Maryse Condé, née Marise Liliane Appoline Boucolon le 11 février 1934 à Pointe-à-Pitre est morte le 2 avril 2024 à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Jusqu’à la fin de son adolescence, Maryse Condé disait ne pas réaliser qu’elle était noire. Elle n’avait jamais entendu parler de l’esclavage ni de l’Afrique. Elle fera face à la discrimination à son arrivée en France métropolitaine. Sa découverte des écrits d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon façonneront son militantisme antiraciste. « Je comprends que je ne suis ni Française, ni Européenne. Que j’appartiens à un autre monde et qu’il me faut apprendre à déchirer les mensonges et à découvrir la vérité de ma société et de moi-même », se remémore-t-elle dans un documentaire, « Une voix singulière », qui lui est consacré en 2011.
Une grande voix de la littérature francophone
Son œuvre s’étend des ravages de l’esclavage aux fantômes du colonialisme. Elle est portée par une longue série d’images, de sensations et de beautés inouïes. Son originalité se trouve dans le sens qu’elle n’écrivait ni du français ni du créole mais du « Maryse Condé » comme elle aimait à le préciser. De sa volonté de « réhabiliter l’image bafouée des Noirs » et de retrouver ses origines, naissent « Moi, Tituba, sorcière noire de Salem » (1986), « La vie scélérate » (1987), « la migration des cœurs » (1995), « En attendant la montée des eaux » (2010) qui sont des chefs d’œuvre indiscutables d’une écrivaine prolixe.
Une véritable artiste
Son écriture singulière en témoigne. Elle fait attention à la manière dont elle veut dire les choses, à l’agencement des mots. Bref, dans son travail d’écrivain, elle utilise le matériau que la langue lui fournit. S’en suit « Ségou » (1984-1985), un best-seller sur l’empire bambara au XIXe siècle au Mali, une œuvre conséquente qui lui offre un succès international. Ségou est une épopée africaine en deux volumes (Ségou – Les Murailles de terre puis Ségou – La Terre en miettes) sur la chute de l’empire Bambara. Ce roman aborde les thèmes de l’esclavage, de la propagation et du développement de l’Islam, des traditions du peuple polythéiste et animiste, telles que le culte des ancêtres ou les sacrifices rituels. « C’est l’histoire de la famille Traoré à travers laquelle on raconte l’histoire du royaume. Et le royaume lui-même est le symbole du mot Noir. C’est une histoire de déclin, une histoire de deuil, une histoire assez tragique » dixit Maryse Condé. Par ailleurs, Maryse a plusieurs cordes à son arc. Elle est journaliste, professeure de littérature et écrivaine, se réclamant de l’indépendantisme guadeloupéen. En 1985 elle deviendra professeure émérite dans plusieurs universités américaines.
L’Afrique devient la destination dans la quête de ses origines
En 1959, elle décide de partir vivre en Afrique, à travers ses mémoires, « La vie sans fards » ; elle convient de la difficulté de devenir africaine évoquant ainsi le fossé entre les africains et les antillais. En 1976, elle publie son premier roman, Heremakhonon qui illustre une rencontre impossible entre l’Afrique impénétrable, close sur elle-même et une Antillaise cherchant un double passé. Maryse Condé balaie le folklore africain et nous conduit dans un monde ésotérique où conflits, intrigues politiques et révolution n’ont pour l’étranger aucune réalité. « Quel sens ma présence ici ? Le soleil est immobile. Quel sens ? Je suis venue chercher une terre non plus peuplée de nègres mais de Noirs. C’est-à-dire que je suis à la recherche de ce qui peut rester du passé. Le présent ne m’intéresse pas. Mon entreprise est absurde. ». Meurtrie d’être restée « l’étrangère » malgré sa peau noire, elle commence à comprendre Frantz Fanon, un des fondateurs du Tiers-mondisme, et sa thèse sur le mythe de la négritude.
Une intellectuelle engagée.
Après la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité en 2001, elle préside en France le comité pour la mémoire de l’esclavage. En 2006, elle verra son engagement récompensé : le 10 mai est devenu journée nationale de commémoration de l’esclavage. Maryse Condé a toujours cherché à mettre en lumière les questions cruciales de son temps, notamment le racisme, l’esclavage et le colonialisme. Son œuvre puissante a fait écho bien au-delà des frontières de son île natale, résonnant à travers les Antilles, l’Afrique et au-delà.
Prix Nobel « Alternatif »
Maryse Condé a été lauréate, entre autres, du prix de l’Académie française pour La Vie scélérate en 1988, du prix Marguerite Yourcenar pour Le Cœur à rire et à pleurer en 1999, et du prix Tropiques de l’Agence française de développement (AFD) en 2007. Souvent pressentie pour le prix Nobel de littérature, elle recevra plutôt le Prix Nobel « Alternatif » en 2018. Grand-Croix de l’Ordre National du mérite en 2020, cela lui vaut le droit à un hommage aux Invalides. La disparition de cette romancière marque la fin d’une époque littéraire. Elle restera dans les mémoires comme une figure majeure de la littérature francophone, ayant enrichi le monde des lettres par sa sensibilité, son engagement et son talent incontestable.