Depuis quelque temps, un nouveau phénomène s’empare du paysage médiatique camerounais : celui des pranks, ces farces mises en scène pour piéger un public qui, souvent, n’en demandait pas tant. Ce n’est pas sans rappeler l’enthousiasme avec lequel, il y a quelques années, le cinéma avait fait son entrée dans le pays. Mais là où certains talents ont su émerger dans le septième art, ce nouveau genre reste, dans bien des cas, plongé dans une profonde maladresse, comme une imitation précipitée des succès ivoiriens, nigérians ou sud-africains. Cette fois-ci, hélas, bien des productions peinent à convaincre ; la médiocrité de certains pranks rend même leur visionnement inconfortable, tant ils flirtent avec le voyeurisme ou s’enlisent dans une représentation stérile de la société. Loin d’être une simple plaisanterie de bon goût, le prank devient souvent une excuse pour s’inviter dans les espaces privés sous prétexte de comédie, souvent sans réel souci pour les réactions suscitées.
Le français malmené, le ton parfois abrupt, et le manque de décence transforment cette improvisation en spectacle grossier. Les acteurs, amateurs pour la plupart, s’arrogent une place dans des lieux de convivialité, là où ils trouvent de quoi se nourrir, d’une manière souvent inconvenante. Certains n’hésitent pas à plonger une main malpropre dans les plats d’autrui ou à s’approprier une bouteille de bière qui ne leur appartient pas, laissant le propriétaire face à un embarras insurmontable. Peut-on réellement appeler cela un prank ? Pourtant, le prank pourrait devenir un art en soi, une forme d’expression sociale qui mêlerait humour et réflexion. Ce qui manque ici, c’est la finesse, la créativité et l’authenticité. Nombre de ces acteurs paraissent eux-mêmes hésiter entre la farce et éducation, incertains du message qu’ils souhaitent faire passer.
Seul un nom semble sortir du lot : M. Bemzo. Ce jeune comédien talentueux parvient, à sa manière, à transformer le prank en outil de satire sociale. Avec une ironie bien dosée, il met en lumière des problématiques de notre société, abordant des thèmes tels que le chômage, les petits métiers, ou encore la débrouillardise des jeunes diplômés en quête d’opportunités. Par son jeu, il parvient à renverser les préjugés, comme lorsqu’il fait entendre que les mécaniciens, loin d’avoir « raté leur vie », participent à la vie économique et sociale du pays. M. Bemzo va même jusqu’à tester les limites de la société, il explore des situations où l’amour filial et les valeurs traditionnelles sont en jeu ; par sa façon de faire, il soulève ainsi un miroir où le public peut se reconnaître. Sa manière d’aborder des sujets sensibles, comme l’éducation des enfants ou le respect dû aux mères, démontre qu’il est possible de conjuguer humour et morale. Cependant, ces pranks mettent aussi en lumière certaines faiblesses dans nos mœurs.
Ils révèlent, parfois de manière brutale, à quel point certains de nos compatriotes sont faibles devant l’argent. Combien de personnes ont été tentées de s’emparer de liasses tombées par terre ou de sacs soi-disant remplis de billets ? D’autres pranks, plus classiques, dévoilent les infidélités dans les couples, soulignant la banalisation d’une culture de l’infidélité, même parmi les plus jeunes. Malgré tout, une particularité positive émerge de ces scénarios : la retenue et la non-violence de la plupart des Camerounais, qui préfèrent souvent rire d’une situation imprévue que de répondre par l’agressivité.
Ce calme face à la provocation est un témoignage de notre culture de tolérance. Espérons qu’avec le temps, de vrais professionnels viendront enrichir cet art avec une esthétique plus aboutie et des scénarios plus engageants, nous éloignant de ces scènes parfois crues pour nous rapprocher d’une vision du prank plus artistique et plus raffinée. Que le prank camerounais devienne enfin une fenêtre sur notre société, un miroir qui reflète autant nos défauts que nos qualités avec intelligence et sensibilité. Nous attendons aussi des vrais comédiens sur ce terrain pour nous proposer des scènes qui nous éloignent des spectacles bouffis et faisandés.
