Par Yana Bekima
L’Arabie Saoudite renouvellera-t-elle l’accord signé avec les États-Unis en 1974 ? Cet accord expire ce jour 9 Juin 2024.
L’Arabie Saoudite, partenaire de longue date des Américains et pilier de la puissance même du pétrodollar, semble résolument se tourner vers la Chine. Souvenons-nous qu’au forum de Davos en janvier 2023, Mohammed Al-Jadaan, ministre des Finances de l’Arabie Saoudite, avait fait une déclaration très remarquée sur l’ouverture de la vente du pétrole saoudien dans d’autres monnaies que le dollar US. Cette annonce rompt le pacte avec l’allié historique américain du pays depuis cinquante ans. Une chose est certaine, après un demi-siècle, les Saoudiens ne veulent plus lier leur monnaie, le riyal, au dollar US. En d’autres termes ils n’acceptent plus que le billet vert soit l’unique monnaie de vente de leur pétrole.
Qu’est-ce que le système pétrodollars ?
Les pétrodollars ne sont pas une monnaie. Il s’agit simplement de dollars américains échangés contre des exportations de pétrole brut. Ce terme a pris de l’importance sur le plan économique et politique au milieu des années 1970, dans un contexte d’interdépendance croissante entre les États-Unis et les exportateurs de pétrole brut. En août 1971, le président américain Nixon a annoncé la fin de la « convertibilité du dollar américain en or ». La dépendance du reste du monde vis-à-vis du dollar américain a commencé à diminuer. Les États-Unis ont dès lors cherché à augmenter la demande de dollars par d’autres moyens. En 1979 est née la Commission mixte américano-saoudienne sur la coopération économique. Dans le cadre de cet accord « Pétrole contre dollars », l’Arabie Saoudite doit respecter les clauses suivantes :
– Vendre son pétrole au reste du monde dans une seule devise, le dollar américain ;
– Réinvestir ses réserves excédentaires en dollars dans des titres du Trésor américain et des entreprises américaines (qui contribuent à améliorer les infrastructures de l’Arabie saoudite par le biais de transferts de technologie).
L’accord « pétrole contre dollars » a ensuite été étendu à d’autres pays de l’OPEP, en échange d’une assistance militaire, sécuritaire et économique de la part des États-Unis
Des pays prennent des distances vis-à-vis de cette monnaie.
Le dollar est la première monnaie de réserve mondiale. Il est aussi la monnaie la plus utilisée pour le commerce et d’autres transactions internationales. Mais cette hégémonie s’érode depuis le début de la guerre en Ukraine. Les sanctions occidentales contre Moscou y sont pour beaucoup. Le « gel » des 300 milliards d’euros/dollars n’est pas passé inaperçu. Depuis, de nombreux pays réduisent leur exposition au billet vert. Il ne se passe plus un mois sans qu’un pays prenne ses distances. La demande des deux plus grands créanciers des États-Unis – la Chine et le Japon – est aussi devenue moins fiable ces derniers temps. Les déboires des récentes émissions obligataires du Trésor américain le confirment. Entre-temps, l’offre a explosé. Le Trésor américain a émis un montant net de 2 000 milliards de dollars de nouvelle dette cette année, un record. Et pour ne rien arranger, la Réserve Fédérale ou la FED (la banque centrale en charge de la stabilité financière et monétaire aux États-Unis) revend les bons du Trésor au rythme de 60 milliards de dollars par mois.
L’accélération de la dédollarisation
En effet, moins de demande pour le dollar finira par peser sur sa valeur, tout en créant en retour des pressions inflationnistes via l’augmentation du cout des importations. Mais, pour l’instant, la monnaie impériale conserve sa position dominante. Elle reste impliquée dans 88 % des transactions sur le marché des change (forex). Elle représente également 46 % des paiements SWIFT, contre 23 % pour l’euro et 3.7 % pour le yuan. Néanmoins, ces chiffres ne disent pas tout. Le CIPS (China International Payments System) a traité en 2022 un volume de transactions représentant 100 000 milliards de yuans (~ 14 000 milliards $), contre 150 000 milliards de dollars pour SWIFT. Ainsi, plutôt que de 3,7 %, la part du yuan est en réalité plus proche de 13 %, voire plus. Autant d’argent qui aurait autrement circulé en dollar avant le lancement du CIPS en 2015.
Les banques centrales boudent le dollar
Si le dollar continue d’huiler les échanges commerciaux, il est en revanche clairement sur le recul au niveau des réserves des banques centrales. Ces dernières se composent à 58 % de dollar (sous forme de bons du Trésor), contre 65 % six ans en arrière. Les étrangers, y compris les investisseurs privés et les banques centrales, détiennent aujourd’hui environ 30 % de l’ensemble de la dette publique américaine en circulation. C’était 43 % il y a dix ans.
Crépuscule du pétrodollar
Certains signes de dédollarisation se manifestent également sur les marchés pétroliers. La Russie, premier exportateur d’énergie au monde, n’accepte plus le dollar. Moscou accepte désormais les monnaies de pays perçus comme amicaux. L’Inde le paie par exemple en dirhams par l’intermédiaire de négociants basés à Dubaï. D’autres paient en yuans. L’Arabie saoudite n’est pas en reste.
Les banques centrales du royaume et de la république populaire de Chine ont réalisé il y a une semaine un swap de devises équivalent à 50 milliards de yuans (26 milliards de riyals saoudiens). Dit autrement, les achats de pétrole saoudien en yuan sont imminents. Pour la JP Morgan, la plus grande banque des États-Unis et qui figure parmi les plus importantes du monde, une dédollarisation rapide n’est pas à l’ordre du jour. « Les avantages d’une monnaie omniprésente sont considérables et les États-Unis disposent depuis longtemps d’un réseau mondial d’alliances et de partenariats ».
Peut-être, mais la plupart des analyses montrent que la fragmentation s’étend de jour en jour. D’énormes morceaux se détachent du monde occidental.
En conclusion
La fin du pétrodollar impliquerait une dynamique très différente de celle que nous connaissons actuellement. Les nations exportatrices de matières premières auraient la possibilité de s’affranchir du dollar et de fixer leurs devises par rapport à un panier de matières premières. Nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle ère, un monde multipolaire où des accords commerciaux bilatéraux vont remplacer l’ancien ordre mondial centré autour du pétrodollar. Le déclin du pétrodollar aurait tout de même pour conséquence de pousser l’inflation et les taux d’intérêts à la hausse.