Par Yana Bekima
En poste depuis le 6 février 2017 pour un mandat unique de 7 ans, le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), a vu en principe sa mission arriver à son terme le 6 février 2024. Le directeur du contrôle général (DGCG) de l’institution, Blaise Eugène Nsom, dans le cadre de ses prérogatives a déclaré la vacance du poste, en désignant le vice-gouverneur comme intérimaire, suscitant ainsi une vive contestation de M. Tolli. Blaise Eugène Nsom poursuit : « en conséquence de ce défaut de mandat, qui constitue plus qu’un cas d’empêchement ou une absence temporaire du gouverneur, de plein droit et automatiquement, le vice-gouverneur supplée le gouverneur dans l’exercice de ses fonctions, en vertu des dispositions de l’article 52 des statuts ».
Le DGCG vient de constater la vacance au poste de gouverneur de la banque centrale des États de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, RCA et Guinée équatoriale), avant la désignation du successeur d’Abbas Mahamat Tolli par la Conférence des chefs d’État de la CEMAC. Il désigne explicitement le vice-gouverneur de la BEAC comme le gouverneur ad interim. D’ailleurs, dans sa correspondance, le représentant du Cameroun au sein du gouvernement de la BEAC indique aux autres membres de cette instance le nouveau mécanisme de fonctionnement à mettre en œuvre par ces temps de « vacance au poste de gouverneur » de la banque centrale, non sans leur distribuer des attributions précises.
Quel est le rôle de la BEAC ?
Créée le 22 novembre 1972, la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) est la banque centrale commune aux six États qui constituent la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Par ses actions en faveur de la coopération monétaire, la BEAC participe au renforcement de l’intégration économique dans la CEMAC. Sans remettre en cause son objectif premier de stabilité monétaire, la Banque apporte son soutien aux politiques économiques mises en œuvre par les États.
Le poste de gouverneur est officiellement vacant
Le mandat du gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale, Abbas Mahamat Tolli a pris fin le 06 février 2024. Une note signée par Blaise Eugène Nsom, Directeur Général du Contrôle Général (DGCG) de la même institution, datée du 07 février 2024 conteste la poursuite de ses fonctions de gouverneur au sein de l’institution. Mais le gouverneur Tolli rappelle à ce dernier : « La nomination du gouverneur relève exclusivement de la compétence de la conférence des chefs d’État de la Cemac. La procédure de passation des charges est clairement établie et sera assurée par le président du comité ministériel de l’Umac (Union monétaire de l’Afrique centrale). Il n’appartient donc pas au DGCG de créer ses propres normes au sein de la banque centrale. À ce jour, aucun responsable institutionnel de la Cemac n’a quitté ses fonctions sans que la conférence des chefs d’État n’ait préalablement nommé son remplaçant. Cette règle a d’ailleurs été appliquée pour la nomination des nouveaux membres du gouvernement de la Beac, y compris celle du DGCG lui-même ».
Arrêt des activités du gouverneur Abbas Mahamat Tolli
Voici l’argumentaire de Blaise Eugène Nsom, DG du contrôle général à la BEAC qui pousse vers la sortie le gouverneur en fin de mandat : « Dans le cadre de mes prérogatives exercées en tant que Directeur général du Contrôle général, garant du strict respect des textes auxquels la Banque assujettie et ce, par toutes les parties prenantes, je me fais le devoir de vous rappeler que les articles 50,51 alinéas 3, 51, 4 et 52 des Statuts de la BEAC précisent les conditions de nomination, la durée précise et les aspects relatifs à la gestion de la vacance du poste du Gouverneur de la BEAC .»
De fait, en application des statuts de la BEAC notamment en son article 51 alinéa 3, 51, 4. « A cette date, Monsieur Abbas Mahamat Tolli, n’a plus de mandat et d’habilitation légale à être représentant du pays dont il est originaire au sein du Gouvernement de la BEAC », rappelle le directeur général du contrôle général de ladite Banque, Blaise Eugène Nsom. « Il y a donc vacance du poste du Gouverneur de la BEAC, et ce, dès le 7 février 2024 au matin », précise-t-il.
Duel à l’horizon
Qui pour succéder au Tchadien Abbas Mahamat Tolli ?
Le départ du gouverneur Abbas Tolli Mahamat devrait entraîner des changements au sein du gouvernement actuel de cette banque centrale. Conformément au principe de rotation par pays et par ordre alphabétique, le poste de gouverneur de la BEAC revient à la République centrafricaine (RCA) selon le principe de rotation à ce poste. Trois noms seraient pressentis selon les analystes. Il s’agit de Yvon Sana Bangui, actuellement directeur central des systèmes informatiques à la BEAC ; Maurice Christian Ouanzin, l’actuel secrétaire général de la Commission bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) ; et Marius Feimonazui, ancien directeur général du contrôle général de la BEAC.
En définitive, le choix incombe au chef de l’Etat Centrafricain Faustin-Archange Touadera, déjà courtisé par certains. Dans le processus, il reviendra au chef de l’État centrafricain de proposer à ses pairs du Congo, du Gabon, du Tchad, de la Guinée équatoriale et du Cameroun, le nom du futur gouverneur de la BEAC, en vertu du principe de la rotation à la tête des institutions communautaires de la CEMAC. « Les membres du gouvernement de la BEAC (gouverneur, vice-gouverneur, secrétaire général et directeurs généraux, ndlr) sont nommés par la conférence des chefs d’États de la CEMAC, sur proposition du comité ministériel de I’UMAC, après avis conforme du conseil d’administration statuant à l’unanimité », confer les statuts de la BEAC.
Mesures conservatoires
« En conséquence de ce défaut de mandat, qui constitue plus qu’un cas d’empêchement ou une absence temporaire du Gouverneur, de plein droit et automatiquement, le Vice-Gouverneur supplée le Gouverneur dans l’exercice de ses fonctions en vertu des dispositions de l’article 52 des Statuts », informe le directeur général du contrôle général de BEAC, Blaise Eugène Nsom.
Antécédents
Accusation de « règlements de comptes personnels »
Pour comprendre cette argutie, il faut remonter au début de l’année 2022. Blaise Eugène Nsom est toujours le directeur national de la Beac pour le Cameroun, bien qu’étant frappé par l’âge de départ à la retraite depuis 2021. Le gouvernement camerounais, par le truchement du ministère des Finances, sollicite et obtient du gouverneur de la BEAC une prorogation de son mandat d’un an, en attendant de pourvoir à son remplacement. Sauf qu’au bout de l’année de prorogation, le Cameroun n’a toujours pas désigné le remplaçant de M. Nsom. Le 6 janvier 2022, Abbas Mahamat Tolli procède alors à la désignation de deux intérimaires au poste.
C’est sur ces entrefaites que Blaise Eugène Nsom sera remplacé au poste de directeur national de la BEAC pour le Cameroun par Pierre Emmanuel Nkoa Ayissi, à l’issue d’un conseil d’administration de la banque centrale tenu le 20 juillet 2022. L’ancien directeur national, lui, rebondira au sortir du sommet des chefs d’État de la CEMAC du 17 mars 2023 à Yaoundé, en raison de sa désignation par le Cameroun comme directeur général du Contrôle général au sein du gouvernement de la BEAC. Il y retrouve alors Abbas Mahamat Tolli, qui l’avait poussé à la sortie un an plus tôt, malgré les interventions du ministre camerounais des Finances. Tout se passe maintenant comme si le Camerounais, DG du contrôle général à la banque centrale, aurait décidé de saboter la sortie du Tchadien, en constatant la « vacance » au poste.