Lors de son discours du 6 janvier, le président Macron a consacré une grande partie de son intervention à la diplomatie mondiale. Nous nous concentrons ici sur un extrait de son intervention, en particulier la section qui traite des relations avec le continent africain. Concernant l’Afrique, Emmanuel Macron aborde les relations entre la France et l’Afrique dans un contexte postcolonial, en particulier à travers le prisme des questions mémorielles, culturelles et sécuritaires. L’analyse de ce discours met en lumière plusieurs stratégies rhétoriques utilisées par le président français pour défendre la position de la France en Afrique, tout en affirmant un discours à la fois critique et protecteur. Cette intervention repose sur des notions de continuité, de responsabilité historique et de lucidité politique, mais aussi sur des attaques contre certains discours qu’il considère comme manipulatifs ou erronés.
La gestion de la mémoire historique et culturelle
Le premier axe du discours concerne la question mémorielle, et plus spécifiquement la manière dont la France aborde son passé colonial. Emmanuel Macron fait état des efforts déployés pour regarder « son passé dans sa complétude », ce qui implique une reconnaissance des erreurs et des crimes du passé tout en revendiquant une certaine gestion des relations franco-africaines qui soit « décomplexée et dépassionnée ». Cela fait référence à la politique de réconciliation historique et culturelle menée ces dernières années, il a cité notamment la commission Stora sur la guerre d’Algérie, les restitutions d’œuvres d’art et des discours mémoriels comme celui de Thiaroye au Sénégal.
Ces actions visent à réparer certains torts et à apaiser les mémoires, mais elles sont également présentées comme des preuves de la sincérité et de la volonté de changement de la France. Cependant, Macron ne se contente pas de reconnaître le passé : il fait valoir que ce processus doit se faire de manière « scientifique » et « historiographique ». Cette volonté de rationaliser les relations mémorielles suggère que la France cherche à créer une base objective et factuelle pour aborder le passé colonial, tout en s’émancipant des discours émotionnels ou idéologiques. La notion de « dépassionnée » implique une approche plus froide et analytique, loin des réactions idéologiques ou des revendications sentimentales.
La critique du panafricanisme et de la manipulation idéologique
Un autre aspect important du discours est la critique du panafricanisme et de certains courants intellectuels qui, selon Macron, continuent de maintenir des « obsessions du passé ». Le président se place en opposition à un discours postcolonial qu’il juge figé et manipulateur, notamment lorsqu’il évoque l’influence de « faux intellectuels » et la manipulation de la jeunesse par des « intérêts de la Russie ou d’autres en Afrique ». Cette critique vise à discréditer ceux qui, selon lui, instrumentalisent les relations historiques pour justifier une vision idéologique qui ne correspond plus à la réalité contemporaine. En insinuant que ces « faux intellectuels » manipulent l’opinion publique à travers les réseaux sociaux et exploitent le désarroi de la jeunesse, Macron tente de déstabiliser l’autorité de ceux qui critiquent la France, en particulier en Afrique. Il les accuse d’être à la solde de puissances extérieures, comme la Russie, insinuant que ces voix ne sont pas véritablement représentatives des aspirations africaines. L’utilisation du terme « combinaison » pour décrire cette alliance de forces semble vouloir suggérer une sorte de conspiration.
Le recul français : lucidité ou réorganisation ?
L’une des affirmations les plus significatives du discours réside dans la défense de la politique de la France en Afrique : « la France n’est pas en recul en Afrique, elle est simplement lucide ». Macron oppose l’idée de recul à celle d’une réorganisation stratégique. Selon lui, l’Afrique n’est pas un terrain où la France « disparaît », mais un continent avec lequel la France doit évoluer. Le président souligne que les défis de la France en Afrique ne se limitent pas à la mémoire coloniale, mais qu’il s’agit aussi de répondre aux enjeux géopolitiques contemporains, comme le terrorisme. Il évoque le « mouvement » de la France en Afrique, comme si l’histoire et la relation entre les deux continents étaient en constante mutation et nécessitaient des ajustements constants. Cette notion de « réorganisation » implique que la France n’est pas en retrait, mais en phase de réajustement stratégique, notamment vis-à-vis de ses partenaires africains. Cette vision contraste avec l’image d’une France impérialiste ou d’une nation dont l’influence diminue, et fait écho à la volonté de Macron de redéfinir les rapports franco-africains sur des bases nouvelles.
L’argumentation sécuritaire et l’ingratitude perçue
Un autre aspect clé de ce discours est la manière dont Macron justifie l’action militaire française en Afrique, notamment depuis 2013, dans la lutte contre le terrorisme. En affirmant que « nous avions raison », il se positionne en défenseur d’une action qui, selon lui, a permis de maintenir la souveraineté de certains pays africains face à des menaces extérieures. Le « merci » qui n’a pas été exprimé par les gouvernants africains est une ironie destinée à dénoncer ce que Macron considère comme une ingratitude, qu’il qualifie d’ailleurs de « maladie non transmissible à l’homme ». Cette affirmation met en lumière un sentiment de frustration de la part du président français, qui se considère comme celui qui a pris des risques pour stabiliser la région, mais qui estime que la reconnaissance de cette aide est insuffisante. Il défend la position de la France en insistant sur le fait que sans l’intervention française, ces pays n’auraient pas été en mesure de se maintenir souverains. Cette approche, de nature presque paternaliste, cherche à conforter l’idée que la France est une force stabilisatrice et protectrice, malgré les critiques et les dénigrements dont elle fait l’objet.
Récupération des critiques et légitimation de l’action
En réaction aux critiques des médias français et internationaux, Macron utilise une forme de détournement en soulignant que ceux qui regardent la situation avec « les lunettes d’hier » se trompent. Il oppose une vision lucide de la politique de la France à celle d’un catastrophisme qui pourrait dominer les discussions sur la situation en Afrique. Le recours à l’image des « lunettes d’hier » est une métaphore qui invite à voir les choses sous un autre angle, celui d’un pragmatisme moderne qui prend en compte la réalité des enjeux contemporains sans se laisser enfermer dans les paradigmes anciens.
Ce discours de Macron est une tentative de réaffirmer la position de la France en Afrique dans un contexte complexe, en conciliant révision historique et réajustement stratégique. L’argumentation repose sur une volonté de présenter la France comme lucide, responsable et réactive face aux défis contemporains, tout en se défendant contre les critiques qu’il considère comme infondées ou manipulées. L’utilisation de l’ironie, de la critique du postcolonialisme, et de la mise en avant de l’action sécuritaire ont pour but de renforcer la légitimité de la politique française tout en dénigrant ceux qui s’y opposent.