Cette entrevue avec l’écrivain Yana Bekima, initialement publiée sur camer.be, avait été chaleureusement accueillie par les lecteurs. Malheureusement, elle a depuis été supprimée du site. Nous tenons à la rétablir ici, étant donné la profondeur littéraire dont elle a fait l’objet, d’autant plus que nous étions ceux-là mêmes qui avions mené l’entretien. Originaire du Cameroun et résidant en Suisse, Yana Bekima s’est distingué en tant qu’écrivain avec son roman à succès « Pleure ô Eseka », un récit poignant évoquant la tragédie ferroviaire survenue en 2016 dans cette ville. En plus de ses réalisations romanesques, il a également contribué à plusieurs essais. voici ce que fut l’essentiel de cette rencontre.
Bonjour Monsieur Yana Bekima. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs qui pourraient ne pas encore vous connaître ?
Je suis un écrivain d’origine camerounaise résidant en Suisse. Après une enfance à Libreville au Gabon, je suis rentré au Cameroun où j’ai obtenu une licence en Analyse et politique économiques à l’université de Yaoundé. Puis j’ai été étudiant au Cycle D.E.P.A de l’ESSEC de Douala. J’ai été Chef d’entreprise durant une dizaine d’années au Cameroun. Actuellement, je vis en Suisse avec mon épouse et je travaille comme gestionnaire de bâtiments.
Votre parcours professionnel est remarquablement diversifié. En tant qu’Ingénieur Réseau, comment avez-vous fait le saut vers l’écriture, et pourquoi avez-vous choisi le roman comme moyen d’expression ?
Durant mon enfance, je lisais beaucoup. J’ai commencé à écrire des poèmes et des textes vers l’adolescence. J’aime le style romanesque parce qu’il permet aux lecteurs de voyager, de s’évader et de se plonger dans des ambiances qui ne leur sont pas forcément familières.
Pourriez-vous nous donner un aperçu de votre livre « Pleure ô Eséka » ?
L’idée de la rédaction de ce roman s’est imposée à moi durant la période du confinement du printemps 2020. Ce fait divers m’avait bouleversé au point que j’en parlais souvent dans la famille. En effet, j’aurais dû me trouver dans ce train pour rentrer à Douala mais un contretemps m’avait retenu à Yaoundé. Ensuite, de la parole, je suis passé à l’écriture. Une sorte de psychothérapie. J’ai passé quelques mois à me documenter autour de ce drame.
Vous qualifiez votre livre de roman malgré ses aspects pamphlétaires évidents. Pourquoi avez-vous choisi cette subtilité dans la classification de votre œuvre ?
Le roman sert aussi à poser des questions, voir à remettre en question certaines habitudes et coutumes et pourquoi pas à changer notre regard sur certaines réalités de notre pays.
Le personnage de votre héroïne, Lydia, semble exprimer plus qu’une simple romance, mais plutôt une colère et un acte d’accusation. Est-ce que vous avez intentionnellement représenté les sombres aspects de cette tragédie à travers son personnage ?
Je suis heureux de constater que vous avez lu attentivement le roman. Lydia symbolise toutes les familles qui ont été impactées. Elle est une victime directe de ce drame et en subit toutes les conséquences, c’est-à-dire une veuve sans ressources, avec des enfants devenus orphelins et confronté au poids des traditions. En outre, il faut reconnaître que le manque de certaines infrastructures n’a pas facilité le travail des sauveteurs.
J’ai remarqué une touche de poésie dans vos lignes tout au long du livre. Pourquoi cette inclination à mêler la poésie avec le style prosaïque ?
Je suis d’abord un poète dans l’âme. J’aime les mots et ce qu’ils évoquent : une couleur, une odeur, un son…
Est-ce que la tragédie d’Eséka a mis en lumière les côtés les plus sombres de la société camerounaise et de l’âme humaine, à votre avis ?
Ce qui arrive dans mon pays me touche profondément et je suis attristé par le manque d’infrastructures dans plusieurs domaines, cela impacte les Camerounais au quotidien. Vous le savez comme moi…
Votre livre a rencontré un succès phénoménal auprès des lecteurs camerounais. Comment abordez-vous l’écriture d’un second ouvrage après un tel succès ? Vous sentez-vous plus confiant ou ressentez-vous plutôt une pression écrasante ?
Je ne m’attendais à un tel accueil et j’en profite pour remercier les lecteurs. Actuellement, je suis occupé par l’écriture de deux romans dont l’un est très intime puisque le personnage principal est mon père. En ce qui me concerne, je n’ai aucune pression. L’écriture prend du temps et n’exige pas un rendement. Un peu comme quand vous plantez une graine, il faut de la patience et de l’amour pour qu’elle arrive à maturation.
Entre votre carrière professionnelle et vos activités littéraires, avez-vous encore du temps pour la lecture ? Si oui, quel type de lecteur êtes-vous ?
Je fais en sorte de planifier mon temps. Je trouve un équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale. Du reste, je suis également entraîneur de basket-ball ce qui m’apporte de la satisfaction. Côté lecture, je suis éclectique, cela va des livres de spiritualité aux livres spécialisés en informatique.
Si vous deviez choisir un livre à emporter dans un désert, lequel serait-il ?
Quel dilemme ! Mon cœur balance entre « Ville cruelle » de Mongo Beti et « Les misérables » de Victor Hugo
Vous avez exploré différents thèmes et genres littéraires dans vos ouvrages. Quelles sont généralement vos sources d’inspiration ?
L’Afrique est ma source d’inspiration première, même si je me sens citoyen du monde. Autrement, ce qui m’inspire c’est la vie quotidienne, les relations entre les êtres humains, la nature à laquelle j’accorde une grande importance.
Vous fréquentez régulièrement les salons littéraires pour rencontrer vos lecteurs. Quels sont vos prochains événements prévus ?
Le seul salon que j’ai fait c’est celui Genève en 2019. La crise sanitaire a empêché la tenue du salon en 2020 et en 2021. Pour l’instant aucun rendez-vous n’est pris.
Quelle est votre opinion sur les écrivains camerounais ? Pourriez-vous nous en citer quelques-uns qui vous fascinent et expliquer pourquoi ?
Ils sont talentueux chacun dans son domaine. Certains sont des écrivains multidimensionnels. Enoh Meyomesse, qui est une véritable bibliothèque. Eugène Ebodé par sa qualité d’écriture, Mongo Beti, pour son engagement en tant qu’écrivain Calixthe Beyala, pour son engagement en tant qu’écrivaine Zachée Betché, en philosophie et société Et bien d’autres…
Quelle importance accordez-vous aujourd’hui à l’écriture dans votre vie ?
L’écriture est comme une amie, elle m’accompagne depuis longtemps. Elle m’a permis de supporter les moments de solitude, des moments de souffrance. Aujourd’hui écrire est devenu un besoin. Je vous laisse le dernier mot pour conclure cette interview comme vous le souhaitez ! Je vous remercie du temps que vous avez bien voulu nous accorder et à la prochaine.