Mag-Afriksurseine-Mars-2024

Du « ka » d’Égypte au « kè »  des Bamiléké

 Par Baltazar Atangana

 Ismaël Teta, écrivain et essayiste, co-auteur avec Léon Kamga et Médard Fotso, de « Du ‘’ka ‘’ d’Égypte au ‘’kè’’ des bamiléké » publié en novembre 2023. L’équipe d’Afriksurseine l’a rencontré pour un entretien à bâtons rompus. Lisez plutôt.

En 2017, avec Léonard Tabeko, vous avez publié Autour du feu, un ouvrage qui permet de comprendre les coutumes, us et rites organisés autour des différentes phases de la vie d’un homme ou d’une femme chez les bamiléké. Et là vous revenez en co-publication avec Léon Kamga et Médard Fotso avec Du « ka » d’Égypte au « kè » des Bamilékés. Qu’est-ce qui motive votre intérêt à décrypter l’intériorité socio-culturelle et anthropologique du peuple Bamiléké ?

Les Bamiléké ou ‘‘grassfield people’’ représentent un groupe d’une centaine de communautés vivant dans les hauts plateaux de l’Ouest Cameroun. L’histoire, la culture et les coutumes des Bamiléké, comme celles de la plupart des peuples d’Afrique, restent encore mal connues, peu documentées et par conséquent non transmises. La génération qui a connu cette civilisation avant sa javellisation intentionnelle et sauvage par les colons (1850-1950+) a évidemment disparu – et celle de leur progéniture est aussi aujourd’hui lessivée. Résultat des courses, nous assistons à une méconnaissance blâmable de notre essence par la génération actuelle, d’où son errance. Mon objectif dans mes écrits sur la civilisation des GrassField est constante : restaurer et disséminer dans une démarche scientifique mais dans un langage accessible, les us et les coutumes de nos pères.

Parler du « Ka » au « Kè » n’est-il pas dans ce cas, une façon d’encenser un rapport mort à la culture, en allant obligatoirement se légitimer depuis l’Égypte pour se légitimer ?

Dans Autour du feu, nous avons interviewé sur plusieurs années, les anciens sur les étapes de la socialisation en pays Bamiléké. En d’autres termes, de la naissance à la senescence, comment nos parents s’assuraient d’une vie en harmonie. Dans le présent ouvrage, nous avons eu le privilège de côtoyer et interroger le mage TaDzuWagne, un des derniers gardiens d’un rite séculaire de régénération de l’énergie cosmique – qui nous a livré quelques ‘secrets’ quelques mois avant son départ dans le prochain monde. L’entretien avec ce mage nous a servis de prétexte pour creuser les origines et les similitudes de ces rites philosophaux entre les peuples de l’Ouest Cameroun, mais aussi avec les autres peuples du Cameroun, notamment en pays Béti, certains peuples d’Afrique et ultimement nos origines nilotico-égyptiennes.

Ce livre n’est pas un ouvrage uniquement descriptif ou narratif. Il est une analyse ontologique d’un rite fondateur conservé par les Bamiléké malgré une féroce opposition des colons qui trouvaient dans le « Ke » (magie en ghomala), la source de la résistance intrinsèque des Bamiléké à toute domination, quelle qu’elle soit. Le ‘’ka’’ égyptien ou « force qui entretient la vie », et encore aujourd’hui pratiquée, représentait la magie dans L’Égypte Antique jusqu’à l’époque copte – ce ‘ka’ est similaire au ‘ke’ d’où le titre du livre. Il ne s’agit donc nullement d’une recherche de légitimation, mais d’un parallèle sain dans une démarche de retour aux sources.

Quel enseignement, du point de vue socio-anthropologique, peut-on tirer de la mise en relation du « ka » et du « kè » ?

Le ‘’Ka’’ est l’un des mots les plus polysémiques de l’égyptien ancien. Il peut designer le dernier roi pré-époque pharaonique, l’âme, la magie, l’au-delà, le karma. Il en est de même du ‘’Ke’’ qui, au sens premier, désignerait la magie à l’ouest Cameroun, mais de façon plus étendue, l’émerveillement et représente un aspect principal de l’âme d’un être humain ou d’un dieu. La signification exacte du ‘’ke’’ reste un sujet de controverse. Il désigne en égyptien, comme en ghomala, l’esprit divin protecteur d’une personne. En Égypte, le ‘’ka’’ survivait à la mort du corps et pouvait résider dans une image ou une statue d’une personne. En pays Bamiléké, il est transmis à la mort pour continuer à réguler la vie sociale, créer l’abondance et maintenir l’humanisme en l’humain.

Au carrefour glissant de la mondialisation, pour ce qui est des identités notamment, en décryptant un rite séculaire aujourd’hui, quel message voulez-vous faire passer dans ce nouvel ouvrage ?

Nicholas Sarkozy alors président de la France et définitivement ‘’ignorant’’ de l’Afrique affirmait en Juillet 2007 sur le sol africain à Dakar que « l’homme africain n’est pas assez ancré dans l’Histoire ». Ce cliché occidental choquant certes n’est toutefois pas sans fondement. Nous contribuons à l’ignorance collective par nos ignorances individuelles de nos propres coutumes. Dans le même discours du ‘’maître’’ Sarkozy, il reconnaissait parlant du colon et je cite ‘’Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux.

Ils ont abîmé une sagesse ancestrale […] vous n’avez pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu’elles ne vous tirent pas vers le bas, mais vers le haut, qu’elles soient un antidote au matérialisme et à l’individualisme qui asservissent l’homme moderne, qu’elles soient le plus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l’aplatissement du monde.’’ (Nicolas Sarkozy, 26 juillet 2007, à Dakar). Ce livre n’est pas une réponse ou une réplique à l’arrogante « bienpensance’’ élitiste, occidentale. Il se veut une restitution objective et illustrée non seulement de la pertinence et de la résistance du savoir-vivre ancestral africain, mais aussi et surtout de son actualité et de son intemporalité.

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