Une si longue lettre
Dans une lettre circulaire d’une longueur inhabituelle adressée à l’opposition, le ministre Atanga Nji s’est exprimé, par un avertissement mêlé de reproches à ses adversaires politiques, mais aussi à toute la communauté camerounaise. « L’attention du ministre de l’administration territoriale a été appelée depuis quelques temps sur les dérives graves de certains acteurs politiques de l’opposition en quête de notoriété. » C’est en ces termes qu’il a commencé sa longue lettre. Cette lettre, qui s’adresse certainement à l’ancien leader du PCRN, frappe par une symbolique très forte. Sa longueur est marquée par une kyrielle d’expressions administratives d’un autre temps, qui résume en quelque sorte les étapes suivies, allant des reproches verbaux à l’avertissement, puis aux blâmes et enfin à la répression.
Généralement, quand ce ministre s’exprime, il faut être sûr qu’il a déjà le marteau et l’enclume. Il utilise régulièrement des onomatopées, un homme enclin à la dérision et au fantastique, chers au romancier. Mais dans cette lettre, il n’y a nulle part de cela, ce qui montre qu’il est sérieux dans ce qu’il dit. Mais dans sa lettre, il ne cite personne, mais on peut reconnaître à qui spécialement elle s’adresse. Cabral Libi fait partie des acteurs politiques qui ont montré leur sens de la désobéissance civique ces derniers jours. On l’a vu défiler pendant ce 20 mai, seul, sans militants, sans parti, geste qui voulait tout dire à la suite de son exclusion du PCRN, au nom duquel il s’est exprimé depuis bientôt 8 ans. Pour le qualifier, le ministre déclare « un député aux abois exclu récemment d’un parti politique, tient régulièrement des propos désobligeants à l’endroit du président de la république ». Ce député n’est autre que Cabral Libi, dont nous avons parlé plus haut.
Le jeune député blondin
Le jeune blondin que la politique a sauvé a multiplié des actes irrévérencieux et des propos indignes d’un élu, carrière qui embrasse la politique active et la diplomatie. On le voit partout dans les réseaux, si ce n’est pas avec sa collègue député Nourane, c’est à l’assemblée nationale qu’il tente des petites percées. L’homme voyage, fait des rencontres, s’offre des luxes, réalise son rêve de gamin. Mais tout cela se passe dans un manque de charisme politique. Il franchit le Rubicon en défilant tout dernièrement au boulevard du 20 mai pour montrer son courage, pareil à celui d’un chasseur de lion dans la jungle. Concentré et enfantin, le jeune avance le visage pâle comme une personnalité non conviée qui s’invite à une kermesse, ou cette personne dans cette marche naïve avance à pas tranquilles vers un lieu de crime. Il a les lèvres entrouvertes sur des dents serrées, et sa respiration est presque rauque, il a peur, mais il avance, un instinct lui souffle courage. Courage au Cameroun ? Tu parles. Pour le ministre Paul Atanga Nji ç’en est trop.
Depuis qu’il a été exclu de son parti, l’homme a beaucoup maigri ; manifestement, il fait un effort d’accommodation, puisque bientôt ce sont les élections. Mais il ne se décourage pas ; comme tout bon résistant, il montre la tête de turc. Mais revenons sur la lettre du ministre : ce dernier profite par ces erreurs et annonce la victoire de son parti aux prochaines élections, par cette phrase sibylline : « … Dirigeant de parti n’est pas un passe droit pour défier impunément l’autorité de l’État, inciter à la rébellion et menacer de mettre le pays à feu et à sang lors de l’élection présidentielle de 2025 si des intérêts égoïstes et partisans ne sont pas satisfaits ». Ici, le ministre a enterré l’opposition. Il profite des erreurs et des maladresses de leurs propos pour avertir l’opinion publique nationale et internationale.
La promesse de la violence
Un parti ne donne pas son plan ; c’est facile pour les stratèges du pouvoir le parer. C’est pourquoi j’ai toujours pensé qu’il n’y a pas une vraie opposition, ce sont tout simplement des extravagances qui veulent faire le show. Les leaders de l’opposition s’y prennent très mal dans notre démocratie. Cela ne veut rien dire de s’inscrire dans les listes à Douala ou à Yaoundé quand les deux villes ne font pas le Cameroun. Tous ces partis n’auront jamais des représentants dans les bureaux de vote sur toute l’étendue du territoire. J’ai été chef du bureau pendant les élections de 2004. Je crois que par les incitations à l’inscription dans les bureaux, l’opposition prépare plutôt la violence, pas la victoire, car avec ce que j’ai vu au boulevard du 20 mai l’autre jour, dégager ces gens n’est pas pour demain.
Le faste est trop beau pour qu’ils le laissent. Le ministre poursuit dans ses jeux de mots et fait la campagne de son parti. Pour cela, il déclare : « le chef de l’État S.E Paul Biya, respectueux des lois et règlements de la république, n’a jamais failli à cette exigence lorsque son parti le RDPC se réunit en congrès ; il en est ainsi de tous les meetings et réunions organisés par le RDPC à travers l’ensemble du territoire national. » Ici, je n’ai plus rien compris. Légaliste ? C’est dire une chose et son contraire quand on sait qu’il y a des personnes en prison qui n’ont voulu qu’exprimer leur opinion. Plus loin, le ministre devient le ministre juge, et il dit : « le député tente désespérément d’arracher un parti politique à son légitime fondateur et grâce auquel il est sorti de l’anonymat. » Du côté de la littérature, la récolte n’est pas moins riche. Pour apprécier une production littéraire, il faut connaître toutes celles qui l’ont précédée. Les points de vue se modifient littéralement.
Le style littéraire de la lettre administrative
Il n’y a ni élégance de style ni courtoisie à l’endroit d’un élu du peuple. Il y a l’humeur et un bras séculier qui est prêt à humilier, à cogner. C’est pourquoi je dis que c’est possible, parce que le ministre, habitué à user des proverbes, évite de le faire avec le jeune Cabral, habitué lui aussi des proverbes contradictoires. Dans cette lettre écrite dans un style administratif branché, le ministre se montre tout de même décidé, et c’est là où il faut faire attention, car il est désormais prêt à sévir. On sent qu’il a reçu l’ordre. C’est pourquoi il prononce à plusieurs reprises les termes qui lui donnent son pouvoir : « le chef de l’État incarne », « les institutions », « son excellence Paul Biya », « notre cher et beau pays ». Côté romantique de l’homme, le ministre est-il un poète qui peut être fait fausse route dans cette cascade à laquelle il nous a souvent habitués ?