Les conditions sanitaires sont précaires en Afrique.
Nous avons une alimentation médiocre, nous buvons de l’eau de mauvaise qualité, nous dormons dans des conditions insalubres. Je conseille à tous les parents vivant en Occident de ne jamais emmener leurs nourrissons en Afrique avant l’âge de 5 ans, même s’ils sont vaccinés, car ils courent de graves dangers. Les exemples sont nombreux. Des couples se sont séparés ici parce qu’on accusait les familles d’avoir causé la mort de leur nouveau-né. Faux. C’était l’environnement. À l’âge de 52 ans, il s’est éteint… l’étoile du journalisme camerounais qui illuminait les médias. Celui qui avait ouvert la voie à de nombreux jeunes.
Amobé était au sommet de la célébrité. C’était un homme qui avait atteint les sommets. Son style a été une source d’inspiration pour des milliers de jeunes à travers le monde. Il n’était pas un journaliste en devenir, il avait déjà réalisé cet avenir. Une chose est sûre, l’héritage intellectuel laissé par cet homme dépasse de loin tout ce que l’on peut imaginer. Voici un homme franc, honnête, sincère, intelligent, profondément intelligent. Un travailleur. Il avait sa manière propre : lorsqu’on l’appelait et que notre numéro n’apparaissait pas… il attendait jusqu’à découvrir qui était à l’autre bout du fil. Il lisait notre message et nous observait même pendant cinq ans, pour nous surprendre un jour en nous proposant quelque chose qui devait nous arranger dans notre domaine.
Il marchait avec son cœur, un vrai homme de parole. Ce sont des valeurs qui méritent le respect. Tous ceux qui ont côtoyé ce journaliste conservent, d’une manière ou d’une autre, de beaux souvenirs. Ses blagues et son charisme étaient uniques. C’est pourquoi il suscitait l’admiration de tous. Ceux qui l’ont connu dans sa jeunesse savent qu’il était d’une beauté extraordinaire. Sa beauté reflétait son humanité, sa gentillesse et sa familiarité. C’était un être passionnant et passionné, un travailleur joyeux, affectueux, plein de vie et de charme. Il avait encore tant à offrir, mais le destin en a décidé autrement.