Il y a près de trois ans, j’ai écrit cet article qui demeure toujours d’actualité, je le réactualise à la demande d’un ami artiste, qui se trouve actuellement embourbé, dans des querelles avec son manager en cette période de fin d’année, où les concerts sont organisés dans tous les coins du monde. Les idées que je vais évoquer ici, sont aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient alors. Inutile de rappeler que depuis des temps, le spectacle se sont organisés et la scène a vu émerger des chanteurs exceptionnels tout âge confondu. Certains chanteurs ont atteint le haut niveau ces derniers temps, tout simplement parce qu’ils ont investi leur don esthétique dans leur art. Aujourd’hui, il ne s’agit en aucun cas de prétendre juger ou donner des leçons dans un domaine où j’interviens en tant qu’observateur de la société. Cependant, il est légitime de réfléchir et de procéder à une analyse intellectuelle des enjeux du show business en Afrique, mais surtout au Cameroun.
La musique est un métier noble qui, comme tout autre métier, s’apprend. Une fois que l’on a réussi, il est essentiel de s’entourer de professionnels compétents. Du manager au comptable, de l’attaché de presse aux agents de sécurité, des danseurs aux musiciens, tous doivent maîtriser leur domaine. Opposer le chanteur musicien au manager nous amène à réfléchir sur différents aspects, notamment sur quelle action prime sur l’autre et pourquoi. Tout d’abord, il est important de souligner que quiconque se lance dans un domaine et y consacre sa vie doit se former pour en maîtriser les subtilités. Le métier d’artiste et celui de manager sont deux mondes distincts, mais ils sont également complémentaires, car ils s’entrelacent à bien des égards. La musique est un art actif, et le manager qui s’investit dans cet art endosse le rôle de l’artiste « qui est derrière les rideaux ». Il doit écouter les désirs de l’artiste et élaborer une stratégie pour conquérir le public et les annonceurs. L’artiste doit se concentrer sur sa musique, réfléchir à des idées qui alimentent le processus de création, stimuler les paroles pour les futures compositions, et organiser des répétitions pour favoriser la synergie au sein de l’équipe.
Il doit également participer aux séances photo et aux tournages de clips. En revanche, le manager doit élaborer le calendrier des événements, négocier les contrats de spectacles, discuter des cachets et rendre compte à l’artiste. Il doit également entrer en contact avec les annonceurs, négocier les interviews télévisées ou radiophoniques, et préparer les dossiers de presse. En somme, il doit connaître le monde du show business dans ses moindres détails, en comprenant les caractéristiques de l’événementiel, ainsi que les tenants et aboutissants du métier. L’artiste musicien est une marque à part entière, et pour promouvoir cette marque, une maîtrise totale de la communication est nécessaire. Dans ce contexte, il est primordial que le manager domine les rouages du métier d’artiste musicien, car il est confronté aux réalités, aux défis et aux pressions de ce secteur. Il doit également étudier l’environnement dans lequel l’artiste évolue. Les talents émergent partout, mais la chance ne leur sourit pas toujours de la même manière.
En tant qu’homme des relations publiques, le manager doit être au fait des spécificités de chaque milieu culturel et informer les chanteurs des opportunités qui se présentent. Par ailleurs, il doit assister le metteur en scène pour garantir le bon déroulement d’un spectacle. Si l’on est le manager de Lady Gaga, par exemple, il est essentiel de lui rappeler avant un spectacle en Arabie Saoudite de ne pas aborder des thèmes érotiques, compte tenu du contexte culturel fortement islamisé, contrairement à ce qu’elle pourrait faire à Paris. Il est également crucial de prendre en considération le mode de vie et les habitudes locales. En conclusion, le manager joue un rôle indispensable dans la carrière d’un artiste musicien. Il doit être un partenaire complémentaire, maîtrisant les tenants et aboutissants du show business, afin de permettre à l’artiste de briller sur scène et de développer sa marque avec succès. Une collaboration harmonieuse entre l’artiste et son manager est essentielle pour prospérer dans l’industrie musicale exigeante d’aujourd’hui.
Le manager a également la responsabilité de repérer les meilleurs talents qui peuvent accompagner efficacement l’artiste ou le groupe. Le chanteur apporte sa philosophie artistique, tandis que le manager lui rappelle la réalité du terrain et met en œuvre cette philosophie en y ajoutant sa propre expertise. On peut comparer le manager à l’entraîneur d’un joueur de football. L’entraîneur connaît bien son joueur, sa position optimale sur le terrain, et prodigue de précieux conseils pour le succès de son protégé. À l’ère d’Internet, il est désormais possible de concevoir des projets de communication et de créer des concepts sophistiqués qui renforcent les expériences de communication tout en facilitant le contact avec le public. Pour toutes ces raisons, le métier de manager est devenu une profession qui exige un professionnalisme constant. En somme, le rôle du manager est de mettre en avant les meilleures qualités de l’artiste.
Les artistes sont souvent réputés pour être capricieux, ce qui signifie que le manager doit faire preuve de patience et de persuasion. Le champ d’action du manager varie en fonction de la dimension du spectacle. Il occupe la position de chef du protocole de l’artiste, mais en fin de compte, c’est l’artiste qui a le dernier mot. Cependant, l’artiste doit également prendre en considération les efforts et les avis du manager qui a travaillé dur pendant des mois et ne pas saboter le travail à la dernière minute. Une collaboration harmonieuse est essentielle pour favoriser un travail d’équipe efficace et une collaboration étroite. Les artistes camerounais ont parfois du mal à perdurer dans l’industrie musicale car ils méconnaissent cette dimension active du show business. Certains font même l’erreur de choisir leur conjoint ou leur ami d’enfance comme manager, ce qui témoigne d’un manque de professionnalisme évident. Il est essentiel de séparer les relations personnelles des affaires, surtout dans un domaine aussi exigeant.
Il va sans dire que les deux parties, l’artiste et le manager, doivent soigner leur image, car le manager reflète en quelque sorte l’aura de l’artiste. Le manager est le porte-parole de l’artiste et défend sa notoriété, mais il ne peut jamais le remplacer. Il joue également un rôle crucial dans la sécurité de l’artiste, ayant le pouvoir d’arrêter un spectacle en cours si la sécurité de ce dernier est menacée. Il est important de noter que la surexposition d’un artiste peut avoir des conséquences négatives sur son attractivité. Un artiste qui déambule dans la rue le lendemain d’un spectacle ou après la sortie d’un tube risque de perdre son attrait auprès du public. Il est essentiel de maintenir une certaine dose de mystère et de réserve pour susciter l’intérêt du public. De plus, les actions maladroites du manager peuvent également avoir des répercussions sur l’artiste.
Les gens reconnaissent rapidement pour qui travaille le manager, et il doit donc agir de manière éthique et professionnelle. En conclusion, tous les artistes ne nécessitent pas forcément un manager. Certains peuvent être freinés dans leur épanouissement par des gestionnaires obsédés par l’argent, tandis que d’autres peuvent se produire gratuitement pour gagner en notoriété et en estime. Les managers sont particulièrement nécessaires pour les artistes confirmés, tels que Petit Pays ou des groupes comme X-Maleya. Il est courant de devoir passer par le manager avant de rencontrer l’artiste, mais cela peut parfois poser problème. Il m’est arrivé de devoir insister pendant des jours pour obtenir un rendez-vous avec des managers qui étaient en réalité de proches amis de l’artiste, mais qui avaient du mal à joindre les deux bouts.
Certains d’entre eux semblaient même avoir oublié leur rôle de manager et étaient plutôt gênés par mes appels, ne comprenant pas l’objectif de ma demande. Il m’a fallu de multiples tentatives pour qu’ils finissent par décrocher le téléphone et expliquer qu’ils n’avaient pas répondu parce qu’ils ne reconnaissaient pas mon numéro. La collaboration entre l’artiste et son manager est une relation complexe qui exige de la compréhension mutuelle et une communication efficace pour réussir dans l’industrie musicale. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est le cas d’un manager qui avait complètement oublié le nom de son propre artiste. Il a fallu que je lui rappelle qui, il était pour qu’il sursaute et s’exclame : « Ah oui… oui, c’est moi son manager… Où est-elle ? » Une question étonnante pour un manager qui devrait normalement savoir où se trouve son artiste. Cependant, ce cas est relativement mineur par rapport aux disputes fréquentes entre les managers, qui sont malheureusement courantes.
J’ai été témoin de discussions houleuses entre managers et chanteurs, avec des échanges d’insultes du genre : « Tu ne chantes même pas bien, petite pute » suivi de répliques cinglantes du type : « Misérable, je t’ai nourri, pauvre type, va te faire foutre. » La semaine suivante, l’artiste composait une nouvelle chanson pour dénigrer son ancien manager, déclenchant ainsi une guerre ouverte. Ces querelles sont malheureusement fréquentes, nuisent souvent à la réputation des artistes et de leurs équipes. Lors d’une émission intitulée « Expert de la Diaspora, » l’artiste John Boegrson, que j’admire grandement dans le monde du show-business, a été interrogé sur ce qui distinguait les artistes camerounais de leurs homologues nigérians, ivoiriens et congolais. Sa réponse ce soir-là mérite d’être notée dans les annales.
Il a déclaré : « C’est une excellente question qui n’a jamais été abordée par les artistes camerounais depuis l’indépendance. L’Afrique de l’Ouest a fait un choix culturel. Elle a choisi de valoriser sa culture. C’est pourquoi, en Occident, les artistes ouest-africains se distinguent de nous. Au Cameroun, nous n’avons pas accordé la même importance à la culture, nous avons choisi une autre voie. En Côte d’Ivoire, les artistes sont respectés, presque vénérés et érigés en icônes. Prenons l’exemple d’Alpha Blondy. Il est célèbre et respecté par tous les Ivoiriens, il vit à Abidjan, a sa propre propriété, et n’a rien à envier à un artiste américain. Cela a contribué à sa renommée et à son statut de star. Au Sénégal, Youssou Ndour est une véritable institution, et le pays adore les célébrités. Akon, même s’il a réussi aux États-Unis, est également une personnalité importante au Sénégal, où il a investi dans un projet urbain d’envergure. Le Congo, à travers Mobutu, a choisi de promouvoir la culture et a ainsi développé un pays doté d’une richesse culturelle impressionnante.
Aujourd’hui, le Congo est un pays qui célèbre ses célébrités, de Koffi Olomidé à Fally Ipupa. » Le Nigeria se distingue également par son engagement envers l’art et les moyens considérables qu’il met en place pour soutenir les artistes. Les artistes nigérians ont atteint un niveau de développement culturel et artistique auquel il faudrait encore des années au Cameroun pour y parvenir. Cependant, au Cameroun, certains artistes, tels que Petit Pays, se battent depuis longtemps pour promouvoir la « peopolisation » et l’importance de la culture. Le pays est encore en retard, mais cela ne signifie pas qu’il est condamné à l’échec. Le Cameroun possède d’incroyables musiciens et guitaristes, mais pour confirmer leur statut, il est essentiel de les promouvoir, de les entourer de professionnels du marketing, de la communication et de valoriser leur image.
Prendre constamment un nouveau manager n’est pas une solution idéale pour un artiste. Cela peut entraîner des rumeurs et des potins néfastes. Il est important de noter que pour un artiste débutant, rencontrer son manager pour des invitations à des soirées d’anniversaire ou pour des prestations n’est pas une priorité. De même, un artiste qui n’est plus en vogue ne devrait pas vous faire attendre indéfiniment parce que vous devez passer par son manager. Les véritables managers sont exigeants en matière de qualité, ce qui est tout à fait compréhensible étant donné que leur réputation est également en jeu, associée à celle de l’artiste. Enfin, il est crucial de maintenir la dignité dans le métier. Certaines situations, telles que les managers qui tentent de contrôler leurs artistes en ayant des relations intimes avec eux, sont tout simplement infantiles. Les professionnels du secteur doivent toujours maintenir un comportement éthique et respectueux.
En fin de compte, l’impact du progrès artistique et culturel sur le développement d’un pays est indéniable. De nombreux métiers sont liés à l’art, et il est clair que l’art est le premier pôle qui peut conduire un pays vers son développement. Je salue le travail accompli par des artistes tels que Salatiel, le groupe X-Maléya, et d’autres jeunes talents qui se battent pour insuffler un nouvel élan artistique et pour faire évoluer les choses dans le bon sens. Si le manager prend constamment les décisions et que l’artiste se soumet sans réserve, cela peut entraîner l’épuisement de ce dernier. Nous avons vu des artistes prospères dans le passé sombrer dans la misère.
Ils avaient tout : ils vivaient dans l’opulence, portaient des vêtements de luxe, et étaient considérés comme des « dieux des stades. » Ils ignoraient les limites de la vie, rejetant les conseils de leurs aînés qui les mettaient en garde contre les virages imprévisibles du destin. Ils figuraient parmi les plus grands, menant une double vie, cachant les imperfections derrière les paillettes de leurs frasques et de leurs extravagances. Ils étaient enivrés par leur propre succès. Il est difficile d’oublier ces grands spectacles en ville, avec des banderoles annonçant leur venue affichées partout. Tout cela ne remonte pas si loin dans le temps. Ils côtoyaient des personnalités et dignitaires, étaient acclamés par des foules immenses scandant leurs noms. Leurs voitures roulaient à toute vitesse, ils portaient des costumes trois pièces, participaient à des soirées festives en tenue de gala.
Ils hurlaient leur passion pour leur art, les cloches sonnaient à l’aurore pour marquer leur entrée matinale. Que de souvenirs magnifiques de cette époque ! Ils partageaient leurs rêves d’humanité partout où ils allaient. Cependant, quand on les voyait plus tard traîner les pieds comme des âmes tourmentées, la misère avait pris le dessus. Leurs voitures n’avaient plus d’essence, ils manquaient parfois de pain. C’est à ce moment-là que la société se tourne vers une nouvelle école de moralité et accuse souvent l’État, tout en affichant des visages apaisés, mais abritant des cœurs cruels. Nous pouvons voir ces histoires se répéter fréquemment sur les réseaux sociaux, et nous réalisons à quel point nous vivons dans une réalité déconnectée de celle du passé. Pour certains, revenir ne serait-ce qu’à l’entrée d’une église peut réveiller des souvenirs d’un temps révolu. Il est essentiel de se rappeler une dernière chose : être artiste est une question de timing.
Il est crucial de savoir quand il est temps de se retirer et de préparer sa retraite, car il existe une détresse qui guette souvent l’artiste. Il ne faut pas attendre de sombrer dans la précarité sur scène par nécessité. La grandeur de ce métier réside dans la dignité avec laquelle l’artiste choisit de se retirer. Nous le savons tous, ce que je dis peut être perçu comme des attaques, point du tout. C’est notre expérience de la vie qu’on relate, le temps exerce son influence et les artistes camerounais sont résilients mais pour combien de temps ? Ils ont seulement la chance d’avoir des carapaces solides. Cependant, l’essentiel à retenir est que l’artiste musicien et le manager partagent un objectif commun : atteindre le sommet, car la musique renferme une vision fondamentale de la vie.
Sources ( j’avais écrit cet article à la suite d’un échange téléphonique fructueux avec Brice NANA, animateur culturel, qui manage plusieurs artistes à Paris)