Mag-Afriksurseine-Mars-2024

NATHALIE ASSEN A ZOCK « LES CAMEROUNAIS VEULENT SORTIR DE LA SOUFFRANCE MENTALE »(interview)

NATHALIE ASSEN

PROPOS RECUEILLIS PAR BALTAZAR ATANGANA

 

Baltazar ATANGANA s’est entretenu avec Nathalie ASSEN A ZOCK, Psychologue clinicienne et Psychothérapeute. Elle est la fondatrice et directrice générale de NAB services, un cabinet de consulting par lequel elle offre des servces d’accompagnement technique au personnel (médico-social, socio-educatif, Rh) dans l’évaluation, la sensibilisation aux risques psycho-sociaux liés à la santé mentale et la mise en place de programmes de prévention, auprès des institutions en charge de la conception et de l’implantation de politiques sociales orientées vers des populations cibles.

Présentez-vous à nos lecteurs

Je suis Nathalie ASSEN A ZOCK, Psychologue clinicienne et Psychothérapeute. Spécialisée en psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent, et du jeune adulte. En même temps que j’obtenais mon master 2 de validation de mon titre de psychologue clinicienne et de psychothérapeute, j’ai soutenu un mémoire de recherche en psychologie clinique et psychopathologie psychanalytique sur le thème de la passion amoureuse et le sujet adolescent. Il s’agissait de saisir les processus psychiques par lesquels le sujet adolescent transformait ses conflits infantiles au travers de cette passion pour son devenir adulte.

Nous avons tendance à aborder les crises d’adolescence comme des catastrophes qui surviennent pour changer négativement le cours de leur vie et constituer de manière durable, une menace pour leur devenir adulte. S’il est vrai que la crise constitue un risque, il est surtout certain qu’elle alerte sur ce qui ne va pas et peut donc être de fait pris en charge de manière à remédier le cours des choses induites par les effets de ce qui entrave le développement psychoaffectif.

La clinique a besoin de recherche pour savoir quels sont les leviers saisissables pour l’accompagnement psychologique et même socio-educatif des individus. De même la recherche se nourrit de la clinique par l’inattendu, les particularités qu’elle rencontre. Après mes études, alors que j’exerçais la clinique, j’ai continué durant deux ans la recherche, en travaillant sur les phénomènes transitionnels et transmissionnels auprès des populations adultes ayant été transplantées alors qu’ils étaient enfant et adolescent, par l’état Français de l’île de la Réunion, pour la France métropolitaine. Puis, la clinique s’est avérée plus captivante pour moi, et j’ai renoncé à la recherche pour me consacrer à la pratique clinique. Ma clinique s’est ensuite ancrée dans l’évaluation, la protection de l’enfance et l’accompagnement éducatif et parental. L’évaluation et la prise en charge des trauma-infantiles. La gestion des situations d’urgence, des phénomènes de transitionalité, et de transmissionalité.

J’ai exercé En Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil, en Unité de pédopsychiatrie, à l’Aide Sociale de l’Enfance, en Centre Médico Psychologique et Pédagogique, puis enfin, en Services d’Education Spéciale et de Soins à Domicile. Depuis un peu plus d’un an, j’exerce la clinique au sein de mon cabinet de psychothérapie où je reçois des jeunes adultes, des adolescents, des jeunes enfants, et leurs parents, des couples, des familles et aussi des personnes désireuses de suivre une psychothérapie.

NAB consulting: la genèse.

NAB consulting est un cabinet de consulting par lequel j’offre des services d’accompagnement technique au personnel (médico-social, socio-educatif, Rh) dans l’évaluation, la sensibilisation aux risques psycho-sociaux liés à la santé mentale et la mise en place de programmes de prévention, auprès des institutions en charge de la conception et de l’implantation de politiques sociales orientées vers des populations cibles. La seconde partie de notre activité au Cabinet, touche directement l’individu tout-venant à qui nous proposons une écoute de soutien et des psychothérapies adaptées à leur personnalité et leur problématique.

Après avoir exercé quelques années en France, où j’ai été formée tant à la psychologie clinique, qu’à la psychopathologie et la psychothérapie d’orientation psychanalytique, j’ai souhaité faire « ma part » dans mon pays d’origine. Apporter ce regard-là dans la gestion des crises que traversent l’individu, les systèmes, les institutions. Vous savez, on évoque beaucoup le modernisme, la modernité, les traditions. Tous renvoient à des systèmes de valeurs, à des procédures à intégrer.

Nous assistons souvent à une cohabitation entre ces différents systèmes présentés et vécus comme antagonistes par les individus qui y sont attachés. Cela crée parfois des troubles. Cela nécessite parfois de vivre des transitions, pour l’implantation d’un nouveau système par exemple, pour l’acception de nouvelles valeurs, le renoncement aux anciennes, le deuil de ce qui se perd, le tri de ce qui se conserve, ect… cette période peut provoquer des crises. Cela induit aussi de devoir transmettre, mais que transmet-on ? Consciemment, inconsciemment ? Peut-on transmettre ce dont on est inconscient ? Quels en sont les risques ?  Nos sociétés africaines se représentent par un long passé de traditions, tout en faisant face aux défis de la modernité vers laquelle elles prétendent se diriger.

Entre deux, il y’a la période de la colonisation, puis pour le Cameroun en particulier les violences liées au désir de s’approprier son autonomie que nous avons appelé : les indépendances. Nous sommes au chœur de ces transitions, qui touchent l’identité, le comportement, les relations, le lien, les systèmes…pourquoi ne devons-nous pas y réfléchir, écouter de quelles manières ces mouvements visibles et invisibles nous touchent humainement, socialement certes, mais aussi particulièrement, à notre manière d’Africains ?

J’ai souhaité avoir cette écoute-là. Quelle place pour la psychothérapie dans un contexte fortement marqué par les « cultures traditionnelles » et les clichés « ce sont les choses des blancs »?

Sourire. Les Africains sont-ils des extra-terrestres ? Les traditions, les clichés existent aussi chez les « blancs ». Comme je l’ai dit plus haut, la demande est là. C’est aux institutions de faire une place à la psychologie parce qu’elle aide à mieux comprendre les comportements. C’est aux professionnels de s’engager et de donner à leurs pratiques un cadre qui ne porte pas à confusion, qui rassure le public sur la place de la psychothérapie, son rôle et la fonction du psychothérapeute. On ne convainc pas par la parole, mais par l’action. Aux professionnels de s’engager pour la profession.

 Depuis votre « retour au pays », comment appréhendez-vous le « marché » du consulting ?

Sourire. Il pourrait y avoir beaucoup à dire. Mais je vais me contenter de souligner deux faits observés en un an sur place. 1.     L’attente d’une action bénévole de partage du savoir au niveau institutionnel. Vous savez, le bénévolat peut être structuré, des contrats établis pour une action sociale sécurisée. La question du cadre est très importante lorsqu’on entend agir pour le bien collectif. Si le cadre ne peut-être professionnel, faute de moyens financiers pour payer la consultation, autant mieux réfléchir à la manière de structurer l’action bénévole.

2.    L’engagement des Camerounais dans leur vie. J’ai été très agréablement surprise par la demande. Les Camerounais veulent sortir de la passivité, de la souffrance mentale, du statut de victime. Ils veulent être acteurs et responsables de leur quotidien. La psychothérapie leur offre cet espace à penser son quotidien, son vécu pour en prendre la pleine responsabilité. Ils s’en saisissent. Ce sont ces personnes qui m’ont convaincu de ce que mon choix de venir exercer dans un environnement que j’ai quitté il y’a 20 ans et dans lequel je n’ai jamais travaillé, a du sens.

Face aux crises sociales de plus en plus tendance en contexte camerounais ( feminicides, consommation abusives de stupéfiants par les jeunes, dépressions négligées etc.), comment NAB services se positionne ou envisage de se positionner face à tout ça ?

Il y’a deux niveaux d’actions possibles.

1.     Apporter mon expertise au niveau institutionnel. Cela peut-être dans le cadre de la formation des travailleurs socio et éducatif. Cela peut aussi être dans le cadre de la participation en tant que cadre technique aux instances de prises en charge ou de réflexion de politiques sociales : préventives et de protections à l’adresse de ces populations cibles.

2.    Je suis formée à l’évaluation et la prise en charge des violences intrafamiliales et conjugales. Je reçois régulièrement à mon cabinet des familles, des couples, et des femmes victimes de violences conjugales et sexuelles.

D’autre part, j’ai un contrat de bénévolat avec l’association sourire de femmes, a qui j’offre bénévolement un créneau d’une heure par semaine pour recevoir en écoute de soutien ou entretien à visée thérapeutique des jeunes femmes et femmes qu’elle accompagne dans le cadre de violences conjugales et sexuelles. J’ai aussi une démarche d’analyse de pratique avec les responsables de l’association qui ont à cœur d’améliorer leur pratique et les professionnaliser pour mieux accompagner leurs protégées, mais aussi se protéger de leur exposition à ces situations de violences.

Quels sont les signes, notamment dans le cercle familial, qui indiquent qu’il est temps de se faire aider par un(e) professionnel (le) ?

La souffrance psychique peut s’exprimer de différentes manières. Pour la repérer, il faut une attention particulière. C’est cette attention qui permet par exemple de se rendre compte que : tient cet enfant a toujours eu de bonnes notes. Ces derniers temps, il se montre agité, triste ou colérique, que se passe-t-il ? Ou encore, ma sœur a l’habitude de prendre soin de tout le monde, elle a toujours le mot réconfortant, aimable, mais ces derniers temps, elle est fuyante, épuisée, irritable, que lui arrive-t-il ? Ou depuis que papa, ou maman est décédée, mon père, qui a 70 ans, évoque beaucoup la mort. Comment vit-il son deuil ? Est-ce surmontable ? Je peux lui proposer d’aller consulter.

Evidemment, ces signes ne peuvent interpeller que lorsqu’il y’a préalablement un lien suffisamment bon qui est instauré. Une famille dysfonctionnelle a tendance à voir ses membres qui manifestent un mal-être comme des bouc-émissaire, des personnes problématiques, non pas à se soucier ou protéger, mais à contrôler, voir rejeter. Donc, des signes qui trompent peu dans la famille :

–        C’est la confusion des places,

–       L’abrasion des limites intergénérationnelles

–       La parentalisation des enfants

–       La violence qu’elle soit verbale ou physique ou psychologique.

Selon vous, vers quoi la société (notamment au Cameroun) devrait-elle évoluer pour diminuer la souffrance des personnes en difficulté psychique passagère ou permanente ? Que faudrait-il absolument mettre en place ?

Intégrer des psychologues cliniciens dans les différents grands services des hôpitaux.  La santé mentale fait partie intégrante de la santé. De plus il y’a un continuum entre le somatique et le psychique. On ne peut plus continuer à cliver ainsi la prise en charge de la maladie ou la souffrance psychique de tous les autres soins et prétendre pratiquer une bonne prise en charge du patient. Cette articulation est nécessaire.

Tenez par exemple dans la prise en charge des maladies cardio-vasculaires, des maladies chroniques comme le cancer, le diabète, le VIH où le déni peut rendre inefficace un traitement, ou le patient peut refuser de le suivre, où les conflits familiaux peuvent entraver une bonne prise en charge. Aux urgences, où la question du stress-post-traumatique peut-être évaluée, ce qui permettrait de limiter son enkystement et ses conséquences sur du long terme. En néonat, où le traumatisme d’une conception et d’une naissance difficile suivent souvent longtemps la mère et son enfant, le couple parental et leur enfant.

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