On gagne constamment à reparler de l’Homme Noir. Longtemps, je l’ai étudié pour comprendre sa place dans le monde. Chacun de nous le sait, à l’aube de la vie, alors qu’il souhaitait la partager avec les autres, a été fait captif et mis en esclavage. Pendant 500 ans. Sa tâche sera allégée, pour qu’il devienne un colonisé, avant d’être livré à lui-même pour ne plus jamais être maître de son corps. C’est pendant toutes ces périodes qu’il a apprises les mauvais tours, alors qu’il est né bon. Debout, pétri de tellement de défauts comme on le dit, il avance durement et illumine sa vie dans la candeur. Autrefois, on disait qu’il ne savait qu’une chose : allumer du feu. C’était comme un manque, pourtant allumer du feu est envoûtant, parce que c’est une chaleur naturelle provoquée par l’action humaine.
L’Homme Noir fait des grimaces qui amusent le monde comme s’il participait à une scène de théâtre. On en rit, mais c’est avec ces grimaces, qu’à travers le monde, on y tire l’essentiel pour le construire. C’est dire que chaque geste de l’Homme Noir compte. Il peut taper du poing sur la table, mais ce n’est pas son ressort, il ne le fera pas. Il est venu sur terre pour aimer et créer. Il ne sait qu’aimer ; il le fait dans la démesure, avec clameur et douceur. Le travail est sa flamme intérieure. Il travaille depuis son premier jour sur terre. En tout temps, il a aimé tâter le champ des impossibilités, en essayant, de s’ouvrir aux autres, au mieux d’eux-mêmes. Sa vie roule au rythme de son cœur. Son cœur est aussi vaste que le monde. Un cœur plein de magnificence bienveillant pour creuser le bien. Il poursuit cette vie avec le code génétique qui est le sien.
Il gravit les collines, les montagnes, les glaces et les chaleurs. Victoire ou pas victoire, il ne renonce jamais à sa marche. Quand il pleut, il ne s’abrite pas. Quand il sera épuisé, un autre prend la relève, joue sa partition et continue la marche infinie. L’homme Noir a l’espace, il a le temps, certainement le temps le plus favorable. Il se plaint rarement. Il a vu les Indiens disparaître l’un après l’autre. Avec son cœur lourd qui avance, déterminé dans toute sa bonté naturelle, même s’il est mauvais, il n’oublie jamais tel qu’on le connaît dans sa bonté naturelle. C’est cette bonté qu’il affiche dès les premiers contacts avec l’Autre. Il n’a pas d’instinct sécuritaire, ne se méfie pas au premier regard, toujours affable et prêt à accueillir son semblable. C’est un être qui marche dans les tourments. Il connaîtra de nouveau des tourments.
Il porte ce tourment sur le dos. Il comprend et il est programmé pour comprendre. Il n’a ni haine ni ressentiment tout au long de sa vie. C’est un homme de partage, un homme généreux. A chaque fois que la crise perpétuelle le frappe, il jongle, c’est un acrobate. C’est indéniable, il ne recherche pas la perfection, parce qu’il se suffit à lui-même, il est potentiellement bon. Difficile au premier abord d’y adhérer. Il possède des potentialités pour les deux. Mais la potentialité à la bonté et à l’empathie est plus importante que ce que chacun de nous peut souhaiter penser. Il ne s’est jamais présenté comme un ennemi ou comme un rival qui ne voit chez son semblable qu’un concurrent dans la lutte pour la vie. Alors que l’autre semble être initialement perçu comme celui qui limite la puissance de ses semblables.
Des forces extérieures l’ont toujours divisé à cause de son origine, de son état de nature, de sa nature profonde. Dans la marche, il est bousculé par d’autres corps, au milieu même de cet état de nature qui finalement ne lui est plus favorable. Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est le fait que, la nature de l’Homme Noir ne se conçoit pas comme une essence qui définirait l’homme de manière générique, mais en termes de son essence dans son existence. Chaque attitude qu’il pose à chaque première rencontre qui vient à lui est le premier geste de Dieu dans la nature. Et l’effet de son geste est la première puissance par laquelle Dieu se manifeste dans sa magnificence. Il y a donc ainsi une diversité de manières. L’Homme Noir à l’état de nature est un dieu jailli. Il perd sa puissance dès qu’il fait de l’autre son confident.
C’est pourquoi, il tombe aisément dans la servitude volontaire. Il s’y complaît, pour lui, c’est une forme de bonté. A cause de cette bonté, il a voyagé dans tous les continents pour construire le monde, parce qu’il est un être relationnel. Partout où il se trouve, il tente d’exister et à développer des liens dans un réseau l’unissant à l’environnement tout entier. C’est invariablement cette bonté originelle qui l’y conduit. C’est l’Être le plus écologique de la nature. Sa souffrance s’accroît, mais il est là, les forces le quittent, il résiste, s’il le faut-il mangera de l’herbe vénéneuse pour résister, puis il continuera son chemin. Dans la réalité, il n’entend dépendre de personne, pour lui les autres ne sont pas des soutiens, auxquels il peut recourir. Il n’est pas entré à tout hasard dans les choses humaines, ceux qui ne le connaissent pas, sont loin d’imaginer ce qu’il porte en lui. La ferveur.
La joie de vivre. Oui, l’homme Noir aime la vie. Il n’a pas commencé avec les sciences morales et politiques. Mais il n’est pas un profane. Il n’a pas l’avantage du nom qu’il porte, pourtant, c’est là où réside son allégresse. Il est inutile de reprendre ici, les enseignements de l’histoire, il est lui-même l’histoire. Il ne sortira pas du labyrinthe ténébreux parce qu’il porte le monde en lui, avec fierté et conviction. A chaque fois qu’il est enfoncé dans la boue et les marécages crasseux, il s’en tire et avec cette crotte, il marche à travers le monde au milieu des autres, puant, mais décidé, idyllique mais sobre, sur la barque écorchée à partir de laquelle, il regarde la beauté du monde et s’abreuve de ses eaux. Il n’a pas eu de contact agréable et sa vie a été douloureuse, la douleur est présente, elle n’est jamais loin pour lui. Il est un tissu déchiré par la vie. Mais il est là.
Dans cette avancée, il explore son génie en même qu’il découvre ses faiblesses. Les éminents hommes naïfs qui ont tenu à le salir, l’ont payé cher sur le chemin de leur destin. Les premiers êtres qu’il a rencontrés ont été les premières victimes de cette chaleur humaine. La chaleur comme énergie qui booste la vie. Ceux qui l’ont insulté, étaient probablement des aliénés. L’Homme Noir est irréprochable, son endurance alimente le monde. Il porte en lui la totale attractivité et les forces de l’univers qui définissent le monde. Cet univers infini qu’il arpente enregistre tout et n’oublie rien, bien qu’il ne pense pas, ne raisonne pas, n’analyse pas, ne mesure pas, c’est un univers conscient de son inconscience à partir de ce qu’il vit. Sa vie, l’Homme Noir l’a donnée avec générosité, partout où il se trouvait.
Il est rare l’amitié entre vivants, on ne vient à l’autre que pour l’utiliser, le déchirer, ou encore le suivre dans la médisance. L’Homme Noir travaille, il a privilégié ce domaine au dépens de tout. Sa vie a autre chose que ce qu’on voit. Il vit dans un monde actuel où il n’a pas la chance d’être glorifié. Pourtant, c’est son souffle qui fait fleurir et germer les plantes. Son parcours est édifiant, cela a fait comprendre aux autres, la fragilité de la vie. Aussi, il reste égal à lui-même lorsqu’il perd ses moyens. Une bonne partie de son corps a été assassinée puis piétinée. Il est quand même resté dans la jubilation. Et c’est chez lui qu’on viendra encore chercher les restes parce qu’il est le premier, et qu’il restera le dernier.