Par Michel Lobé Etamé
Rigueur et moralisation sont les mots clé qui ont marqué le discours inaugural de Paul Biya lors de sa prise de fonction de président de la République du Cameroun le 6 novembre 1982. Dans la foulée, nous avons aussi retenu une autre phrase qui a été longuement saluée ce jour-là : « La grande et longue œuvre de construction nationale est une œuvre de tous et pour tous ». La messe était dite. Le Cameroun vivait sous les griffes d’un régime « fort » où la moindre discordance n’était tolérée. Sous Ahidjo, son prédécesseur, le pays sortait d’une longue et brutale guerre de l’indépendance et le peuple n’avait toujours pas pansé ses plaies.
La peur et la violence des forces de l’ordre avait créé un climat de suspicion, de terreur et de peur. Le jeune président incarnait un nouveau modèle de gouvernance. Il martelait, au cours de ses discours tant attendus la rigueur et la moralisation pour répondre aux attentes d’une population qui aspirait à la liberté et au multipartisme. Paul Biya héritait d’une économie saine et d’un climat social apaisé. Mais avec la crise sociale en 1985, sanctionnée par la dévaluation du franc CFA en 1994, le gouvernement était obligé d’entreprendre des mesures de relance économique et d’ajustement structurel.
Premiers couacs dans le régime
Quatre ans plus tard, son éminent conseiller et idéologue du parti RDPC, François Sengat Kuo élabora en 1988 des propositions pour rendre applicables les idéaux du renouveau national contenus dans l’ouvrage « Pour un libéralisme communautaire ». Il y prônait des solutions pour le développement du Cameroun et pour son émergence. Mais Paul Biya ne donna aucune suite à ses propositions qui dénonçaient la corruption, le manque de rigueur et de moralisation si chères à Paul Biya. Le ver était entré dans le fruit. Le régime sombra progressivement dans le népotisme, la corruption et rien ne pouvait freiner cette chienlit qui s’installa durablement.
Les entreprises d’état déposèrent leurs bilans. Le chômage frappa les jeunes cadres ambitieux et compétents. La classe moyenne, sacrifiée sur l’autel gonfla la cohorte des chômeurs dans un système qui ne disposait d’aucune mesure sociale pour l’indemniser les demandeurs d’emploi. Ce drame social précipita la pauvreté et la fin de la consommation qui devrait relancer l’économie. Toutes les structures administratives, économiques et sociales battaient de l’aile et aucune solution viable n’était envisagée. Le Cameroun plongea dans la violence urbaine, la pauvreté, la débrouillardise et surtout la corruption à toutes les strates de l’administration.
Le climat s’assombrit et malgré ces échecs répétés, le RDPC était à court d’idées pour sortir le pays de sa pesante et longue nuit. Le pouvoir RDPC n’a pas su se renouveler. Il a été incapable de se réinventer avec des mesures pérennes pour créer de la richesse et relancer l’emploi. Aujourd’hui, la jeunesse désespère. Elle n’a d’autres solution que d’émigrer. Or, nous le savons tous, ce choix est très préjudiciable à un jeune pays qui a besoin de ses forces vives. La qualité de l’enseignement a pris un coup. Les enseignants sont mal payés et l’enseignement se dégrade. Le pays ne fait plus rêver les plus récalcitrants, les plus ambitieux. Ils voient leurs rêves s’envoler. Le pouvoir politique et économique est pris en otage par une clique de gérontologues qui continuent à étouffer les dernières lueurs qui éclairent encore des matins brumeux et humides.
Il faudrait une nouvelle dynamique de femmes et d’hommes inspirés, avec une dose de démocratie, pour sortir de cet état de désorganisation, de démoralisation et de désespoir. Le Cameroun mérite mieux. Une large et profonde fracture sociale sépare les nantis du pouvoir et les exclus. Elle est à l’origine des violences urbaines, de l’insécurité, du désespoir, des maladies, de la précarité alimentaire, du chômage et surtout du discrédit du pouvoir politique frappé de cécité. La résignation reste un lourd fardeau pour une population livrée à elle-même. Elle subit quotidiennement ses contrecoups qui se traduisent par une fragilité physique qui affecte la santé mentale. Dans ce contexte, les échéances électorales de 2025 permettraient-elles d’espérer un changement de cap pour un pays qui faisait rêver ses enfants au lendemain de l’indépendance ?