Mag-Afriksurseine-Mars-2024

EDDY ARMAND LE SAXO ET MOI

Par Eddy Armand

Artiste musicien Camerounais depuis Calgary (Canada)

Depuis mon Nkongsamba natale, j’ai voyagé  pour  retrouver la musique et surtout  rencontrer  le monde. J’ai  revêtu  de splendides costumes et passer des heures à jouer pour le plaisir des mélomanes : voilà les vocations que j’ai embrassées dans ma vie, semblables au travail quotidien que je mène. C’est un peu comme un don naturel, la musique, et particulièrement pour le saxophone. En vérité, le saxophone est pour moi un prolongement de mon être, une extension de mon âme. Lorsque je prends cet instrument entre mes mains, c’est comme si une connexion intime s’établissait entre lui et moi, et le son jaillit alors sans effort, presque instinctivement. Comme tout génie, les virtuoses du saxophone semblent avoir une relation innée avec leur instrument. Pour eux, la musique coule de source, sans nécessiter de grands efforts d’apprentissage.

Pour ma part, j’ai appris à jouer du saxophone dès mon plus jeune âge, imprégné de l’héritage musical de mon quartier. Les visages que vous voyez sur cette photo sont bien plus que de simples compagnons de musique : ils sont devenus ma famille, unie par la passion commune pour la musique et le désir de perfectionner notre art. Nous avons partagé tant de moments ensemble : nous avons joué sur scène, nous avons voyagé à travers le pays, nous avons attendu patiemment l’arrivée des invités avant de nous produire. Ces frères d’âme sont capables d’interpréter les œuvres des plus grands musiciens avec une maîtrise et une virtuosité impressionnantes. Leur parcours vers l’excellence n’a pas été sans peine : ils ont travaillé dur, surmonté les obstacles, et cultivé leur talent avec détermination.

Avec une persévérance sans faille, ils ont atteint une excellence inégalée. L’exemple le plus célèbre de cette réussite est celui de Djacktallé. Dès l’âge de 12 ans, il donnait des concerts où il jouait même les yeux bandés. Sa virtuosité était stupéfiante, mais ce n’était pas tout : il était également un prodige de la composition. Il pouvait composer rapidement des morceaux de makossa ou de Bitkusi, ainsi que des chœurs, avec une facilité déconcertante. Copier ses partitions manuscrites prenait presque autant de temps que composer une nouvelle œuvre. Nous étions jeunes, mais déjà capables de maîtriser magnifiquement le piano et le violon, de chanter avec grâce, et même de composer de belles pièces musicales. Dans nos rires joyeux, résonnait la polyphonie de nos langues variées.

Notre musique nous a unis, elle nous a éclairés d’une manière singulière, nous poussant à réfléchir sur le monde qui nous entoure. La plupart d’entre nous, d’origine modeste, ne provenions pas de familles d’artistes. C’était un profil atypique dans le milieu musical, mais c’est ce qui nous rendait si attachants. Ce parcours m’emplit de nostalgie aujourd’hui, et je rêve parfois de le revivre. Avant de m’envoler vers de nouveaux horizons, j’ai joué une dernière chanson à l’aéroport, humblement, comme un dernier hommage à mon pays. C’est là tout le pouvoir de la musique : elle apporte du bonheur, embellit le monde, et crée un environnement propice à la vie.

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