Albert Dzongang demeure une figure incontournable de la scène politique au Cameroun. Sa présence active dans le paysage politique camerounais s’étend sur près de quatre décennies. En tant qu’homme controversé, il s’est affirmé au cours des dernières années comme un fervent opposant au régime de Yaoundé, tout en manifestant un soutien inébranlable à Maurice Kamto. Le décès du professeur Joseph Owona a profondément touché Albert Dzongang, qui a momentanément mis de côté les divergences politiques pour rendre un hommage respectueux à celui qu’il préférait appeler son frère. Lisez un extrait très touchants de son hommage.
MON CHER FRERE
Pr. Joseph OWONA
J’ai appris avec émoi ton rappel à Dieu. Je sais, comme de coutume dans les deuils, que chacun exprime ce que le disparu représentait pour lui ; les uns le mal qu’il leur aurait fait et les autres le bien qu’ils ont bénéficié de lui. Les uns lui souhaitent d’aller en enfer chez Satan, tandis que les autres intercèdent pour que son âme aille au paradis. En ce qui me concerne, je suis de ceux qui prient pour le repos de ton âme au paradis. Je ne voudrai pas faire un livre sur nos relations personnelles qui ont été toujours courtoises et très plaisantes. Je voudrai seulement, maintenant que tu n’es plus là, témoigner sur un pan de ta grande clairvoyance et de ton attachement à la nation, que beaucoup ignorent.
Nous nous sommes vraiment bien connus, pendant la tripartite et à l’occasion de la rédaction des actes de cette grande conférence, qui a mis les bases de la nouvelle constitution de janvier 1996. Autochtone allogène Au cours de cette réunion, le sujet qui a préoccupé tous les participants était celui de l’inscription dans la nouvelle constitution, de la notion d’autochtone et d’allogène ainsi que la protection des minorités. Pour ceux qui n’étaient pas présents, il convient de rappeler que cette demande ne venait pas d’un Ekang béti, ni d’un Anglophone, ni d’un originaire du Septentrion. C’était une exigence portée par le patriarche feu SOPPO PRISO et le pharmacien POKOSSY NDOUMBE, au nom des Sawa. En face, il y avait ceux qui estimaient qu’il s’agissait là d’un poison pour la cohésion sociale du Cameroun, thèse défendue par feu le patriarche KADJI DEFOSSO, que je secondais.
L’assemblée s’est divisée sur le sujet et a laissé à la commission de rédaction que tu présidais avec moi parmi les membres, le soin de trouver un terme qui tienne compte des avis exprimés. Lors de la mise en forme du projet de la constitution, nous avons discuté des heures, du bien-fondé de l’inscription de cette notion dans notre loi fondamentale. Tu m’as appelé après et tu m’as dit ceci « Albert laisse cette affaire, le patron veut donner satisfaction au père SOPPO PRISO.
Mais nous allons rédiger de sorte que ça ne soit pas applicable. » J’ai rétorqué en te demandant comment ? Tu as répondu : « On va mettre çà dans le préambule, en précisant : conformément à la loi ». Je ne comprenais toujours pas. Tu m’as demandé comment sera motivée la loi d’application d’une telle disposition. Il faudra définir qui est minorité et en quoi elle est menacée, qui est autochtone et qui ne l’est pas, surtout dans une ville comme Douala où 90 % de la population y compris ceux qui s’en revendiquent sont des descendants de parents venus parfois des pays étrangers. Tu as conclu en disant : « Tu vois qu’il n’y aura jamais une loi pour faire appliquer cette disposition. » Tu m’as convaincu et dans notre constitution, il est écrit : « l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi. »
Bravo pour cette vision,car nous attendons toujours cette fameuse loi. Le mandat impératif est nul Le deuxième point sur mes 54 amendements présentés au cours des débats, était la protection des élus (députés, conseillers municipaux). Dans les anciens textes, il était dit que, tout député qui démissionne ou est exclu de son parti, perd son mandat. Je me sentais en danger, le RDPC me menaçant d’exclusion. Tu m’as dit encore ceci : « Je ne partage pas cette façon de traiter les élus. Nous allons modifier scientifiquement cette disposition et protéger les élus. Tu peux être tranquille. » Il y avait dans la commission de rédaction de dernière mouture présentée en 1996, Monsieur le Premier Vice-président de l’Assemblée nationale ETONG HILARION. Tu as présenté le texte comme suit : De l’Assemblée Nationale Article 15 : Alinéa (2) : Chaque député représente l’ensemble de la nation.
Alinéa (3) : Tout mandat impératif est nul. Cette formule est passée sans attirer l’attention des présidents de partis, qui avaient auparavant un moyen sûr pour contrôler leurs élus. Ils ne se sont avisés que lorsque j’ai démissionné des rangs du RDPC, et qu’au cours de la prochaine séance, le président de l’Assemblée nationale CAVAYE YEGUE DJIBRIL m’a demandé de sortir, car je n’étais plus membre du parti qui m’avait investi. J’ai ri, et d’un ton moqueur, je lui ai demandé de bien relire la constitution. Il s’est tourné vers l’honorable ETONG pour lui demander ce que je voulais dire. Ce dernier lui a dit que dans la nouvelle constitution, il est stipulé que tout mandat impératif est nul. On a relu l’article pour expliquer aux députés, à la grande désolation des chefs des partis représentés à l’Assemblée nationale, que je demeurais élu du peuple. Cet éminent Professeur, venait de sauver le mandat des élus, sans que personne n’y prête attention. Grâce à ces alinéas que je voudrai appeler « Alinéas Joseph OWONA » …