propos recueillis par BALTAZAR ATANGANA
Entretien avec Fabrice NGUENA, auteur de AfroQueer – 25 voix engagées ( 2024). Né en Suisse de parents camerounais, il vit au Canada (Montréal) depuis 2007. Il est militant des droits humains, des droits des personnes LGBTQI+(Queer) et en particulier AfroQueer. Il a été membre de plusieurs organismes LGBTQI+ et actuellement, il est gouverneur de la Fondation Émergence à Montréal.
AfroQueer – 25 voix engagées : la genèse
D’abord, il est important de noter que mon livre ‘’AfroQueer – 25 voix engagées’’, est un recueil de portraits de personnes Afro-descendantes et LGBTQI+ (AfroQueer) vivant dans plusieurs espaces géographiques francophones. (Québec au Canada, Antilles, en Afrique subsaharienne, France, et Belgique). C’est donc en février 2021, pendant le mois de l’histoire des personnes Noires en Amérique du Nord, que j’ai commencé l’écriture de ce livre. Ceci suite aux informations épouvantables, aux images et vidéos de violence insupportable que je recevais constamment, (lynchages publiques dans la rue, emprisonnement de 2 femmes trans au Cameroun, meurtres d’hommes homosexuels en Afrique ou dans les Caraibes, etc.). J’ai donc décidé de mettre sur papier un projet qui me trottait dans la tête depuis un certain temps.
Un traité pour déconstruire les stéréotypes construits autours des « homosexuels noirs » dans les « communautés noirs »( africaines) et dans les « communautés blanches » dans lesquels ils vivent ?
Il est important de comprendre que les personnes Afroqueer (Noires et LGBTQI+) vivant dans les sociétés à population majoritairement blanche subissent une double discrimination ; à savoir l’homophobie – transphobie d’une part et le racisme d’autre part, ce qui entraine pour elles une invisibilité et une marginalité dans ces sociétés. Et dans les territoires des « Suds » comme les Antilles et l’Afrique subsaharienne, plusieurs pays ont récemment durci les lois déjà homophobes et sans oublier l’Ouganda qui a même rajouté la peine de mort. Le but de mon livre est donc fondamentalement de déconstruire les préjugés qui entrainent les agressions, les violences qui vont parfois jusqu’au meurtre.
Vous écrivez : «Il est impératif que nous fassions ce que les générations précédentes n’ont pas pu faire, certainement parce qu’elles étaient trop occupées à essayer de survivre ; nous devons écrire nous-mêmes nos vécus, nos luttes et nos victoires, sans attendre que d’autres le fassent à notre place». Que lire au travers de ce livre : lobbying, quête d’identité et/ou d’affirmation ?
L’un des objectifs de mon livre ‘’Afroqueer – 25 voix engagées’’ est d’archiver les vécus, les récits, les combats, les actes de résistance et de résilience des personnes Afroqueer, afin que la réalité et ce que vivent ces personnes soit connu, afin encourager une prise de conscience, une solidarité et l’implication de la société toute entière pour l’établissement d’une société inclusive, qui prône le respect de la dignité humaine pour tous. Un proverbe africain dit avec beaucoup de justesse que ‘’Aussi longtemps que les lions n’auront pas leurs historiens, les récits de chasse, seront toujours à la gloire des chausseurs’’. Tout ceci pour dire que les personnes Afroqueer, comme toutes les communautés qui subissent des discriminations ou l’oppression, doivent impérativement écrire elles-mêmes leur vécu, leur histoire, leurs luttes, afin qu’ils soient lus et aident à déconstruire les préjugés.
Aussi aujourd’hui plus que jamais, les jeunes Afroqueer ont besoin des modèles de représentations positives qui leur ressemblent, afin de comprendre qu’ils peuvent aspirer à devenir qui ils souhaitent dans la vie (professeur.es, docteur.es, sportifs, etc.). Les exemples sont diversifiés et positifs : Jérémy Clamy-Edroux (joueur professionnel de rugby), Solange Musanganya (militante AfroQueer), Louis-Georges Tin (homme politique et écrivain), Emma Onekekou (communicatrice et écrivaine). Ces 25 portraits sont, à la fois uniques, comme chacune des trajectoires de vie qu’ils racontent, et bouleversants d’humanité. S’ils relatent parfois des parcours marqués par la peur, le rejet, l’humiliation et la violence, ils témoignent aussi du courage, de la résilience, de la solidarité et de l’amour des personnes AfroQueer qui ont accepté d’y prêter leur voix.
Aussi, il est important de savoir que l’écriture de ce recueil ne répond à aucune injonction, c’est plutôt un acte individuel, personnel, spontané, engagé par un militant des droits humains que je suis dans le but de stopper la haine, de briser les murs de haine en bâtissant des ponts d’humanités. Afroqueer est le livre que j’aurais aimé lire quand j’étais jeune et que je me questionnais sur mon orientation sexuelle. Ce livre relate le parcours inspirant de 25 personnes, ces récits témoignent non seulement de la résilience de ces personnes, mais aussi et surtout des actes de résistance et leur victoire à finalement vivre en accord avec leur véritable identité, sans céder aux pressions, injonctions et diktats de la société.
Aujourd’hui, quels sont les défis des afroqueer dans un monde marqué par les polycrises (changements climatiques, développement du sport etc.) ?
Les changements climatiques affectent tous les humains de la même manière. Ce n’est pas un problème spécifique aux personnes Afroqueer. Par contre, les défis de personnes noires et LGBTQI+ (Afroqueer) sont nombreux et dépendent de l’environnement dans lequel elles vivent. Une personne Afroqueer qui réside à Montréal, Paris ou Stockholm où les actes homophobes sont criminalisés, ne vit pas la réalité qu’une personne Afroqueer qui vit à Dakar, Yaoundé ou Kampala où les actes homophobes peuvent être extrêmement violents.
Globalement, ce que les personnes Afroqueer demandent aujourd’hui, c’est d’avoir les mêmes droits que tous les autres citoyens ; essentiellement le respect à la dignité de leur vie. Ça passe par des lois qui criminalisent tout acte de violence à leur égard, il est clair que les actes des violences racistes, tribalistes sont inacceptables et condamnables ; pourquoi devrait-on accepter des actes de violences homophobes. L’homophobie, c’est du racisme, car c’est une discrimination basée sur un fait de nature que la personne n’a pas choisi et n’a aucune emprise dessus. En plus d’abolir les lois qui discriminent, encouragent les violences, il faut éduquer les populations au respect des différences. Et aussi, il est important que les personnes Afroqueer comprennent que leur autonomisation, leur indépendance financière (comme l’ont compris les femmes, il y a longtemps) sont des atouts importants pour leur libération factuelle.