Photo Marie Christelle Ekobo
« Une seule personne peut changer le monde. » Rosa Parks
Empruntons les chemins de la mémoire. Laissons-nous guider par ces voix féminines, surgies des profondeurs du puits des siècles. Voix ancestrales qui ne demandent qu’à être réhabilitées. Afin qu’elles nous guident. Plongeons en amont des histoires en vue de re–trouver l’Histoire gravée dans la voix des femmes. De ces femmes qui se dressent fières sous le regard de l’Espace et du Temps.
Elles sont là. Toujours là. Promptes à répondre à l’appel. Il suffit pour ce faire de les évoquer. De les invoquer. Écoutons-les. Les Amazones de Dahomey. Elles disent que la mémoire ne les célèbre pas assez. Pour ne pas dire pas du tout. Pourtant, la mémoire africaine ne peut que s’enorgueillir de leurs hauts faits, de cet apport politique et social de premier plan qui est le leur, de ce legs inestimable et qui a marqué la période pré-coloniale africaine. Pourtant, et faut-il le rappeler, les femmes n’ont pas attendu la période de la décolonisation pour faire leurs preuves et construire de véritables institutions en vue d’organiser et d’améliorer la vie des peuples. En elles-mêmes, elles sont une institution et ce, bien avant l’émergence des états démocratiques.
Roulez tambours ! Accompagnez leurs pas tandis qu’elles avancent en une procession inouïe. Roulez tambours !
Comment a-t-on pu les occulter ?
Les ancrer dans une amnésie collective ?
Elles sont là. Elles avancent elles aussi. Les reines. Ces femmes qui durant longtemps ont exercé un véritable pouvoir politique. La Reine Tassi Hangbé qui a régné sur le Royaume de Dahomey (1708–1711), vient à nous. Celle-là même qui est à l’origine de la création de l’armée des guerrières (les Amazones de Dahomey) a également développé des programmes d’apprentissage de métiers –jusque-là réservés aux hommes– à destination des femmes. Dans son sillage, la silhouette de la Reine Njinga Mbandi (1581–1663), Reine du Ndongo et du Matamba (Angola) se détache. Elle aura marqué l’histoire du XVIIe siècle par ses qualités de diplomate, sa capacité à tisser de multiples alliances hautement stratégiques. Quant à sa maîtrise des enjeux commerciaux et religieux, nul ne peut les nier. C’est ce qui par ailleurs lui permettra de contrer bien des projets coloniaux portugais.
Elles sont toutes là, ces reines « oubliées » de l’Histoire. Qu’il me paraît essentiel de remettre à l’ordre du jour en vue de replacer la femme africaine à sa juste place. Une place essentielle. Celle des origines. Et de l’origine. L’Afrique, ce continent si vaste et si complexe, si pluriel, est femme. L’Afrique est féminine de par son genre. Féminine par son essence. Et voilà qu’elles sont toutes là. Les reines–mères, venues des contrées de l’Afrique de l’Ouest.
Les entendez-vous ? Elles viennent à nous.
Depuis le royaume de Bénin (sud du Nigeria actuel), c’est la Reine Idia dont les conseils politiques et les connaissances la placent au premier plan. Elles sont toutes là. Venues de chez les Akans (Ghana et Côte d’Ivoire), assumant leurs responsabilités par l’exercice d’un réel pouvoir politique. Elle aussi est là. La prophétesse Lalou, venue des contrées ivoiriennes (première moitié du XXe siècle) dont le rôle à la fois politique et social aura été décisif dans un pays soumis à la colonisation. Femmes, elles sont toutes là. Femmes, elles sont. Détentrices de pouvoirs tant politiques que mystiques ; allant jusqu’à construire de véritables réseaux de solidarité.
Qu’est-il resté de cet héritage, de cette transmission occultée de la mémoire des hommes ?
Des légendes oubliées ? Des mythes pour certains ? Pourtant, elles ne sont pas des mythes. Elles sont loin d’être des légendes. La place de la femme ainsi que le rôle qu’elle a pu jouer dans les institutions en Afrique ne relève d’aucune mythologie. La preuve, elles sont toutes là. Depuis la reine de Saba, se dessine à travers les siècles, une lignée de grandes souveraines et ce, grâce à un chamboulement politique et religieux qui prend sa source dans les empires matrilinéaires d’Afrique. La preuve, elles sont toutes là. Aujourd’hui plus que jamais. Femmes d’Afrique. Femmes de toute l’Afrique. Comme un rappel en puissance de ce qui se doit d’être continué. Une œuvre transmise depuis des millénaires et qui n’en finit pas de se modeler, de se remodeler en vue de mieux s’adapter aux changements politiques, climatiques, sociaux et aux enjeux économiques.
Qu’en est-il aujourd’hui de cette lignée ? Que reste-t-il de cette transmission ?
La décolonisation a permis aux femmes africaines de jouer un rôle plus ou moins important. Tandis que pendant longtemps elles n’ont été que des épouses, des maîtresses de maison, des mères, il leur a été progressivement possible de s’affranchir du domaine domestique et d’agir dans le domaine public. Dans l’Afrique contemporaine, elles sont actives aussi bien dans le domaine social qu’économique à l’instar des Nana Benz du Togo dans les années soixante et au-delà. Il a même été remarqué que dans certaines situations de crise (faillite de l’État, chômage, défaillance des services publics) c’est grâce à l’activisme des femmes que de nouvelles formes de citoyenneté ont pu voir le jour. Cependant, dans l’Afrique d’aujourd’hui, la place des femmes en politique demeure problématique voir même suspecte pour certains.
Certes, une femme a dirigé un état africain, le Libéria. Une exception à l’époque, qui de manière contradictoire ne fait que confirmer la suprématie masculine en politique. Les états africains restent pour la plupart soumis aux lois d’un patriarcat où règnent les pères, les ancêtres et les aînés. Il est vrai –et l’on ne peut que s’en réjouir– que le continent africain s’est engagé à promouvoir l’égalité des sexes ; que les pays africains ont presque tous ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ; que plus de la moitié des états ont ratifié le Protocole de l’Union Africaine sur les droits des femmes en Afrique.
Néanmoins, la question qui se pose est la suivante : et l’autre moitié ?
Certes, la déclaration de l’Union Africaine faisant de 2010-2020 la décennie de la femme africaine est une avancée majeure, signe d’un véritable engagement. Toutefois, il est légitime de s’interroger sur la représentation « accrue » des femmes en politique. Il est encore plus légitime de s’interroger quant à une redéfinition réelle de genres dans les institutions. Car elles sont toutes là. Ces femmes de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. Ces femmes qui mènent un combat, non pour gagner en supériorité face aux hommes, mais pour trouver leur place. Celle qui leur revient de droit. Si leur montée en puissance est en train de gagner en visibilité et en influence, elles savent que leur histoire est loin d’être facile à écrire. Elles n’ont pas oublié qu’elles ont été reléguées à un statut inférieur sous la colonisation.
Elles n’ont pas oublié que si l’amorce de la décolonisation a ravivé la lutte pour leurs droits civiques et politiques, tant les régimes coloniaux que les gouvernements indépendants ont occulté –parfois avec acharnement– leur cause. Mais elles sont là. Après avoir été massivement contraintes au silence durant une bonne partie de l’histoire politique africaine. Une histoire politique focalisée sur les « Pères » de la nation, sur le modèle européen. Elles sont là. Quand bien même elles n’ont que trop conscience que l’ouverture politique aux femmes ne s’est faite que tardivement avec l’exemple de Charity Ngilu au Kenya (7,99 % des voix à l’élection présidentielle de 1997), l’une des premières femmes avoir été élue gouverneure en 2017. Ouverture tardive et minoritaire en dépit de l’élection d’Ellen Johnson Sirleaf, première femme présidente du Libéria.
Élection d’ailleurs remportée par une femme grâce au slogan devenu célèbre « vote for a woman ». Elles sont là. Femmes de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. Dont l’ascension politique en Afrique subsaharienne est à la fois récente et incertaine. D’autant plus incertaine si l’on songe qu’à un régime patriarcal s’ajoutent également des gouvernances à tendance autoritaire. Certains chiffres sont plus éloquents que nombre de discours. Lors des élections de 2017 au Kenya, sur 2077 candidates aux législatives, 23 femmes ont été élues. Quant au Sénat, sur 17 candidates, l’on compte 06 femmes à avoir obtenu des sièges sur une totalité de 400 sièges.
Si la politique des quotas est à considérer comme une volonté de mettre fin à des inégalités historiques, culturelles et structurelles, elle ne suffit pas à modifier en profondeur le jeu quelque peu machiste de pratiques qui restent soumises à des politiques traditionnelles, sans oublier la réelle fragilité des institutions. Par ailleurs, en Afrique subsaharienne, il est vrai que les femmes d’aujourd’hui jouent un rôle actif dans le secteur des produits agricoles.
Ce qui constitue une valeur ajoutée conséquente. Elles sont également des championnes dans le monde de l’entreprenariat même si l’obtention de financements relève souvent du parcours du combattant, ainsi que le manque criant de formations adaptées et ce, en dépit de certaines initiatives telles que celles menées par l’AFAWA (Affirmative Finance Action for Women in Africa). Néanmoins, continent de tous les paradoxes, l’Afrique est une Terre où le taux de pauvreté demeure très élevé et les femmes qui travaillent le font souvent dans des conditions qui sont précaires. Souvent très mal rémunérées, leurs possibilités d’évolution professionnelle sont également limitées.
De plus, s’il est vrai que l’on assiste de plus en plus à des élections démocratiques avec un nombre considérable de femmes se déclarant candidates, qui réussissent parfois, l’on ne peut se voiler la face. Sans de véritables politiques œuvrant à lutter contre les violences faites aux filles et aux femmes ; en l’absence de véritables politiques tendant à améliorer les conditions de vie des femmes dans les zones de conflit ou d’après-conflit ; sans la mise en place de véritables politiques de lutte contre la discrimination faite aux femmes en passant par une réelle ouverture à la formation professionnelle, les choses ne changeront pas en Afrique.
Or, elles peuvent changer. Elles doivent changer. Et pour ce faire, elles ont besoin des femmes.
La reconstruction des économies et des institutions africaines ne saura aboutir qu’avec les femmes. La reconstruction politique africaine ne pourra se faire qu’avec les femmes. Les démocraties africaines sont aujourd’hui en quête d’elles-mêmes. Pour cela, attribuer un rôle réel aux femmes est plus que jamais une nécessité. Les femmes dirigent l’Afrique et elles devraient diriger l’Afrique. Tels ont été les propos du DR Akinwumi A. Adesina lors du Forum Génération Égalité (Paris, juin 2020).
Elles devraient diriger l’Afrique… Elles sont là. Elles œuvrent afin que le conditionnel hypothétique, souhaitable, devienne un présent. Actuel. Un présent pour mieux envisager le futur. Pour mieux redessiner le visage de l’Afrique de demain.