Mag-Afriksurseine-Mars-2024

ITALIE : SOUVENIRS DE VOYAGE D’UN ECRIVAIN A ROME

L’année dernière, j’avais publié cet article, et récemment, je l’ai retrouvé sur le site de l’ambassade du Cameroun auprès du Saint-Siège. En le redécouvrant, une vive émotion m’a envahi, alors  que l’article contenait  de nombreuses coquilles que j’ai pris soin de  corriger ici.  Voici le lien ancien  « Rome : Souvenir d’un écrivain – Ambassade Du Cameroun Près Le Saint Siège | Cameroon Embassy To The Holy See (ambacamvat.com) ».   Je  tiens à exprimer ma profonde gratitude à l’ambassade du Cameroun auprès du Saint-Siège pour leur clairvoyance et leur appréciation des actes  purement littéraires.

 

À Rome, on peut rester autant de temps qu’on veut. Je l’aime et je n’ai pas la capacité de dire du mal d’elle, comme on ne dit pas du mal d’un village qui nous a vus grandir. Je vis sans l’oublier, et sans la quitter des yeux. Je l’ai aimée d’un amour profond, comme on aime sa mère qui nous voit partir. J’y étais l’an dernier. C’est une ville ancestrale, âgée de cinq mille ans. Elle est d’une exubérance variée, mais ce serait trop long de tout décrire, je laisse chacun imaginer. L’an passé, en y retournant, je souhaitais voir ce qu’elle était devenue après cette pandémie qui l’avait singulièrement touchée, et par-delà ses lieux saints où les fidèles aux yeux narquois venaient baiser les tombeaux des saints ornés d’or ou de marbre antique, tout en regardant le Tibre couler.

Le Tibre, ce fleuve de boue hérissé de petits ports de pêche aux abords multicolores, reste de nos jours encore entouré de mystère. Seuls les Romains savent le décrire. Rome, irrévocablement, est là, toujours debout, avec ses hommes au teint de brique qui défilent dans les ruelles étroites chauffées comme si l’on avait éparpillé des charbons ardents. Tout est resté intact comme au IIIe siècle, avec ses monuments dressés dont on ne sait nullement quand ils vieilliront. J’ai rempli ma pensée de cette foi qui m’a forgé. Rome a dominé la Covid-19, elle n’a, en aucun cas, perdu son prestige. Les saints l’ont domptée. Les aventuriers sont revenus, mais je n’ai reconnu aucun visage, même pas les mœurs, qui autrefois donnaient à Rome sa béatitude et faisaient avancer les hommes vers un aimable nouveau monde, qui fascinait par son esprit de grandeur.

J’y ai passé mon séjour dans un état d’allégresse grâce à des amis qui ont émergé de façon remarquable. Lorsqu’on arrive à Rome, une seule idée nous hante : visiter le Colisée et Saint-Pierre. Cent fois, j’ai visité ces amas de pierres rassemblées autour d’une bâtisse, pas comme les autres, ni ordinaire ni extraordinaire, il faut chercher d’autres noms qui n’ont peut-être pas de mots dans l’essence humaine, où les gens observent à longueur de journée sous le regard des policiers raisonnablement généreux. Même si je reconnais qu’avec le Colisée, c’est la part belle d’un peuple qui a vécu et qui a travaillé pour laisser des traces, je peux dire avec émotion qu’il est le succès visible des labeurs des personnes qui, nuit et jour, ont œuvré pour édifier le monument dans les cœurs des hommes.

Des cœurs qui font jaillir encore le sang du Christ et qui alimentent l’esprit dans la ville pour une durée éternelle. Il y a une volonté de transmettre un message poétiquement silencieux. Après le Colisée, je suis allé à Saint-Pierre. Ici, il faut dire : « je m’émerveille devant ce passé qui repasse au grenier du cœur. » Dans cette œuvre qui résume la philosophie du fils de l’homme, on doit parler en tremblant, ou alors à genoux, pour dire merci à l’homme et à Dieu d’avoir laissé faire une œuvre aussi complexe. Nous ne sommes pas devant l’arche de Noé, mais face à une idée qui s’est réalisée. On vit une transfiguration d’une idée en pierre par la force de l’homme pensant. Une pensée profonde du souvenir d’un esprit qui se transforme en parole concrète. Une pierre construite sur Pierre. Il y a un esprit dominant dont le seul motif est, non seulement comme disait Lamartine, la grandeur, mais aussi la profondeur en même temps que la hauteur. Tout cela donne la splendeur de la vie pour rester dans l’épaisseur.

La grandeur… Oui, la grandeur, c’est le seul mot qu’on puisse dire lorsqu’on visite Saint-Pierre. Tout est gigantesque jusqu’au silence. Les murs rébarbatifs s’imposent à la vue et paraissent s’étendre à chaque regard immense qui frôle l’irréel. L’église Saint-Pierre réunit à elle seule toute la complexité et la vocation même d’un destin qui dépasse tout entendement. Majestueuse, solennelle et sculpturale. La première chose qu’on se demande, c’est en quel siècle elle a été édifiée et par qui. On peut imaginer la douleur de ceux qui y ont travaillé sans outils modernes, au Ve siècle. Quel architecte contemporain pourrait élever une telle maison ? Je n’y crois pas. Cette maison construite de nuit, m’a-t-on dit, ressemble à Dieu lui-même transformé en Pierre. Pierre, Pierre, Pierre. Pierre ne répond que par son silence et sa maison.

Il vous montre son tombeau tenu par quatre gigantesques piliers. On ressent sa présence invisible qui vous parle dans le cœur. À chacun de croire ou de ne pas croire. Mais au sortir de cette maison, ta pensée s’élève spontanément jusqu’au ciel. Pour une maison construite comme le corps humain, elle est en même temps rationnelle, irrationnelle, spirituelle et absurde. Concrète et abstraite dans toutes les confusions de sa composition. Le mur possède des vêtements antiques dont il s’est royalement paré. Toucher cet endroit, c’est toucher un point sensible de l’histoire de l’idée de l’homme et de la vie. Surtout à cause de sa visibilité et de son invisibilité. Qui peut donner aux hommes d’aujourd’hui une telle inspiration ? Pour ma part, sans avoir été à d’autres temples, je conclus que c’est la plus parfaite maison de Dieu construite en ce monde.

Il ne s’agit pas seulement de glorifier la splendeur, mais l’antiquité et la pensée qui l’ont élevée et maintenue jusqu’à ce jour. Une fois à l’intérieur, elle ne captive plus, elle enivre. L’éblouissement est total, l’humeur charitable s’installe et on s’y perd. Est-ce un monument ? Une sculpture ? L’attention s’éveille et on désire connaître le moindre détail, dans tous les regards, c’est le même aveuglement. Qu’on soit Chinois, Indien ou Pakistanais, c’est le même effet. Elle peut laisser percer une pointe d’orgueil sous sa prépondérance dans le monde, si elle le veut. Il est nécessaire d’honorer les ouvriers gothiques, c’est grâce à eux qu’on a cette maison, il faut rendre hommage à ces esclaves qui sont morts dans les décombres des écroulements. Leur souffle remplit cette maison. Une seule minute en son sein alimente le corps des prières qui sont dites à chaque seconde quelque part dans le monde. Cette maison est un panthéon, je la respecte pour ce qu’elle est et j’admire ceux qui l’ont bâtie. Seule l’histoire reconnaîtra les siens.

Pour l’écriture, elle fait pour ouvrir les portes, on est fier d’avoir vu les choses sur le plan concret. N’importe quel chemin aurait mené l’homme à Rome. Au sein d’un peuple épuisé dont la foi, peu à peu, tarit, Rome offre le visage d’un rajeunissement de confiance en sa destinée. Chaque poteau compte et décrit une histoire. La présence bruyante du monde de ces hordes de chrétiens gouailleurs crottés et habillés, qui avancent majestueusement, on aurait dit des pèlerins à la recherche d’un chapelet perdu. La crinière au vent, l’homme avance dans une voie, sur les traces du sang du Christ qui coule chaque jour sur le chemin éternel, une immense ligne, adossée à la rade pour couronner aussi avec le regard la longue marche qu’il vient d’effectuer. À côté de cette rivière qui coule sans flots, ils sont présents, les oies sauvages dressées sur les poteaux des saints et qui picorent depuis des heures dans un survol sans arrêt, contentes d’être dans une maison ancienne amirauté empreinte de douceur cruelle.

Dans leur regard malicieux, ces lointains pêcheurs au teint de brique ont le corps recouvert des étincelles qui appartiennent irrévocablement au monde de la terre. Saint-Pierre est une maison à nulle autre identique sous le ciel, et nul homme ne peut fouler son sol ou humer son air sans devenir meilleur ou pire. L’entrée, à laquelle on accède à dos d’âne, surplombe le lit d’un torrent qui se jette successivement dans ces petits fleuves verts où, dit-on, Saint-Pierre fut tranché par la tête pour s’offrir à son tour. Elle s’ouvre tous les 25 ans, et il est dit que le pape qui l’ouvre pendant son sacerdoce sera béatifié. Ce fut le cas du pape Jean-Paul II. Me voici à la fin du séjour, devant la sentinelle d’un monde aboli, de la vétuste maison ronde qui vieillit sous le poids du monde, le ciel est clair et mon âme est pure. La prière oubliée revient en filant comme dans cette île sainte, dont le berceau de la chrétienté occidentale renaît et, pour chanter en fin de soirée, il y aura beaucoup d’appelés, peu d’élus.

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